Explosion rue de Trévise : Des victimes veulent une expertise sur l’origine « d’odeurs de gaz »

Publié le 19/05/2022

Le 30 mars 2022, la chambre de l’instruction avait ordonné de nouvelles expertises techniques dans le dossier de l’explosion survenue il y a trois ans rue de Trévise, à Paris. Selon nos informations, elles n’ont toujours pas débuté. Ce 18 mai, la Cour d’appel a été saisie par des parties civiles qui souhaitent en savoir plus sur les circonstances de la fuite de gaz. La date du procès s’éloigne chaque jour un peu plus.

Explosion rue de Trévise : Des victimes veulent une expertise sur l’origine « d’odeurs de gaz »
Me Serre à l’audience mercredi 18 mai 2022 (Photo : ©I. Horlans)

La chambre de l’instruction n°4 du pôle 7 de la Cour d’appel de Paris n’en finit plus d’examiner les recours dans l’affaire dite « de la rue de Trévise ». Il y a 40 mois, samedi 12 janvier 2019 à 8h59, la rupture d’une canalisation de gaz, associée à une étincelle, détruit des immeubles, une boulangerie et deux hôtels rues de Trévise, Bergère et Sainte-Cécile (IXe arrondissement). Comparable à une charge de 30 kilos d’explosifs, la déflagration tue deux pompiers, une infirmière et une touriste espagnole ; 53 hommes et femmes sont gravement blessés – quatre demeurent en phase de reconstruction. Et quelque 400 riverains perdent leur logement.

Les 8 et 11 septembre 2020, la Ville de Paris et la compagnie CIPA, syndic de copropriété qui gère les habitations surplombant l’épicentre du drame, sont mis en examen pour « homicides et blessures involontaires » et pour « destruction, dégradation ou détérioration par l’effet d’une explosion ou d’un incendie ». L’entreprise de BTP Fayolle, qui effectuait des travaux sur la chaussée, bénéficie du statut intermédiaire de témoin assisté.

Le 24 novembre dernier, les trois juges d’instruction avisent les parties de la fin d’information judiciaire. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel se profile alors à l’horizon du premier semestre 2022.

Désormais, elle est repoussée sine die.

Une odeur de gaz sentie deux jours avant l’explosion

À la demande de la mairie et du syndic s’opposant à la clôture du dossier, estimé « incomplet », la chambre de l’instruction a ordonné en mars qu’un nouveau collège d’experts reprenne les investigations (notre article du 30 mars 2022 ici). À ce jour, il nous a été confirmé qu’elles n’ont pas débuté ! Aucun des spécialistes en géologie, géotechnique et hydrologie requis n’a été désigné. Et, mercredi 18 mai, des parties civiles ont à leur tour sollicité un complément d’expertise afin d’éclaircir un élément du volet pénal qui, selon elles, n’aurait pas été correctement exploité.

Me Clarisse Serre, qui représentait hier l’association Victimes et rescapés de l’explosion rue de Trévise (VRET), la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (FENVAC) et onze autres demandeurs, estime en effet que l’enquête n’a pas retenu des témoignages de riverains, persuadés d’avoir senti une odeur de gaz dès le jeudi 10 janvier. Soit deux jours avant la tragédie. « Lors de la réunion que les juges d’instruction ont organisée le 24 novembre, on a compris qu’ils ne prenaient pas en compte leurs déclarations. J’ai aussitôt fait une demande d’acte, qui a été rejeté en décembre », explique l’avocate du Barreau de Seine-Saint-Denis.

Son appel de l’ordonnance rendue vise à « purger » ce point moins anodin qu’il n’y paraît. Si du gaz s’est échappé rue de Trévise antérieurement à la catastrophe, cela pourrait remettre en cause la thèse établie, soit la cassure brutale de la canalisation en raison de l’affaissement du trottoir constaté à sept reprises par les services de la Ville depuis le 8 juin 2015 (notre article du 25 novembre 2021 sur l’audit de l’Inspection générale de la mairie ici).

« J’en ai parlé aux policiers dès ma première déposition »

« Des expertises complémentaires ayant été autorisées, j’aimerais que ma question soit posée. Le parquet estime que l’on pourra en débattre devant la juridiction de jugement mais moi, je souhaite que le dossier soit en état au tribunal, que chaque piste soit explorée. Imaginez qu’au terme de trois semaines d’audience, on s’aperçoive qu’il manque des éléments, comment fait-on ? », s’interroge Me Serre.

Hier, lors des débats, Me Sabrina Goldman, avocate de la mairie, a abondé dans son sens : « Nous sommes d’accord, il ne doit plus y avoir de doutes. Les portes doivent être toutes ouvertes et toutes refermées, dans l’intérêt de la manifestation de la vérité. »

Si les magistrats, qui rendront leur arrêt le 15 juin, font droit à la requête, les témoins seront sans doute ré-entendus. L’un d’eux est formel : « J’en ai parlé aux policiers dès ma première déposition ! ». Un autre, sous couvert d’anonymat : « Nous sommes plusieurs à avoir senti des odeurs de gaz le 10 janvier. Nous les décelions par-ci, par-là, cela durait quelques secondes, un petit vent les chassait. Nous pensions que c’était à cause des travaux rue de Trévise. Certains l’ont dit juste après l’explosion, ceux qui étaient à l’hôpital n’y ont pensé qu’une fois rétablis. Pourtant, les juges n’ont gardé que la déclaration d’une employée d’un immeuble situé au n° 6 rue de Trévise. Prenant son service à 6h30, elle a certifié n’avoir rien senti. Nous ne comprenons pas pourquoi nous avons été oubliés. »

« Les relevés d’appels ont forcément été saisis par la justice »

Selon une source judiciaire, « cette thèse ne tient pas. Si des riverains ont effectivement senti une odeur de gaz, pourquoi n’ont-ils pas appelé GRDF (Gaz Réseau Distribution France) ou les pompiers ? Selon la procédure, ils seraient intervenus immédiatement. Et si fuite il y a eu le 10, pourquoi n’a-t-elle pas perduré le 11 ? [Les témoins ne disent pas qu’elle a disparu le 11, Ndlr]. Cette semaine-là, il n’y a pas eu d’intervention dans ce secteur. Si on avait téléphoné aux secours, à GRDF, il y aurait une trace. Les relevés d’appels ont forcément été saisis par la justice. Je crois que, de bonne foi, les victimes se reconstruisent des souvenirs. Après un accident de gaz, il y a toujours des gens qui évoquent a posteriori une odeur. Mais en ville, il y en a plein, notamment le soufre des égouts ».

Autre objection avancée : l’absence de tels signalements dans la procédure civile, menée en parallèle du volet pénal. Enfin, dernier obstacle de taille, qui vaut aussi pour les contre-expertises techniques accordées à la mairie et au syndic en mars : comment reconstituer les faits trois ans après quand tout a été réparé et reconstruit ? S’agirait-il « d’accrocher » GRDF qui n’est pas suspect, qui effectuait des contrôles réguliers et dont la responsabilité est écartée par les trois juges d’instruction ? Me Clarisse Serre s’en défend : « Notre seul objectif est d’éliminer ou de recentrer toutes les pistes. »

Contacté, l’avocat de la filiale d’Engie n’a pas souhaité s’exprimer.

Pour les familles des quatre morts, les blessés et les riverains sinistrés, « la procédure n’a que trop duré, confie une victime. Quand on lit les articles sur le procès du déraillement à Brétigny-sur-Orge [en cours jusqu’en juin dans l’Essonne, Ndlr], on s’interroge : va-t-on devoir, nous aussi, attendre dix ans pour que les prévenus soient jugés ? » Seule certitude à ce jour : ils ne le seront pas en 2024, comme cela fut un temps envisagé.

 

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