Simplifions la procédure pénale : laisser le témoin assisté à sa place ?

Publié le 20/03/2023

Dans le cadre du plan d’action pour la justice issu des États généraux, Valérie-Odile Dervieux, déléguée régionale Unité Magistrats SNM FO, a des suggestions à faire au comité scientifique en charge de la simplification de la procédure pénale.

Après un premier volet consacré  aux nullités, un deuxième portant sur la maîtrise des délais, un troisième relatif à la prescription, un quatrième sur l’expertise, et un cinquième consacré aux procédures négociées, la magistrate se penche cette semaine sur le statut du témoin assisté. 

Simplifions la procédure pénale : laisser le témoin assisté à sa place ?
Photo : ©AdobeStock/Mike Fouque

Le statut du témoin assisté, un échec ?

La notion de témoin assisté (TA), apparue il y a un peu plus de 35 ans (art 104 CPP, L 87-1062 du 30 déc. 1987), complétée par la loi du 4 janv. 1993, fait l’objet d’un statut défini par la loi du 15 juin 2000  complété par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.

On dit traditionnellement que le TA est « plus » qu’un témoin et « moins » qu’un mis en examen (MEE) :

*il se distingue du MEE en ce qu’il n’existe pas à son encontre des indices graves ou concordants de nature à qualifier son implication dans les faits dont le juge d’instruction est saisi ;

*il se distingue du témoin en ce que les éléments de la procédure rendent vraisemblable cette implication ou/et qu’il est visé nommément par certains actes (plainte, témoignage, réquisitoire).

Le système témoin/TA/MEE repose donc sur une évaluation des éléments d’implication résultant de la procédure.

Si le TA a moins de droits que le mis en examen, il ne peut, contrairement à lui, être soumis à une mesure de sûreté (qui nécessite que soient avérés les indices graves ou concordants d’une implication[1]) ou être renvoyé devant une juridiction de jugement (qui induirait de caractériser des charges suffisantes de son implication : art. 176 et suivants du CPP).

Les statuts de TA et de MEE sont « réversibles » en cours de procédure sur demande du mis en cause, sur décision du juge d’instruction ou suite à l’annulation de la mise en examen pour défaut d’indices graves ou concordants.

Contrairement au ministère public, au MEE et à la partie civile, le TA n’est pas une partie[2].

Il ne bénéficie donc pas de l’ensemble de leurs droits et prérogatives et ne peut se prévaloir que des droits que la loi lui accorde expressément (articles 113-1 à 113-8 , 82-1 , 161-1  173, 152, 164, 167 dernier al, 175, 175-1, 183 et 197-1 du Code de procédure pénale).

Les droits du TA ont été étendus par les textes (v. supra) mais aussi par la jurisprudence de la Cour de cassation et une décision du conseil constitutionnel (Crim. 21 juin 2005, no 05-81.491. ; Crim. 16 juin 2011, no 11-80.618, Crim. 31 octobre 2017, no 16-86.897 et QPC décision n°2022-999 17 juin 2022)

Malgré cela, il apparaît aujourd’hui que l’objectif de la loi du 15 juin 2000 (« dans toute la mesure du possible, éviter les mises en examen, qui sont trop souvent perçues dans l’opinion publique comme une preuve de culpabilité » [3]) n’a pas été atteint : le nombre de TA reste réduit au regard de celui des MEE :

Justice pénale – Édition 2022 : Auteurs mis en cause à l’instruction selon leur statut

unité : auteur
2019 2020 2021
Ensemble dont mineurs
(en %)
Mis en examen 30 532 26 401 29 518 10,1
Témoin assisté 890 659 840 5,2

En outre, le statut de TA entraine des complexités procédurales dont les avocats de la défense estiment qu’il peut se révéler préjudiciable à leurs clients.

Le statut du témoin assisté : un challenge pour le caractère équitable du procès ?

Coincé entre un statut qui se veut protecteur mais qui limite ses prérogatives, les avocats estiment que le TA se trouve dans un entre-deux procédural qui complexifie les stratégies de défense.

Certes le TA peut solliciter sa mise en examen (art 113-6 CPP), mais il prend le risque de se voir soumis à des mesures de sûreté, de se voir renvoyé devant une juridiction de jugement et, plus encore, de porter atteinte à sa propre présomption d’innocence.

Certes le TA peut rester passif durant l’instruction mais sa stratégie de défense est nécessairement impactée par le risque de glisser tardivement, voire au terme d’une instruction parfois longue vers le statut de MEE, risque non sanctionné puisque la décision relève du pouvoir souverain du juge d’instruction (Crim. 18 mars 2015, n° 14-86680) [4].

Les propositions du Conseil d’État et du comité des états généraux de la justice : simplification ?

Le rapport des États généraux de la justice, reprend mot pour mot une proposition n° 32 intitulée « favoriser le développement du statut de témoin assisté » formulée par le conseil d’État (le juge administratif aurait-il une meilleure vision de la procédure pénale que le juge judiciaire ?) dans un rapport consacré à « La prise en compte du risque dans la décision publique » du  25 juin 2018.

Sur la base d’un présupposé contestable (l’absence de critères encadrant le choix fait par le juge d’instruction, entre les statuts de TA et de MEE), le Conseil d’État estime souhaitable que le législateur pose le principe suivant :  « quel que soit le degré de son implication, une personne mise en cause ne peut être entendue que sous le statut de témoin assisté ».

Deux exceptions seraient prévues dans lesquelles le TA deviendrait MEE lorsque le juge d’instruction :

*envisage de prendre/solliciter à son égard une mesure de sûreté,

*lorsque, en fin d’instruction, il envisage un renvoi devant la juridiction de jugement.

Le Conseil d’État estime en effet que le dispositif législatif actuel « repose sur des distinctions artificielles » et qu’il convient donc de l’abandonner.

Il juge plus cohérent que, sauf mesures coercitives, la décision sur la mise en examen n’intervienne qu’en fin d’information, qu’il convient « d’éliminer le contentieux de la mise en mise en examen » (annulation en raison de l’insuffisance des indices, retrait en raison de la disparition des indices) qui perturbe/retarde le cours de l’instruction, « accentue la confusion entre suspicion et culpabilité en ouvrant en cours d’information un débat sur le fond du dossier » dans le cadre de décision pouvant apparaître comme  « un préjugement ».

Le Conseil d’État propose donc de modifier les champs d’application respectifs des statuts de mis en examen et de témoin assisté et de reconnaître au second de droits « plus étendus » notamment en matière d’expertise,

En décorrélant l’évaluation des indices d’implication des statuts de témoin assisté/mis en examen et en liant le statut de MEE à la mise en œuvre de mesures de sûreté ou à l’existence de charges permettant in fine le renvoi devant la juridique de jugement, la haute juridiction ne propose-t-elle pas in fine, même si elle s’en défend, de transformer un statut en une simple question de vocabulaire ?

Le rapport des États généraux y ajoute une proposition de « réflexion sur la temporalité de la mise en examen avec, par exemple, un basculement automatique vers le statut de témoin assisté au bout d’un certain délai, lorsque la procédure n’a connu aucune évolution ».

Plus simple ?

S’agissant de la proposition alternative du rapport du comité des États généraux de « basculement automatique vers le statut de témoin assisté » et donc de disparition induite des mesures de sûreté, elle interroge :

– Les risques de report des contentieux vers les audiences relatives aux conditions d’application de l’art 144 CPP,

– La notion « d’évolution de la procédure » au regard :

*des temps de prescription,

*des moyens de la justice/ police,

*de la temporalité liée aux fuites/manœuvres dilatoires, aux investigations transnationales, aux infractions complexes

*de la notion de « délai raisonnable » dont la Cour de cassation vient de sérier les effets (crim 9 novembre 2022 n° 21-85.655).

Mais c’est manifestement la proposition du conseil d’État qui trouve les faveurs du ministère de la justice qui, dans son avant-projet de loi simple 1 ouvre de nouveaux droits au TA pour les aligner sur ceux du MEE en matière de demande d’expertise (art 156, 167 et 186 CPP) d’où les questions :

– Peut-on fonder un raisonnement de procédure pénale sur une réflexion relative aux « décideurs publics » ?

– Le débat de fond, le risque de « préjugement » et les recours ne risquent-ils pas de se déplacer vers

*les décisions de placement sous le statut de témoin assisté (quels critères ?),

*les débats, beaucoup plus fréquents que les contentieux actuels sur les mises en examen, relatifs aux mesures de sûreté ?

Finalement, partant du constat de l’échec du statut de témoin assisté, pourquoi ne pas envisager des solutions plus simples, voire plus radicales ?

*supprimer le TA ?

*Ou juste faire du TA une « partie » ?

[1] Crim 14 octobre 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 20-82.961)

[2] Crim., 21 juin 2005, n°05-81.694; 2 septembre 2009, n° 08-86.938; 21 mars 2012, n°07-88.300 et 10-88.110

[3] Synthèses :  statut du TA   :

Commentaire Décision n°2022-999QPC du 17 juin 2022

Le témoin assisté: définition et droits Agnès Secretan, Juriste, Responsable de La GBD
Novembre 2022

[4] Vers une évolution des droits processuels du témoin assisté ?, Meryl Recotillet, Dalloz actualités 1er juil 22

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