Comprendre l’affaire dite du « volet financier de Karachi » en 3 minutes

Publié le 05/02/2021

Le procès dit du « volet financier de l’affaire Karachi » s’est achevé le 3 février. La Cour de justice de la République rendra son arrêt  le 4 mars prochain. Actu-Juridique vous aide à vous y retrouver dans ce dossier vieux d’un quart de siècle. Nos compte-rendus d’audience sont accessibles en bas de cette page. 

Edouard Balladur entouré de ses avocats arrive à la Cour de justice - Janvier 2021
Edouard Balladur entouré de ses avocats arrive devant la 1ère chambre de la Cour d’appel de Paris (Photo : ©P. Cluzeau)

Qui sont les prévenus ? L’ancien ministre de la défense François Léotard (78 ans) et l’ancien premier ministre Edouard Balladur (92 ans)

Pour quels délits sont-ils poursuivis ? : Edouard Balladur est poursuivi pour complicité et recel d’abus de bien sociaux et François Léotard pour complicité seulement.

A quand remontent les faits ? 1994-1995

Pourquoi parle-t-on d’un « volet financier de l’affaire Karachi » ? Le 8 mai 2002 à Karachi au Pakistan, un homme lance sa voiture bourrée d’explosifs sur un car, on dénombre 14 morts parmi lesquels 11 français appartenant à la direction des constructions navales (DCN) et 12 blessés. Le 11 septembre 2002, un rapport intitulé Nautilus, rédigé à la demande de la DCNI avance l’hypothèse que l’attentat serait dû à l’arrêt du versement des commissions dans le cadre d’un contrat d’armement conclu à l’époque où Edouard Balladur était premier ministre. Le contrat portait sur la vente de sous-marins au Pakistan. Le paiement aux intermédiaires a été stoppé en 1996-1997 sur décision de Jacques Chirac dans le cadre d’une transaction. La thèse de l’accusation consiste à soutenir que lors de la conclusion des contrats avec le Pakistan mais aussi avec l’Arabie Saoudite, des proches de François Léotard alors ministre de la Défense auraient imposé le « réseau K », piloté par Ziad Takieddine ; ce réseau aurait perçu des commissions anormalement élevées sans que leur utilité ait été démontrée. Elles auraient ensuite été en partie rétrocédées à l’entourage du Premier ministre et auraient servi à financer la campagne d’Edouard Balladur en 1995.

Sur quels éléments se fondent ces accusations ? Le coeur du dossier est constitué par le dépôt en liquide sur le compte de campagne d’Edouard Balladur, le 26 avril 1995, soit trois jours après son échec au premier tour des élections présidentielles, d’une somme de 10,25 millions de francs (1,5 million d’euros). Le 7 avril précédent, un intermédiaire du « réseau K »  venait justement de retirer 10 millions de francs d’un compte en Suisse. Pour l’accusation, c’est la preuve que les commissions ont donné lieu à des rétro commissions et que celles-ci ont servi à alimenter la campagne.

Quel était l’intérêt d’Edouard Balladur ?  La campagne avait couté plus cher que prévu.

Que répond la défense ? La défense dénonce un dossier entièrement fondé sur des suppositions et des rumeurs sans qu’aucune preuve n’ait été rapportée.

Elle assure que :

* les commissions versées ne dépassaient pas les montants usuels,

*que l’utilité du réseau Takieddine est démontrée par le fait que les contrats d’armement avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite ont bel et bien été signés,

*que la concordance entre le retrait en Suisse et le dépôt en France est fausse (pas le même montant, pas les mêmes billets),

*que les 10, 25 millions proviennent de dons anonymes de militants et de ventes d’objets en meeting,

*et que si Edouard Balladur avait eu besoin d’un financement occulte il aurait été bien plus facile de puiser dans les 200 millions annuels de fonds spéciaux à disposition du Premier ministre à l’époque.

Qui juge le dossier ? La Cour de justice de la République seule compétente pour connaître des délits commis par des ministres en exercice. Elle est composée de trois magistrats professionnels et de douze parlementaires qui siègent tous en robe.

Pourquoi juge-t-on cette affaire un quart de siècle plus tard ? Parce que la justice n’a ouvert une enquête préliminaire qu’en janvier 2010, soit déjà 15 ans après les faits. Quant à la Cour de justice, elle n’a été saisie qu’en 2014.

Où s’est tenu le procès ? Dans la première chambre de la Cour d’appel de Paris.

Quelles sont les réquisitions du parquet ? Le parquet a requis un an de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende contre Edouard Balladur et deux ans avec susrsis, assortis de 100 000 euros d’amende contre François Léotard.

François Molins
François Molins, procureur général de la Cour de cassation (Photo : ©P. Cluzeau)

Quel est le maximum encouru ? : Cinq ans de prison pour la complicité d’abus de biens sociaux et le recel.

Y’at-il déjà eu des condamnations dans cette affaire ? Oui. Un jugement du tribunal correctionnel de Paris a condamné le 15 juin 2020 : Nicolas Bazire, ex-directeur de cabinet d’Edouard Balladur à 5 ans de prison dont deux avec sursis et Renaud Donnedieu de Vabres, ancien chargé de mission de François Léotard à la même peine, l’intermédiaire Thierry Gaubert à quatre ans de prison avec sursis et Dominique Castellan, président de la DCNI à trois ans dont un avec sursis. Enfin, Ziad Takieddine et son associé Abdul Rahman Al-Assir ont été condamnés à cinq ans de prison. Ce-dernier était absent lors du procès. Ce jugement a été frappé d’appel.

 

Nos compte-rendus d’audience sont accessibles ici :

Jour 1 : Me Félix de Belloy, l’un des deux avocats d’edouard Balladur dénonce la « partialité extraordinaire des magistrats instructeurs ».

Jour 2 : Edouard Balladur se défend « Je serais un personnage d’une singulière perversité si j’avais dans le même temps prétendu assainir notre  vie publique  et tenté de la polluer en mettant en place un système de financement électoral immoral destiné à me favoriser». Un témoin attaque : « Tout était anormal dans ce dossier »

Jour 3 : Anne Le Lorier, sous-gouverneur de la Banque de France honoraire, en charge à l’époque de l’arbitrage interministériel sur le contrat avec l’Arabie Saoudite contredit  l’accusation qui l’a pourtant faite citer comme témoin. Non, les contrats n’étaient pas anormaux, et non, Edouard Balladur n’a jamais donné d’instructions les concernant. 

Jour 4 : Le trésorier de la campagne assure n’avoir déposé que 3 millions de francs le 26 avril, qui lui aurait été remis par le chef de cabinet d’Edouard Balladur. Celui-ci, également présent à la barre nie en bloc.

Jour 5 : Le président Dominique Pauthe lit les dépositions des témoins absents. Certains n’ont pas voulu venir témoigner, comme Nicolas Bazire, autres sont hospitalisés, c’est le cas de Renaud Donnedieu de Vabres.

Jour 6 : Le parquet requiert un an de prison avec sursis contre Edouard Balladur et deux ans contre François Léotard. Ce-dernier, qui avait prévu de plaider sa défense après les réquisitions est finalement absent pour raisons de santé. Me Brigitte Longuet plaide à sa demande et réclame la relaxe.

Jour 7 : La défense d’Edouard Balladur plaide la prescription de l’affaire et  la relaxe.

 

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