Michel Guichard : « Les avocats ne céderont pas sur le secret ! »

Publié le 27/10/2021

La colère ne retombe pas, bien au contraire, suite à l‘adoption jeudi 21 octobre par la commission mixte paritaire d’un article du projet de loi sur la confiance dans la justice qui remet en cause le secret de l’avocat. A la tête du plus important barreau d’affaires de France, le bâtonnier Michel Guichard prévient : si le texte n’est pas retiré, il faut s’attendre à des tensions importantes entre les avocats et les enquêteurs lors des perquisitions.

Michel Guichard : "Les avocats ne céderont pas sur le secret !"
Michel Guichard, Bâtonnier du Barreau des Hauts-de-Seine

Actu-Juridique : Quelle réaction vous inspire le texte de la CMP sur le secret des avocats ?

Michel Guichard : Nous constatons qu’en l’espace de quelques jours, on a tenté de remettre en cause le secret de la confession au nom de la très légitime lutte contre la pédophilie dans l’église, le secret médical sur fond de crise sanitaire et le secret de l’avocat sous prétexte de lutter contre certaines infractions économiques. Ce sont les trois grands secrets professionnels qui chancellent en même temps. Nous l’avons dénoncé dans notre motion car cela nous inquiète. S’agissant des avocats, pourquoi décider de faire sauter le secret s’agissant d’un trafic d’influence et pas pour un viol ? On a le sentiment que le garde des sceaux ne protège que ce qu’il a connu en tant qu’avocat. Or, il faut rappeler les termes de la loi de 1971 sur le secret professionnel qui ne protège pas l’avocat mais le client. Toucher à cette liberté publique serait contraire aux principes qui gouvernent un état de droit et démocratique.

Actu-Juridique : Tous les barreaux sont vent debout contre ce texte. Mais celui des Hauts-de-Seine, premier de France en termes de cabinets d’affaires est particulièrement concerné…

MG : Personne n’a vu arriver ce texte. Nous pensions que, dans le pire des cas, nous risquions le statu quo ante. Jamais nous n’aurions imaginé qu’on se retrouverait dans une situation nettement pire. J’ai souvent participé à des perquisitions dans des entreprises menées à la demande de l’administration fiscale, nous parvenions toujours à extraire les correspondances avec les avocats. Et puis il y a eu la jurisprudence de la chambre criminelle qui a séparé conseil et défense, seule soumise au secret, oubliant au passage que les deux activités ont fusionné il y a 30 ans. Avec le nouveau texte, c’est une partie du secret du conseil qui saute du fait de la première exception. Quant à la deuxième, nous estimons au barreau des Hauts-de-Seine qu’elle concerne non pas seulement les infractions visées au premier alinéa, mais toutes les infractions.

Actu-Juridique : Comment a-t-on pu en arriver là ?

MG : Je me demande si ce n’est pas une réaction de l’administration fiscale suite à la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne par le Conseil d’Etat pour vérifier la conformité au droit communautaire de la directive relative aux schémas fiscaux agressifs. « Vous ne voulez pas dénoncer vos schémas, on va donc les saisir dans le cadre des perquisitions », semble nous répondre l’administration. Ce sera difficile de faire bouger le texte avant son adoption définitive. Les fiscalistes savent d’expérience que lorsque la Parlement s’empare des questions de fraude fiscale, le gouvernement s’incline, de peur d’être accusé par l’opinion d’encourager la délinquance en col blanc. Croisons cependant les doigts !

Actu-Juridique : La réaction de l’administration et du parquet national financier trahit une vision très négative de l’avocat…

MG : C’est en effet ainsi que l’on peut comprendre l’exposé des motifs de l’amendement du Sénat en première lecture qui note par exemple que l’association française des magistrats instructeurs s’inquiète du recours à des échanges fictifs avec l’avocat dans le seul but de protéger des documents. Le deuxième alinéa du texte de la CMP y ajoute la vision d’un avocat idiot qui ne sait pas identifier un client malhonnête ni éviter de se faire instrumentaliser par lui. Ce qui est surtout frappant, c’est qu’on adopte une telle disposition dans un projet de loi pour la confiance dans la justice, en faisant semblant d’ignorer que cela va précisément à l’encontre de la confiance que le client peut avoir dans son avocat et donc dans le système judiciaire.

Actu-Juridique : Votre barreau était ouvert à la discussion sur le projet de rapprochement avec les juristes d’entreprise, cela n’est-il pas remis en cause ?

MG : Si le secret du conseil dans le monde des affaires disparait, il n’y a évidemment plus aucun intérêt à envisager un rapprochement. C’est surtout une atteinte contre Paris place de droit. Il faut en effet se rappeler que tout le débat lancé par le Garde des sceaux en début d’année sur l’avocat en entreprise ou le legal privilège était de partager le secret professionnel de l’avocat avec les directions juridiques des entreprises. En l’état actuel du texte, cette proposition n’aurait plus d’intérêt.

Actu-Juridique : Depuis des semaines, les avocats se demandent s’il faut participer aux États Généraux de la Justice ; désormais, nombreux sont ceux qui appellent au boycott, et vous ?

MG : Les réactions sont très diverses. Le barreau de Paris demande à rencontrer le président de la République. Certains barreaux estiment en effet qu’il faut sortir des états généraux. La Conférence des bâtonniers a une position plus nuancée considérant qu’il ne faut pas jouer la chaise vide. Au Barreau des Hauts-de-Seine, nous pensons qu’il faut se mettre en retrait des états généraux, au moins jusqu’à l’adoption définitive du texte le 15 novembre. Le plus important, c’est que tous les barreaux sans exception ont bien indiqué qu’ils étaient contre la rupture du secret professionnel.

Actu-Juridique : Que faut-il craindre si le texte est adopté en l’état ?

MG : Les avocats ne cèderont pas sur le secret, de sorte qu’il va y avoir des tensions lors des perquisitions, il faut s’attendre donc à des réactions très fermes. Cela va en conséquence tendre les relations entre avocats et magistrats, mais aussi avec l’administration fiscale. Sans compter que le texte est très mal rédigé, ce qui va soulever des difficultés pour les bâtonniers quand il s’agira de savoir lors d’une perquisition dans un cabinet d’avocats si l’avocat est mis en cause en tant qu’auteur, complice ou acteur involontaire d’une malversation. Il faut donc que ce texte soit retiré.

Michel Guichard : "Les avocats ne céderont pas sur le secret !"
Dessin Me François Martineau

Lire aussi sur le même sujet l’analyse de l’évolution du texte qui a conduit à celui de la CMP par Me Matthieu Boissavy, membre du CNB, l’exposé des conséquences pratiques de la quasi-disparition du secret en matière de conseil par Me Martin Pradel et la colère de notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier face à cette atteinte grave à sa profession.

 

Retrouvez les dessins sur la justice de Me François Martineau dans ses albums Intime connexion et Brèves de barre.