Journal d’un pénaliste confiné (6)

Publié le 30/04/2020

Depuis le début du confinement Loeiz Lemoine, avocat au barreau de Hauts-de-Seine, nous raconte le quotidien d’un  pénaliste au temps du Covid-19. Dans le sixième volet de son journal,  il met en lumière les difficultés particulières auxquelles sont confrontés les avocats dans la crise actuelle : son cabinet pour l’instant n’a reçu aucune aide, il ne répond pas aux conditions exigées…

Jour 34 – lundi 20 avril.

La science continue à progresser. Tweet du Pr Raoult : « Belle interview du Docteur Moussa Seydi, qui mène un travail admirable au Sénégal pour lutter contre le COVID-19. »

« Depuis les premiers cas de Covid-19 constatés sur son territoire, le Sénégal a généralisé le traitement à la chloroquine. »

« « Nous constatons une guérison plus rapide » : Moussa Seydi, le médecin sénégalais qui s’est inspiré des travaux de Didier Raoult ». Plus rapide que quoi, on ne le saura pas, puisqu’il n’y a pas de comparaison avec un groupe auquel on n’en donnerait pas (évidemment, puisqu’on l’a généralisé. Suivez un peu !). CQFD et la boucle est bouclée, on entend presque un effet Larsen.

Je remarque également un rapprochement sémantique inattendu : Docteur Moussa Seydi : « Ici au Sénégal et plus généralement sur le continent africain, tout le monde a bouffé de la chloroquine ». Professeur Didier Raoult  : « En Afrique, on en a tous bouffé quand on était gosse ». Ça doit être un terme médical.

Rédaction de conclusions dans l’affaire M. Je commence par reprendre le dossier papier et mon stylo que, sur une impulsion, j’ai attrapé à la volée le 15 mars en pressentant que je risquais de ne pas le revoir d’assez longtemps. Cadeau de mes parents lorsque j’ai prêté serment, il m’accompagne depuis 34 ans. Ayant adopté les méthodes modernes de travail, et étant même considéré comme geek par beaucoup de confrères (au royaume des aveugles…), je persiste à prendre des notes à la main, la plume qui glisse sur le papier s’accorde mieux au rythme de ma pensée.

Message d’une personne que j’ai assistée il y a quelque temps « Je ne vous ai jamais oublié, je ne pourrais pas oublier ce que vous avez fait pour moi, sachez-le. » Reconnaissance un peu imméritée par rapport à ma modeste intervention, mais qui va rejoindre ma collection des petits mots, cartes, mails, SMS, boites de chocolats et autres qui me rappellent chaque matin (quand je suis au cabinet) que je ne fais pas ce métier uniquement pour les sommes énormes qu’il me rapporte.

Journal d'un pénaliste confiné (6)
Photo : ©Aquatarkus/AdobeStock

Au lieu de travailler, je lis dans Libé l’article d’un de mes éminents confrères : le projet d’application de « tracking » Stopcovid « n’est ni plus ni moins qu’une forme de bracelet électronique généralisé et donc la mise en détention globale de tous les Français ». Vraiment, j’entends les réserves qu’on peut avoir à l’égard de cette application. Mais comparer cela au placement en détention… il faut ne pas en avoir une idée très exacte ou même n’avoir jamais mis les pieds dans une prison. J’hésite entre excessif et dérisoire. Tout en regrettant que « 13 millions de personnes qui n’ont pas de smartphone » en soient écartées (mais au contraire ils devraient être contents ?). Et en relevant que les développeurs n’y arriveront jamais (ça je veux bien le croire), que ce sera tout le temps en panne (mais alors c’est bien, non ? L’incompétence et le bug au service des libertés individuelles).

« Forme alternative de privation de liberté », « forme de détention limitant la liberté d’aller et venir » (sic), « démarche idéologique destinée à limiter la liberté des personnes », « culpabilisation méritocratique des individus » ( ?), mon confrère n’y va pas avec le dos de la cuiller. Tout ça, non pour rejeter en bloc ce projet, mais pour conclure que « s’il est utile, de nombreuses entreprises ou associations seront prêtes à développer avec plus d’efficacité des solutions fonctionnelles […] avec des niveaux de garantie qui les mettront à la portée des réclamations des citoyens ».

En quoi mon confrère rejoint, mais lui sans ironie, une considération que je fis récemment mienne : laisser nos données à des sociétés commerciales, pas de problème, mais au Big Brother qu’est l’Etat français, jamais, plutôt mourir. Une société privée et dont la seule préoccupation est de gagner de l’argent en payant ses impôts en Irlande ou aux Caïmans, est donc préférable à un Etat démocratique, des lois, des règles, le RGPD, le Comité européen de la protection des données, la CEDH, la CNIL, le défenseur des droits et j’en oublie.

En vérité cette défiance est confondante et bien inquiétante. Tout aussi déroutante (mais est-elle vraiment sincère, je me permets d’en douter), la confiance en « des niveaux de garantie qui les mettront à la portée des réclamations des citoyens ». D’abord parce que les faits démentent tout à fait cette pétition de principe : de Facebook à Twitter, d’Apple à Google en passant par les BATX et Cambridge Analytica, on voit bien qu’on ne peut JAMAIS faire confiance à une société commerciale dont le modèle est le capitalisme (à mon tour de faire un pléonasme). Ensuite parce que les compagnies ne connaissent pas les « citoyens », elles n’ont que des clients, à qui elles ne doivent aucun compte. Contrairement à l’Etat dont on peut, au moins, changer la tête régulièrement, et qui comporte ses propres contre-pouvoirs et antidotes.

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Photo : ©Richochet64/AdobeStock

Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL, lors de son audition devant la Commission des lois le 8 avril 2020 : « Il faut gagner la confiance de nos concitoyens pour qu’ils adoptent un tel dispositif de façon suffisamment massive pour en assurer l’efficacité sanitaire ». Eh ben c’est pas gagné.

Suite du climat de haine, soigneusement entretenu par certains, tweet d’un anonyme : « Vingt-huit plaintes pénales visent les ministres en exercice, les accusant d’avoir mal géré l’épidémie. Procès #Nuremberg Version 2 ». Comme si les « crimes » de nos gouvernants étaient du même tonneau que ceux de Göring et Ribbentrop. Hasardons l’hypothèse qu’il surestime les uns au moins autant qu’il minimise les autres.

Impression générale, sur l’ensemble des sujets : masques, chloroquine, confinement, déconfinement, gel, tests, nos gouvernants sont des incompétents et même des criminels puisqu’il est si facile de faire ce qu’il faut, d’ailleurs le premier con venu le lui répète sur tous les tons sur Twitter. Corollaire : ça va se payer. Et tous les hashtags déclinant cette volonté de revanche, comme disait Boris Vian : faut que ça saigne !

Mardi 21 avril –  jour… euh… jour sans fin, j’en ai marre de compter

Tribune d’un confrère sur la faiblesse des avocats, qui auraient eu le tort d’accepter tout un tas de choses d’importance variable, de la visioconférence aux juges uniques en passant par la hauteur du parquet (dans les deux sens de ce terme) par rapport à la défense (depuis le temps que je l’entends, celle-là !), comme si on nous avait demandé notre avis. En gros nous sommes des couilles-molles. Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel en prennent également pour leur grade : « Le peuple a accepté que soit confié aux membres non élus du Conseil constitutionnel et à ceux du Conseil d’État le soin de défendre les libertés individuelles contre les menées – toujours plus audacieuses – de l’État. » On aura tout lu.

« Coronavirus : plus de 27 000 avocats pourraient quitter la profession dans les mois à venir en raison de la crise sanitaire, selon une enquête ». C’est une proportion considérable : 4 cabinets sur 10 seraient à l’arrêt, les autres auraient une activité réduite à 50%.

Au même moment, mail de la CNBF : « La CNBF débloque 60 millions d’euros pour aider les avocats durant l’état d’urgence sanitaire. » Quelque chose à espérer pour nous (égoïstement) ?

Pub par courriel : « COMME J’AIME est un programme minceur de plats équilibrés et savoureux, tout prêts et livrés chez vous ». Je prétends que, pourvu que le confinement ne se poursuive pas ad vitam aeternam, cela ne me concerne pas, mais je note encore une fois l’opportunisme de certains. Je ne sais même pas pourquoi je suis encore surpris.

Ma réponse ? 66,3 à la pesée du jour, c’est tout ce que j’ai à dire.

Mercredi 22 avril – « Le politique sera le pédophile des temps à venir »

Rendez-vous téléphoniques, rédaction de conclusions, mails, la routine.

Information inattendue dans Le Point : « Plus de messes publiques, donc plus de communions. Un couvent en Suisse qui confectionnait les hosties est à l’arrêt. Les sœurs ont été mises au chômage. » Eh oui, les hosties ne tombent pas du ciel, ni même du Ciel, il faut bien qu’on les fabrique et je ne connaissais pas cette facette de l’artisanat monastique.

Tribune d’un confrère connu pour ses positions plutôt radicales, avec photo en robe, l’air méchant, et ce titre : « Crise : le passage des responsables devant le juge pénal est inéluctable ».

Beaucoup de mes confrères, avocats engagés, défenseurs du peuple et de la liberté, ennemis de l’oppression, ont pris parti pour des poursuites contre les « responsables » (terme polysémique, on l’a compris). Face à ces réactions un peu pavloviennes, trop virulentes pour être vraies, je pensais qu’ils suivaient les directives de Stéphane Hessel, mais non, imbécile que j’étais, je viens de comprendre : il ne s’agit pas de réactions au premier degré ; mes confrères, beaucoup plus malins que moi, ont un coup d’avance, ils pensent déjà l’après pandémie et prévoient la relance de l’activité des pénalistes !

Naturellement je les rejoins complètement dans cet objectif plus que louable, simplement je vais choisir le camp des réprouvés, des salauds, des indéfendables car en vérité je vous le dis, le politique sera le pédophile des temps à venir. Aussi vais-je, toute honte bue, leur faire des offres de service : Maires, députés, ministres, président de la République, vous êtes visés par une plainte, des poursuites, des accusations ?

You better call Loeiz !

Journal d'un pénaliste confiné (6)
Photo : ©P. Cluzeau

Tribune de trois confrères qui traitent les juges de déserteurs. Ça commence fort : « Certes, les magistrats ne nous ont jamais habitué à un courage excessif dans les périodes noires. » En plus nous sommes « dans une société qui vacille sous la peur et rêve de dictature ». Les juges « se terrent » et « au prix d’une éclatante victoire des plus forts sur les plus faibles, la société confinée s’accommode de la disparition de la justice. »

Elle est publiée sur un de ces blogs de Médiapart qui nous avaient habitué à plus de mesure et moins de manichéisme (nan, je déconne). Si j’étais magistrat, je serais révulsé  jusqu’aux moelles. En tant qu’avocat : je me désolidarise totalement de cette diatribe. Y répondre sur le fond ? Je suis découragé d’avance devant la vanité d’une telle démarche.

La tribune a été retweetée par Saint Edwy Plenel, l’homme qui a reçu la bénédiction de distinguer le bien du mal, et la mission d’y rappeler ses contemporains, si prompts à se tromper de chemin et à penser de travers, avec ce commentaire : « Trois avocats du barreau de Paris, […] expriment leur colère devant la mise à l’arrêt de la justice au nom de l’état d’urgence sanitaire et face à la désertion des juges eux-mêmes. » Plenel, grand pourfendeur de l’essentialisation, montre qu’elle ne le gêne pas quand elle vise des juges.

Jeudi 23 avril – Y’a qu’un malheur…

Un des auteurs de la discutable tribune d’hier : « Saluons aussi les JAP qui bossent, ceux qui traitent les urgences, et rappelons que la disparition des juges, de façon plus structurelle, ne résulte pas d’un choix personnel mais de politiques dramatiques ». Autrement dit, l’exact contraire du message, à peine subliminal, véhiculé par la tribune. Il faut avoir le courage de ses opinions.

Mail à 10h18 : sondage IFOP sur les conditions de travail des avocats. Je clique sur le lien à 10h33 : «Merci de votre intérêt pour notre enquête, mais nous avons déjà interrogé suffisamment de personnes ayant un profil proche du votre ».  Je ne voudrais pas avoir l’air de me prendre pour ce que je ne suis pas, mais qu’il y ait tant de personnes ayant un profil proche du mien… non vraiment je suis vexé.

Christiane Féral-Schuhl : « Les avocats doivent se préparer à une séquence de secousses ». En effet. Le papier reprend les résultats du sondage (celui-là ne m’avait pas dédaigneusement éjecté) et on apprend que 62% des avocats avaient demandé l’aide de 1.500 €. Y’a qu’un malheur, comme disait Floriot, c’est que les critères sont pris en compte non par avocat, mais par cabinet. Pour ceux qui comme nous sont en SCP par exemple, ce sont les chiffres de la structure qui sont considérés : et il est vrai qu’à trois associés, notre résultat annuel dépasse 60.000 € (cette bonne blague). Donc, comme pour Zézette épouse X, ça dépasse.

Pour notre cabinet, au moment où j’écris ces lignes, NOUS N’AVONS RECU AUCUNE AIDE D’AUCUNE SORTE.

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Andrey Popov / AdobeStock

Marianne Faithfull est sortie de l’hôpital. Une des grandes voix (un peu esquintée par la cigarette, mais c’est aussi ce qui la rend si touchante) de la pop. Réécouter The Ballad of Lucy Jordan :

« Her husband, he’s off to work

And the kids are off to school

And there were oh so many ways

For her to spend her days

She could clean the house for hours

Or rearrange the flowers

Or run naked through the shady street

Screaming all the way »

Communiqué de la première présidente et du procureur général de la Cour de cassation, en réponse à la tribune publiée par les 3 confrères sur un blog Mediapart. Le dernier que j’avais lu remonte à l’intervention du président de la République dans l’affaire Sarah Halimi.

Le Gorafi… ah non pardon, La Provence nous communique une information de la dernière importance : « Didier Raoult a consenti à un rafraîchissement de sa coupe et de sa barbe ! les coiffeurs sont eux aussi solidaires ». Avec photo, ciseaux et petit cœur sur les coiffeurs. Je sais que je suis, à l’échelle de Marseille, de la France et du Monde, un personnage de médiocre importance, néanmoins je tiens à mentionner l’achat imminent d’une tondeuse chez les Lemoine. Je serais un peu déçu que la presse, au moins Le Trégor, ne reprenne pas cette information.

Pause dans la fabrication des surblouses : la pédale de la machine est cassée ! Madame Lemoine autopsie la chose sans douceur excessive : les ressorts volent en tous sens. C’est le genre d’objet qu’on peut remonter, mais à la fin il reste toujours des pièces. Quelques gouttes de Superglue ® et une vis plus tard, c’est réparé, la production reprend. Ma femme me considère (provisoirement) comme un génie. « Tu vas en parler dans ton journal ? ». Ben je vais me gêner. Pour une fois que je réussis quelque chose.

Les évènements ne cessent de me donner raison. Je n’en tire aucune fierté (réparer une pédale de machine à coudre, ça oui) mais une certaine inquiétude sur le climat de l’époque. Cause de mon ire ? Un référé-liberté initié par le conseil d’un détenu pour obtenir des masques et les chiffres des contaminations à Fleury-Mérogis, et que le TA de Versailles vient de rejeter. Tweet de mon confrère : «(…) Comme d’habitude….rejet. il faudra envisager la responsabilité pénale des juges administratifs et Conseillers d’Etat. » Un proc déguisé en Darth Vader suggère opportunément qu’on les fusille. J’ajouterais : à l’aube, devant leurs enfants et après leur avoir infligé d’atroces souffrances.

Journal d'un pénaliste confiné (6)

Combien de fois ai-je été mécontent ou même furieux d’une décision de justice ? Je ne compte même plus, et pourtant je ne suis pas plus mauvais qu’un autre. J’ai souvent, dans le huis-clos de ma voiture, abreuvé d’injures des magistrats, flétri leur bêtise ou leur mauvaise foi, j’ai même pulvérisé un téléphone contre le mur de mon bureau. J’ai suivi les débats de la commission Outreau avec passion, je me suis interrogé (je m’interroge encore) sur le fait que les juges ne rendent pas de comptes de leurs décisions et de leurs erreurs, mais de là à les poursuivre pénalement pour un jugement, je crois qu’on franchit une limite.

Télérama, le magazine qui ne déçoit jamais : « École et déconfinement. Cette stratégie dévoile les vraies motivations de l’exécutif : faire tourner l’économie ». Une sorte de crime contre l’humanité, si on comprend bien le jugement moral qui sous-tend ce titre. En se reportant à l’article, on voit que l’enseignant interviewé ajoute ceci : « C’est évidemment une urgence pour notre pays… à condition de ne pas relancer l’épidémie. »

Spéciale Lee Konitz sur Jazzafip, à l’instant Lester Young. Le son de son saxo… pas aussi velouté que celui de Paul Desmond mais quand même du velours dans les oreilles.

On va dire que je suis bavard, c’est faux. Je n’ai aucune imagination et si rien ne m’arrivait, je n’écrirais jamais une ligne. Après des jours de confinement, je devrais être sec et revenir à cette sobriété qui me fait tant apprécier des juridictions (mes plaidoiries ? 5 minutes douche comprise). Mais il faut aussi que les gens fassent un effort et que certains, comme Christophe Barbier, aillent carrément jusqu’à se taire. A l’instant, son commentaire du point presse quotidien du Pr Salomon : « Y’a quelque chose qui m’a frappé, quand le Pr Salomon fait son point, y’a des interprètes en langue des signes à côté, et y’a 2 dames qui sont d’évidence en surpoids, elles viennent travailler tous les soirs… Elles ont le droit de travailler ». Trop c’est trop ! Je l’invite solennellement, par égard pour la France souffrante, à faire une cure de silence, disons d’une bonne dizaine d’années.

Vendredi 24 avril – « Overtemperature error »

Alerte rouge : ce matin, mon ordinateur refuse de démarrer : « CPU overtemperature error ». Alors ça c’est la fin totale et calamiteuse des haricots. Vaines tentatives de redémarrage. Examen de l’intérieur de la bête (achetée en pièces détachées et assemblée par moi-même, autant dire qu’une erreur est toujours possible), tout a l’air de marcher et tous les ventilateurs tournent. Extinction, démontage, dépoussiérage, le radiateur n’est pas chaud, il y a de la pâte thermique… remontage, ouf ça marche. Diagnostic, tout a l’air OK. Le genre de question qui se règle facilement en temps de paix (on court acheter tel élément à remplacer et moyennant 50 € et une matinée, tout revient dans l’ordre). Mais en temps de guerre… s’il faut attendre 10 jours pour recevoir un composant, ça va devenir très compliqué.

Suite du débat idiot lancé par la tribune Médiapart : communiqué des conférences nationales des procureurs généraux et de la République (dont je découvre l’existence). « Stupéfaction », « propos outranciers » et « insultants », etc. In fine cette phrase qui risque de coincer un peu quand même : « Elles (les conférences) attendent des auxiliaires de justice une mobilisation exemplaire pour permettre aux cours et aux tribunaux » etc. etc. Euh, de façon générale, nous n’aimons pas trop qu’on nous dise ce que nous devons faire, surtout quand c’est le parquet, qui sans être notre ennemi, est notre contradicteur et adversaire naturel.

Conclusions validées par le client, relues, signifiées par le RPVA, tout pareil que si j’étais au cabinet. Non en vrai, j’aurais rédigé les conclusions et j’aurais dit à mon assistante : « Isabelle, c’est bon pour les conclusions M., vous pouvez les balancer. Vous ferez aussi le bordereau s’il vous plait, j’ai demandé à la petite (c’est ainsi que nous dénommons affectueusement nos stagiaires, même quand elles sont grandes) de faire la liste des pièces et de renommer les fichiers pour la communication. Sinon, vu qu’on est vendredi, on se ferait pas un petit Steak’n Shake ? » Et on aurait mangé un Western BBQ ou un Guacamole avec des frites au cheddar et un milk shake caramel au beurre salé en disant des bêtises. Mais ça c’était avant.

Compte-rendu de l’entretien entre la Garde des Sceaux et la présidente du CNB. « Nous demeurerons extrêmement vigilants sur le caractère nécessairement provisoire de ces aménagements qui ne doivent en aucun cas conduire à un amoindrissement des droits de la défense ou porter atteinte au principe du contradictoire. » En aucun cas en effet.

Journal d'un pénaliste confiné (6)
Photo : © Xiongmao/AdobeStock

Interview d’une consœur spécialisée  à propos de l’application StopCovid : en résumé, il est possible de mettre une œuvre une telle application, sous réserve de respecter la loi Informatique et Libertés et le RGPD, qui pose un cadre juridique très strict, notamment sur la liberté du consentement, puisqu’on parle d’une application que chacun choisirait d’utiliser ou pas. Ce matin encore, des confrères n’ont pas de mots assez durs pour ce projet. Son objet passe totalement à l’as, mais ce qui me frappe c’est l’absence de confiance dans notre système juridique, qui s’est toujours voulu plus que défiant à l’égard du numérique. La loi Informatique et Libertés date du 6 janvier 1978 ! Ceux qui étaient nés (j’avais 15 ans) se souviennent que l’informatique était à peine embryonnaire. Pourtant déjà nos gouvernants (de droite depuis le début de la Vème) avaient la préoccupation des atteintes aux libertés que pouvaient comporter l’utilisation des données.

L’article 1er de la loi est d’une actualité incroyable dans son principe : « L’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ».

Elle règlemente donc strictement le traitement des données personnelles et crée la CNIL, dont personne ne peut dire aujourd’hui qu’elle soit laxiste. Le RGPD en a remis une couche, plutôt épaisse, qui se veut protectrice des individus, face aux atteintes sans vergogne des compagnies informatiques. Si des juristes, qui s’y trouvent régulièrement confrontés, non contents d’être défiants envers un Etat par définition oppresseur, dissimulateur et mal intentionné, n’ont pas confiance dans des normes extrêmement contraignantes et dans un organe de protection qui a fait ses preuves depuis 40 ans, qui, je vous le demande, pourrait bien leur faire confiance ?

Voilà une vraie question philosophique qui est la même, au fond, que lorsqu’on menace les juges de poursuites pénales : le TA qui m’a donné tort, ou le CE qui le confirme, ne sont pas des organes de protection du citoyen, de l’individu contre l’Etat, ce sont des complices et donc des traitres. On ne peut leur faire aucune confiance. Par ailleurs ce ne sont pas des gens qui pensent différemment de moi ou qui ont de la situation une autre appréciation, ce sont des salauds, qu’il faudra sanctionner le moment venu. Tout ceci est aussi fascinant qu’inquiétant.

A peine ces lignes terminées, je reçois un mail du CNB pour un « e-débat » sur le sujet « Respect des droits et libertés fondamentales et projets de tracing ». J’hésite à m’inscrire mais finalement… je suis fatigué d’avance.

Samedi 25 avril – Un grand procès post-virus ?

66,2 kilos.

Les premières fraises, pas les miennes, pas encore, celles d’un producteur local.

Aujourd’hui c’est un volet qui réclame mes soins. C’est vrai que quitte à être confiné, autant vivre dans une maison, mais ça demande quand même pas mal de boulot. Il faut aussi que je mette en pleine terre mes petits semis. Pas de pluie depuis deux mois, soleil et tout, elle est dure comme de la pierre…

Titre et sous-titre du Point : « L’ombre du grand procès post-virus. Depuis le début de la pandémie, les plaintes contre les ministres s’accumulent auprès de la Cour de justice. Et pèsent de plus en plus sur l’action politique. »

Ai-je déjà dit que j’étais un visionnaire ? Bon l’article est protégé et se fier au titre est sans doute imprudent. Cependant, je suis toujours aussi mal à l’aise avec l’idée que les politiques, surtout en cette période si difficile, agissent avec un pistolet sur la tempe.

Ouest-France : « Confinée chez ses parents, l’étudiante voit son appartement vidé et occupé par des migrants ». Ou quand la loi profite à ceux qui la viole et se retourne contre ceux qui la respectent. C’est le moment de relire Courteline et singulièrement L’article 330. Cette jeune personne aura toutes les peines du monde à rentrer dans les lieux, il lui faudra dépenser des fortunes et elle a devant elle un ou deux ans avant d’obtenir le moindre résultat, sans compter qu’elle ne reverra jamais ses affaires.

Il y a deux ans, avec une association d’aide aux Roms, un groupe de seize personnes avait investi une maison inoccupée à Garges les Gonesse. Il lui avait suffi de commander des pizzas et de brandir le ticket portant la date et le lieu de livraison pour prouver que l’occupation remontait à plus de 48h, ce qui empêchait la police d’intervenir et contraignait le propriétaire à user des voies légales, qui sont un vrai cauchemar. Ce qui est amusant (si l’on ose dire), c’est qu’en l’espèce le problème s’était résolu beaucoup plus vite et beaucoup plus simplement : « C’est grâce à la cité qu’il a récupéré sa maison ! ». Des jeunes gens épris de justice sont allés faire comprendre aux occupants de la maison, sans douceur excessive, qu’une bonne idée serait de quitter les lieux. Rien de tel que la discussion et la persuasion. Naturellement ils leur ont accordé un peu de temps (« cassez-vous, vous avez deux minutes ») pour prendre leurs dispositions. C’est toujours ça d’économisé pour notre pauvre justice. Attention, ceci n’est pas transposable à toutes les personnes ni à tous les environnements.

Dimanche 26 avril – Premier barbecue

Un temps tout simplement magnifique, la pureté de l’air, le silence, une petite fraicheur en ouvrant les fenêtres, compensée par un soleil aussi franc. Honnêtement, pour jardiner, on peut difficilement rêver mieux. Il ne manque (j’y reviens) que la pluie…

Les titres du jour dans le Huffpost :

« Pendant le confinement, un livreur Amazon fournissait des cocktails Molotov ».

« Appli « StopCovid »: La Cnil demande plus de garanties avant le lancement ».

« Deux jeunes, originaires de la région parisienne, lancés dans un “Tour de France du confinement”, ont été secourus en pleine nuit ce vendredi 24 avril dans les Pyrénées alors qu’ils étaient partis admirer le coucher du soleil depuis un sommet et l’un d’eux est gravement blessé, a-t-on appris auprès de la CRS des Hautes-Pyrénées. »

« Comment le confinement a transformé la vie sexuelle de ces couples. Marina*, hôtesse d’accueil de 26 ans. Sophia* journaliste de 22 ans. Jean-Pierre*, 50 ans, et sa copine de 23 ans. Ce Parisien de 33 ans (…) on s’amuse à inverser les rôles de domination qu’on pratique d’habitude ( ?). Cette professeure de danse de 25 ans »

Allez, je vais finir mon lave-vaisselle et découper les frites.

Dominique Reynié dans L’esprit public sur France Culture : « A tous les coups vous perdez quand vous gouvernez. Vous dites « je déconfine », on vous dit « danger pour les vies ». Vous dites « je confine », on vous dit « danger pour la liberté, ou même pour l’économie ». On perd à tous les coups. » Pas mieux ! Je prends une nouvelle fois le pari que, si le président de la République et le premier ministre proposaient de remettre leurs postes à l’opposition (l’une des oppositions), personne ne voudrait s’y coller et prendre leurs places.

Premier barbecue de la saison. On a reculé autant qu’on a pu mais là, pas moyen de faire autrement.

 

Si vous avez manqué les épisodes précédents, ils sont ici : épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4, épisode 5.

 

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