Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (6)

Publié le 07/12/2021

Appareils photos et caméras sont interdits dans les salles d’audience en France. Seuls les dessinateurs de presse peuvent donc rendre compte de ce qu’il se passe visuellement dans un procès.  Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, défend un jeune couple qui a survécu à la tuerie du Bataclan. Elle a passé toute une audience aux côtés d’une dessinatrice et confie son admiration pour ce travail.  

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : @P. Cluzeau)

 

Chers Lecteurs,

Alors que les débats autour de la sincérité et de la bonne volonté des enquêteurs belges font rage à la cour d’assises de Paris (ils veulent témoigner anonymement et en plus ils ne répondent pas à toutes les questions qui leur sont posées, au point qu’ils ont réussi l’exploit de se mettre à dos les avocats de la défense, mais aussi ceux des parties civiles), il m’est arrivé quelque chose d’un peu exceptionnel aujourd’hui et je ne pouvais pas attendre pour vous le raconter.

Cet après-midi, mon audience a pris vie sous les coups de crayons d’une dessinatrice formidable.

Il était 12h40 lorsque je suis arrivée à l’audience. Je me suis installée, presque comme d’habitude, sur le premier banc, là où je peux poser mon ordinateur et être face aux magistrats de la cour d’assises spécialement composée. Je ne sais pas si mes confrères vivent la même chose, mais dans chaque salle d’audience dans laquelle je suis amenée à passer quelques heures ou plusieurs jours, je me fais toujours ma place. Cela me rassure : je m’y sens comme chez moi. Et lorsque je plaide dans une cour d’assises dans laquelle je n’ai jamais mis un pied, j’arrive toujours en avance pour trouver mon endroit.

Un petit bout de femme souriante derrière son masque

L’homme est un animal qui marque son territoire. L’avocat aussi.

Alors que je posais mes affaires, un petit bout de femme d’une soixantaine d’année avec un badge orange s’est installée à côté de moi, non sans m’avoir demandé si cela ne me dérangeait pas. Bien sûr que non, j’apprécie d’être non loin du public et il m’arrive même, de temps en temps, de me faufiler dans une salle d’audience sans ma robe d’avocate et de m’asseoir au milieu de l’assistance incognito pour écouter ses réactions et ses sentiments.

Le public voit toujours l’avocat comme quelqu’un d’inaccessible. Ce qui n’est pas mon cas. Mais sans ma robe, je suis comme lui. Et le dialogue est plus facile. J’ai gardé cette habitude prise durant mes études de droit et j’apprécie ces rares moments où je suis là, sans être vraiment avocate puisque je suis sans ma robe.

J’en reviens à ce petit bout de femme souriante derrière son masque. Ses cheveux gris bouclés. Et ses grosses boucles d’oreilles de couleur bleu. Plus petite que moi. Énergique, charmante. Bienveillante.

Elle a alors sorti son matériel de son sac noir presque plus grand qu’elle : un book de papier et deux petites boites. L’une de crayons noirs et l’autre de peinture à l’eau, comme celle de ma mère lorsqu’elle peignait. Des petites boites en acier, à l’ancienne qui font un clic en les ouvrant. J’ai compris qu’elle était dessinatrice.  Habituellement, elle s’installait sous le pupitre des magistrats, face aux témoins et aux avocats. Je l’avais donc vue de loin, sans jamais pouvoir l’approcher.

Elle m’a confié que la veille, elle avait dessiné depuis le fond de la salle, et qu’aujourd’hui, elle souhaitait trouver un nouvel angle de vue en se mêlant à nous, les avocats de la partie civile.

Durant près de trois heures, elle a donné vie à la cour d’assises sur son papier blanc. L’observer, c’était comme regarder un dessin animé au ralenti. De son coup de crayon incroyable, elle reproduisait sous mes yeux  la scène à laquelle nous assistions.

Saisir un mouvement de main, un regard sombre, une chevelure de femme, un regard interrogateur, un souffle agacé, une main crispée…

Elle a ainsi dessiné, au premier plan, deux confrères : l’un, très concentré à quelques centimètres d’elle, qui prenait des notes sur son ordinateur, avec sa bouteille d’eau et son sac, posé à ses pieds.

Un moment d’audience hors du temps

Et l’autre, juste derrière, qui enlevait son masque pour manger un m&m’s aux fruits. Cette artiste étonnante a réussi restituer l’élégance de son port de tête et la profondeur de son regard posé sur les magistrats. Je me souviens encore de ce détail qu’elle est parvenue à faire apparaitre sur son dessin : le col roulé de son pull noir qui dépassait légèrement de sa robe d’avocat.

C’était un moment d’audience hors du temps. J’écoutais l’enquêteur belge faire sa déposition alors qu’il apparaissait doucement sous ses doigts enchanteurs. Elle changeait parfois de crayon noir, lorsque certains traits méritaient une pointe plus fine.

On ne parle pas souvent des dessinateurs d’audience. A force, un peu comme nous les avocats, ils se fondent dans le décor de notre spectacle judiciaire.

C’est pourtant grâce à eux que le public peut se faire une idée de ce qu’il se passe dans ces salles interdites aux appareils photos et aux caméras. Au-delà du témoignage, leur travail relève de l’art.

De l’art, au milieu de ces audiences de l’horreur. C’était beau. Ça méritait une chronique.

 

 

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