« Il faut sortir de l’idée que le propriétaire est conservateur, possédant et donc riche »

Publié le 27/05/2016

Une nouvelle fois, les commissions ont choisi quatre grands axes afin de tenir une réflexion sur la propriété immobilière dans un contexte juridique particulièrement chargé. François Devos, rapporteur général du 112e Congrès des notaires de France, nous explique pourquoi il était essentiel de dresser « un état des lieux de la propriété immobilière ». Un droit qui se trouve aujourd’hui au cœur de notre société et nécessite pourtant de nombreuses évolutions.

Les Petites Affiches – Quel était le rôle des commissions dans le cadre du Congrès ?

François Devos – La préparation de notre Congrès se déroule en deux grandes phases : la première, c’est celle de la préparation des travaux qui aboutissent à la rédaction et la production d’un rapport avec l’objectif de faire un état des lieux du thème choisi, la propriété immobilière, mais aussi d’annoncer les pistes de prospectives. Il a déjà été diffusé à l’ensemble de nos confrères et selon le sujet au plus grand public concerné, généralement le monde scientifique et les praticiens. Les quatre commissions qui se sont réparties les travaux ont œuvré durant deux ans pour produire un travail dont nous pouvons être fiers et qui sera, je l’espère, un ouvrage de référence. Évidemment, nous ne pouvions pas faire l’impasse sur les points fondamentaux qu’implique l’analyse de la propriété immobilière aujourd’hui.

LPA – Pouvez-vous nous présenter les quatre commissions et la manière dont elles se sont réparties les travaux ?

F. D. – La première « établir et protéger la propriété immobilière » s’est attachée à définir ou redéfinir la propriété immobilière, la deuxième travaille sur les limites de son exercice et la troisième répond aux défis de la propriété immobilière à la fois dans l’espace, face aux voisins et le temps. Enfin, la quatrième commission se veut très pratique puisqu’elle traite de l’optimisation fiscale de la propriété de l’immeuble. Il était important de revenir à la définition même du droit de propriété, celle-ci a connu de nombreuses évolutions dont il fallait reparcourir les contours. Tout particulièrement depuis 2012, date à laquelle on a vu apparaître avec l’arrêt « Maison de la Poésie » une nouvelle catégorie de droit réel dite résiduelle : le droit réel de jouissance spéciale, à laquelle la Cour de cassation n’a pas encore réellement donné de régime juridique même si cela semble être en cours. La première commission a donc beaucoup travaillé pour savoir de quelle manière on pouvait étoffer ce nouveau droit réel, mais aussi imaginer ce qu’il peut devenir concrètement à l’aide de quelques pistes que nous formulons dans les conclusions de nos travaux écrits et de nos futures propositions que nous réservons à nos confrères à Nantes début juin. De même, les définitions de l’immeuble ont dû être réétudiées, car elles ne correspondent plus forcément aux situations actuelles. Nous nous sommes ensuite penchés sur les limites spatiales de la propriété : les notions de bornage, d’alignement, l’empiétement… En réalité l’exercice a été réalisé en essayant de partir des notions fondamentales pour aboutir à des choses très pratiques.

LPA – Le cadre légal et réglementaire qui encadre l’exercice de la propriété est-il problématique pour les propriétaires d’aujourd’hui ?

F. D. – Résolument la réponse est positive ! Beaucoup de futurs propriétaires renoncent au choix d’un investissement locatif compte tenu de la complexité de la chose et de l’imbroglio qui existe dans les relations entre propriétaire et locataire. On peut rajouter à cela la difficulté qui existe lorsqu’on souhaite récupérer son logement à terme face au renforcement des droits du locataire. En fin de compte, on se pose la question de savoir si cette volonté, certes légitime, de protéger le locataire et de donner un logement à tous, ne se trouve pas être contre-productive puisque évidemment le parc immobilier privé est plus que jamais un complément essentiel au logement public. La deuxième commission constate donc que la plus forte des limites à l’exercice de la propriété immobilière est le droit de l’occupant. Il n’est pas question de polémiquer sur la nécessité pour tous d’être logés et décemment logés, mais nous constatons que les dernières réformes qui visent à renforcer les droits de l’occupant ont profondément déséquilibré les relations entre propriétaires et locataires. Ce qui, à terme, est justement contre-productif à la résolution de la crise du logement qui touche notre pays.

LPA – De quand datent les fondements de notre droit immobilier ? Y a-t-il une nécessité à dépoussiérer les définitions de ce droit ?

F. D. – Les définitions du droit de propriété et de l’immeuble datent des origines de la rédaction du Code civil. Même si l’évolution est en cours pour la propriété depuis 2012, d’autres aspects restent encore sclérosés, comme les qualifications de meuble et d’immeuble par exemple. Nous souhaitons, à notre niveau, faire évoluer un certain nombre de ces notions en s’appuyant sur des pratiques quotidiennes. Le maître-mot est que l’institution qu’est la propriété immobilière, souvent vue de manière classique et poussiéreuse, peut aussi être vu de manière moderne si on la regarde sous le bon angle et si nous souhaitons qu’elle demeure le socle du progrès social et économique de notre modèle sociétal. Nous voulons contribuer à libérer la propriété pour qu’elle puisse accompagner les mutations sociales que nous constatons, mais en restant respectueux de l’ordre public des biens. Il s’agit pour notre profession d’être en quelque sorte à la pointe de l’évolution et non de participer à une révolution !

LPA – La quatrième commission sera consacrée à l’optimisation fiscale et la valorisation juridique de l’immeuble. Pouvez-vous nous expliquer quels sont les enjeux autour de ces deux points ?

F. D. – Dans les faits, on s’aperçoit que lorsque vous avez un immeuble comme seul bien d’importance, la question de l’optimisation se pose très rapidement. Dès son acquisition, il faut réfléchir à comment j’achète, en fonction du bien, de mon statut (s’il s’agit d’un logement ou d’un local d’exploitation d’une entreprise par exemple), il faut faire certains choix dès le départ. Si ces choix ne sont pas faits, cela peut couter très cher ensuite. L’enjeu de l’optimisation c’est aussi de savoir acheter, mais aussi transmettre ou vendre son immeuble aux meilleures conditions. La quatrième commission revient également sur des méthodes plus anciennes et classiques sur lesquelles on revient telle que le viager ou le prêt hypothécaire viager, qui semblent promises à un nouvel avenir à condition toutefois de les dépoussiérer.

LPA – Les incertitudes que peut parfois créer l’actuel droit à la propriété sont-elles un de ces principaux problèmes ?

F. D. – Récemment, les praticiens ont constaté une montée en puissance de ce que certains auteurs ont qualifié « d’ubérisation du droit ». Le droit considéré dangereusement comme un service ordinaire doit être accessible facilement et rapidement, la sécurité juridique de la transaction n’est plus une priorité. Pour ce qui concerne la propriété, cela se traduit par une mise en avant de l’utilité du bien. Le droit de propriété, institution gravée dans le marbre, doit en effet se moderniser pour ne pas mourir dans sa conception classique et je pense que c’est ce qui transparaît de nos travaux. L’enjeu est de trouver de quelle manière cela doit s’effectuer tout en gardant en tête qu’il est nécessaire de répondre aux attentes des nouveaux primo-accédants. Et ce qui intéresse ces derniers c’est de vivre dans un endroit précis plutôt que d’avoir un droit perpétuel sur un immeuble. C’est l’une des raisons qui nous ont poussés à nous intéresser de près à la propriété temporaire. Grâce aux nouveaux droits réels, on pourra peut-être accéder à de nouveaux modèles de propriété temporaire, le chantier est énorme !

LPA – Quels enjeux présente la loi Alur pour la profession et quel bilan pouvez-vous en dresser ?

F. D. – Je n’ai bien sûr pas vocation à parler au nom de la profession et beaucoup de choses ont déjà été dites à ce sujet. Néanmoins, je pense que l’on peut considérer sans prendre trop de risques que le bilan de cette loi est plutôt mitigé, voire même négatif. On ne demande pas l’abrogation de cette loi bien sûr. Cependant, la deuxième commission qui traite de nombreux sujets intéressant les dispositions de la loi Alur, insiste sur la nécessité de la réformer. Au final on se demande si l’aspect contre-productif de certains aspects de cette loi, notamment celle sur droit de préemption du locataire, n’ont pas des effets pervers que l’on commence juste à mesurer aujourd’hui. Il faut sortir de l’idée que le propriétaire est conservateur, possédant et donc riche. Les propriétaires, ce sont des gens comme tout le monde, c’est vous, c’est moi… Ce sont souvent des personnes pour lesquelles il paraît juste fondamental de pouvoir avoir un toit au-dessus de leur tête et de préparer une meilleure retraite. On est loin de l’idée du possédant-bourgeois du XIXe siècle, mais les clichés ont la vie dure !

LPA – Pensez-vous que les résultats de ce Congrès pourront influer sur l’évolution du droit de la propriété immobilière ?

F. D. – Le but d’un Congrès des notaires de France, avant toute chose, c’est de dresser un état des lieux du droit positif, de relever un nombre d’incohérences ou de difficultés et d’essayer de donner des réponses. D’après moi, notre Congrès, le 112e du nom, répond parfaitement à cette feuille de route. Dans les quatre parties du rapport, vous pourrez observer les problèmes les plus importants qui sont posés aux praticiens au quotidien. Et en proposant un certain nombre de changements et d’évolutions à nos confrères, qui voteront à Nantes du 5 au 8 juin prochain, nos travaux ont pour objectif de faire évoluer les règles de droit en les portant au nom de la profession à l’appréciation des pouvoirs publics et de la représentation nationale. C’est là l’objet de notre Congrès. Il n’est pas question de coller à des effets de mode, mais une fois encore d’accompagner l’évolution. Aujourd’hui, on se rend compte que les lois ne sont plus faites en partant d’un constat factuel ou d’une réflexion, certaines sont mal-pensées à l’origine et doivent pouvoir être corrigées. Nous sommes simplement là pour apporter notre expérience, celle de l’exercice du droit et du contact du client au quotidien, et expliquer les difficultés que l’on peut avoir à appliquer et surtout expliquer certaines règles. Nous appelons donc à des réformes.

LPA – Que peut-on vous souhaiter pour ce Congrès ?

F.D. – Un grand nombre de participants déjà. Un Congrès qui soit une tribune d’une profession qui n’a pas peur d’évoluer et d’anticiper. Et puis aussi que ce Congrès soit l’occasion de nous retrouver plus forts et plus prêts que jamais aux enjeux de demain. Nous ne sommes guère inquiets, car après tout la propriété et l’immeuble, ce sont est tout de même la colonne vertébrale de notre activité.

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