Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (5)

Publié le 30/11/2021

Faut-il montrer les images insoutenables des attentats dans le cadre du procès ? C’est cette difficile question qu’aborde notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, cette semaine. Elle défend un jeune couple qui a survécu à la tuerie du Bataclan.

Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (5)
Entrée du palais de justice de Paris rue de Harlay (Photo : ©O.Dufour)

Mercredi 24 novembre 2021 – 13 heures 13. Cela fait bientôt 3 mois que le procès des attentats du 13 novembre 2015 a commencé.

Je vous écris ces quelques lignes depuis l’audience, où les auditions des enquêteurs ont commencé il y a quelques jours. Des français, des belges, des autrichiens : nous allons faire le tour du djihad et du « contexte syrien ».

Après de très longues semaines à entendre plus de 350 parties civiles qui sont venues déposer leurs souffrances à la barre, j’ai ressenti le besoin de couper un peu et je n’ai pas écrit. Ce journal, que je tiens depuis le 8 septembre, m’oblige aussi à extérioriser mes sentiments d’avocate et je n’en ai pas l’habitude. Vous m’en excuserez certainement.

Les témoignages des enquêteurs sont particulièrement intéressants et dureront plusieurs semaines. Ils doivent éclairer la cour sur le contexte syrien, les déplacements internationaux des accusés, l’organisation de ce djihad qui a entrainé la mort de nos 131 victimes : ces questions-là sont essentielles. Jusque ici, on a très peu entendu les avocats de la défense. Ils n’ont quasiment pas posé de questions aux parties civiles venues témoigner de leur douleur à la barre et ça se comprend. Mais désormais, le procès a repris une tournure plus classique et les avocats de la défense interrogent les témoins ; ce contradictoire est enrichissant.

Voir, pour comprendre

Car pour juger les accusés, il faut les comprendre.

Comprendre n’est pas excuser. Ni pardonner.

Comprendre un accusé permet d’accepter et de continuer sa route.

Il nous faut d’abord comprendre comment ils en sont arrivés là : nous avons ainsi évoqué, mais assez rapidement je dois le dire, leur personnalité (hors question de la religion). Les histoires de famille, la scolarité, les éventuelles condamnations pénales nous en apprennent un peu plus sur ces 14 hommes présents à la cour d’assises de Paris. Ce qu’ils ont fait en détention et comment ils se comportent. Si la cour d’assises doit juger des faits, elle juge aussi des hommes. Chacun a son propre passé, sa propre histoire et est arrivé à commettre l’indicible pour des raisons précises. Le but de cette audience est aussi de connaitre ces raisons.

Il nous faut comprendre ensuite comment, en pratique, ils ont fait pour se trouver, s’organiser, se déplacer, se contacter ? Où se sont-ils retrouvés pour monter ce funeste projet d’attentat ? Nous parlons ainsi beaucoup de la Syrie, et de ce qu’il s’y est passé.

Et ce qu’il s’y est passé est immonde. Il n’y a pas d’autre mot.

Certains enquêteurs ont ainsi souhaité montrer des photos et des vidéos. Parfois insoutenables, comme l’immolation de ce pilote jordanien, capturé suite au crash de son avion et brûlé vif dans une cage. Personne ne s’est opposé à la diffusion de ces images. Et pour cause, le terrorisme c’est ça.

Mais alors pourquoi n’avons-nous pas regardé les photos des lieux des attentats ? Pourquoi ces photos sont-elles restées, pour le moment, dans le secret du dossier d’instruction ? Pourquoi avoir refusé de montrer les photos des terroristes qui se sont fait exploser dans les restaurants ? Des victimes décédées ?

Des images insoutenables

En préparant cette audience, je me suis forcée à regarder ces photos. J’étais en effet persuadée qu’elles seraient montrées à l’audience et je voulais ainsi me préparer pour éviter d’avoir une réaction incontrôlée lors de leur diffusion. Je les ai regardées ces photos alors que j’étais à mon bureau, dans mon environnement, en sécurité. Et surtout, quand je me suis sentie prête à le faire.

Tous ces visages, ces corps… ce sang.

Et surtout la tête de ce terroriste. Sans corps. Juste sa tête. Avec un petit bout de sa colonne vertébrale qui avait tenu malgré l’explosion de sa ceinture d’explosifs.

J’ai beaucoup hésité avant de vous donner ces détails. Cette photo, précisément, est restée dans ma tête. On ne choisit pas ses souvenirs. Être avocate, c’est aussi savoir encaisser des images comme celle-là.

Pourquoi ne pas les montrer ? C’est ça le terrorisme, non ?

Des hommes qui n’ont pas eu de scrupule à ne laisser qu’une simple tête à enterrer à leur famille ?

Je me souviens de la vidéo du Comptoir Voltaire où Brahim Abdeslam a fait exploser sa ceinture d’explosifs le soir du 13 novembre, faisant plusieurs blessés. Pourquoi avoir montré la vidéo mais pas les photos de son corps ? Par pudeur pour qui ? Elles sont pourtant au dossier aussi ces photos !

Par respect pour qui ? N’avons-nous jamais vu, dans les audiences de cours d’assises, des images de scènes de crimes, des cadavres ? N’est-ce pas là le rôle de notre justice : voir ce que ces hommes sont accusé d’avoir fait ? Voir jusqu’à quel point ils sont capables d’aller au nom de leur idéologie ?

Si nous jugeons des hommes accusés de terrorisme, il faut voir ce qu’est le terrorisme. Montrer ces photos. Montrer le dossier que nous avons. Comprendre comment ils ont pu en arriver jusque-là.

La cour d’assises doit juger.

Sans crainte.

Sans retenue.

Gageons qu’elle le fera.

 

 

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