« En 2020, un.e salarié.e LGBT+ sur deux n’est toujours pas “out” au travail »
Depuis 22 ans, l’Autre Cercle lutte pour l’inclusion des personnes LGBT+ dans le monde du travail. Un travail de titan qui commence doucement à porter ses fruits, en Île-de-France en particulier.
Le mois de juin, c’est le mois des fiertés. Cette année, les rues de Paris ne seront pas comme tous les mois de juin depuis 20 ans, le théâtre de la Marche des fiertés, manifestation repoussée au mois de novembre prochain en raison de l’épidémie de Covid-19. Malgré ce report, il convient de rappeler que les LGBTphobies tuent toujours et que le monde du travail est très souvent le dernier endroit où ces personnes restent « dans le placard ». Peur du harcèlement, de ne pas gravir les échelons, de perdre l’amitié de ses collègues : les raisons qui poussent la moitié des personnes concernées à taire leurs orientations sexuelles ou leurs identités de genre sont diverses et variées.
Heureusement, en France, et ce depuis 22 ans, les bénévoles de l’Autre Cercle, une association qui aide les organisations (entreprises, associations, collectivités, ONG…) à lutter contre les discriminations qui touchent les personnes LGBT+, sont sur le terrain pour favoriser l’inclusion de ces personnes dans le monde du travail. Entre autres choses, l’Autre Cercle aide les entreprises à accompagner au mieux leurs salarié.e.s transgenres. Elle a également créé en 2012 une Charte d’engagement LGBT+ qui rassemble plus de 130 signataires, engagés à mettre en place des outils pédagogiques ou des événements autour des discriminations.
L’Île-de-France est la première région à avoir signé cette Charte tout en travaillant en parallèle contre les LGBTPhobies notamment en finançant des campagnes de sensibilisation contre les discriminations dans les établissements scolaires (plus de 120 000 jeunes chaque année), et en apportant de l’aide aux associations et aux Marches des fiertés. Parmi les autres signataires de la Charte, une majorité d’organismes installés en Île-de-France, comme les sièges sociaux de Monoprix, Axa, La Poste ou le groupe Korian, mais également des organismes publics comme l’ARS d’Île-de-France, Radio France, Paris 2024 ou Eau de Paris, les villes de Fontenay-sous-Bois (94) et Paris et enfin le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis (93), se sont mobilisés, désireux d’offrir pour leurs salarié.e.s et agent.e.s, le cadre de travail le plus égalitaire possible.
Nous avons rencontré, en visioconférence, Julien Hamy, président de l’antenne Île-de-France et Catherine Tripon, porte-parole de la fédération, qui ont répondu à nos questions.
Les Petites Affiches : Comment s’est créée et a grandi l’association ?
Catherine Tripon : Elle s’est créée en décembre 1997, même si l’enregistrement s’est fait en 1998. Au départ, c’était de petites réunions informelles. Un ami m’en a parlé et je suis venue avec mon épouse. Je n’avais pas souffert de discriminations au travail, mais elle si. Très vite je me suis engagée, au moment où l’association lançait ses premières opérations. Après des mois de travail, nous avons créé en 2003 le premier livre blanc sur l’homophobie au travail, que nous avons présenté à l’Hôtel de ville de Paris, pour poser les choses. Nous avions déjà identifié les enjeux comme l’importance de la diversité dans le management et le recrutement, et la question de la transidentité en entreprise. Restait une inconnue : jusqu’à présent, il n’existait pas d’études chiffrées. Or ce qui ne se mesure pas n’existe pas et on ne parle pas de ce qui n’existe pas ! On a donc créé l’observatoire pour proposer des sondages. Dans le premier, 80 % des DRH affirmaient qu’il était compliqué pour les salariés de vivre leur homosexualité au travail. C’était en 2004, depuis nous produisons de nombreuses études et sondages qui nous permettent de mettre des chiffres sur ces discriminations. La même année, nous avions lancé le pôle formation, grâce auquel nous avons aussi créé des outils pédagogiques et de formation ainsi que des guides. En 2009, nous avons même été récompensé.e.s par le Fonds social européen pour une étude sur la double discrimination que vivent les lesbiennes dans le monde du travail.
Julien Lamy : Pour nos 20 ans, nous avons réalisé un baromètre avec l’IFOP et l’aide d’une quarantaine de nos signataires qui ont envoyé un sondage de ressenti à leurs salarié.e.s. Nous avons annoncé les premiers résultats le 12 février à l’Hôtel de Ville de Paris : une personne LGBT+ sur 4 a été victime de LGBTphobie sur son lieu de travail (moquerie, mise à l’écart, agressions physiques), 41 % des employé.e.s, concerné.e.s ou non, entendent régulièrement des expressions injurieuses (“pd”, “gouine”, “enculé”) sur leurs lieux de travail. La conséquence : une personne LGBT+ sur 2 vit cachée sur son lieu de travail. Mais il y a aussi des enseignements positifs. Grâce à leur panel nous avons pu déterminer que chez les organisations signataires, le ratio de la visibilité augmentait : les deux tiers des employé.e.s concerné.e.s sont out sur leurs lieux de travail. La fédération compte désormais 13 structures locales, des associations en majorité et 4 délégations. L’antenne Île-de-France est la plus importante en termes d’actions. Nous sommes convaincu.e.s que pour être efficace, notre travail doit être un travail de proximité.
LPA : Vous avez créé la Charte d’engagement LGBT en 2012, pour assurer un environnement inclusif à tou.te.s les employé.e.s LGBT. Combien d’organisations se sont engagées à vos côtés et qu’est-ce que cet engagement suppose ?
J. H. : Aujourd’hui, notre Charte compte plus de 140 signataires. Le groupe Renault vient juste de s’ajouter à la liste. La liste est longue mais il y a de grands groupes, des PME et des startups, des établissements d’enseignement supérieur, des mairies, des métropoles, des conseils départementaux, des ONG… c’est très varié. La majorité de nos signatures nationales : les sièges sociaux des grands groupes, les ministères et des grands organismes publics ou privés, sont basées en région parisienne qui bénéficie déjà d’une ouverture d’esprit particulière, grâce à la mixité sociale.
La mairie de Fontenay-sous-Bois (94) fait partie des premier.e.s signataires, la région Île-de-France s’est aussi engagée comme la Mairie de Saint-Denis (93) ou de Paris.
Il faut savoir que ce n’est pas simplement une signature au plus haut niveau hiérarchique (PDG, maire, ministre…), mais surtout une vraie démarche qui doit s’accompagner d’actions annuelles. Quand une organisation signe, on veille à ce qui a déjà été fait du point de vue de la diversité au sein de l’organisation, et on les fait réfléchir à leurs plans d’action. Les signataires doivent mettre en place une procédure de sanctions pour les comportements déviants à l’encontre des personnes LGBT+ : trop souvent, les RH solutionnent les crises en éloignant la personne LGBT de sa ou son manager agressif ! On peut aussi instaurer des modules d’information pour les salarié.e.s ou des modules personnalisés. Par exemple, le groupe Korian avait à cœur de proposer des modules aux personnes hébergées afin que leurs EPHAD soient plus inclusifs. On a un pôle consulting qui peut apporter des ressources internes, des plaquettes d’informations, nous intervenons en conférences ou lors d’événements… Par exemple le groupe Allianz avait proposé à ses salariés du siège social de La Défense la projection du film Coming Out et une rencontre avec le réalisateur ainsi qu’une personne de l’association.
LPA : Existe-t-il des secteurs plus réfractaires que d’autres ?
J. H. : Bien souvent, les entreprises anglo-saxonnes se lancent plus vite, car concernant l’attention portée à la diversité dans l’entreprise elles sont plus en avance. Elles ont également compris que pour attirer les jeunes talents, il convient d’être irréprochable et très réactif sur le plan humain. La culture française de la vie privée est différente, cela se fait souvent au détriment des personnes LGBT+. Ce n’est pas simple tous les jours pour elles, il y a une agression tous les deux jours, elles subissent des blagues LGBTphobes, doivent passer par le coming out auprès de la famille et des ami.e.s. La vie professionnelle c’est souvent le dernier chemin à faire et il faut collectivement se rendre compte que la frontière est très fine entre vie privée et vie professionnelle, surtout entre collègues. Beaucoup de personnes préfèrent ne pas corriger les collègues qui leur posent des questions sur leur week-end, le lundi matin à la machine à café. Beaucoup mettent une photo impersonnelle sur leurs fonds d’écran d’ordinateur ou de téléphone, beaucoup utilisent des mots neutres pour qualifier leurs moitiés (comme « mon ami.e ») ou évitent les réunions informelles, refusent les invitations à dîner ou les mariages. Pire : de nombreuses personnes refusent de profiter des avantages des autres couples, comme la mutuelle. Nos études ont montré que 77 % des employé.e.s LGBT+ en couple ont déjà renoncé ou omis d’indiquer le genre de leur conjoint.e. Nous pensons que notre militantisme positif, l’accompagnement que nous proposons, est un moyen pour que ça change.
LPA : Que prépare l’Autre Cercle pour les mois à venir ?
J. H. : En 2019, nous avons lancé au studio 104 de la Maison de la radio, le prix des rôles modèles LGBT et allié.e.s pour donner à voir les personnes qui s’engagent dans le secteur professionnel, notre prochaine édition se fera à l’automne 2020 avec une nouvelle catégorie pour les jeunes professionnel.le.s. En novembre, l’association sera présente à la Marche des fiertés, à Paris, comme chaque année. Nous lançons également un partenariat avec IKEA France : ils vont vendre des sacs rainbow, et un euro sera reversé à l’association !
LPA : Ne craignez-vous pas parfois que les entreprises s’engagent plus pour la communication, qu’elles fassent du pinkwashing ?
J. H. : On le sent dès les premières rencontres, les entreprises qui veulent « fêter la pride » comme elles veulent « fêter les femmes », le 8 mars. C’est pourquoi, on ne les lâche pas sur l’engagement, on leur demande des comptes sur leur politique diversité en leur expliquant qu’il ne suffira pas de donner un tract le 17 mai, journée contre les LGBTPhobies. À l’occasion de la Marche des fiertés par exemple, beaucoup de signataires nous contactent pour être présent.e.s sur le char, on refuse que défilent les logos des entreprises. Pour moi, leur engagement lors de cette journée, ce n’est pas grand-chose : je préfère qu’elles proposent des formations obligatoires à leurs managers.