« J’espère que l’on pourra débattre »
Amateur de débats, Gilles Bonnet a été choisi pour être le chef d’orchestre du 116e Congrès des notaires de France et mettre en musique le travail des différentes commissions. Il nous en raconte les coulisses.
LPA : Quel est le rôle d’un rapporteur général ?
Gilles Bonnet : Le rôle du rapporteur général est de coordonner les travaux des équipes, de faire en sorte qu’il y ait une unité et une cohérence des différents thèmes abordés. Il faut pour cela s’assurer que les commissions n’empiètent pas sur les autres, qu’il n’y ait pas de contradictions. C’est un travail de management, il faut encourager les équipes. C’est très agréable de confronter les points de vue, d’entendre des gens qui pensent différemment de vous. C’est littéralement passionnant.
LPA : À qui s’adressent les travaux du Congrès ?
G.B. : Nous ne nous adressons pas uniquement aux notaires, mais aux professionnels du droit dans leur ensemble. Des tas de questions juridiques vont être abordées, traitées, commentées, peut-être même pour certaines résolues. Un rapport est une mine de renseignements. Vous avez une doctrine, une jurisprudence qui est citée, des analyses et des clauses qui sont proposées. Vous trouvez des tas de choses, et c’est très bien organisé, avec un index qui vous permet directement d’aller au thème qui vous intéresse.
LPA : Ce Congrès porte sur le vaste thème de la protection. Celui-ci vous a-t-il inspiré ?
G.B. : Le thème de la protection est passionnant car il implique de mettre en balance les besoins de sécurité et de protection. La protection c’est bien beau, mais pour protéger, il faut réglementer ! Il faut savoir ce qu’on veut. Si vous voulez de la liberté, vous n’aurez pas de protection. Celui qui veut de la protection doit accepter de se soumettre à un cadre légal qui le protège. Vous vous mariez, vous avez des obligations mais aussi une protection en cas de séparation. Dès qu’on a un statut, on a une protection. La liberté a un prix. On ne peut pas revendiquer l’un et l’autre, cela n’existe pas.
LPA : Lequel de ces deux besoins prime selon vous ?
G.B. : L’être humain est profondément contradictoire. On veut de la liberté et de la sécurité. Nous, notaires, devons faire œuvre de pédagogie. Par exemple, nous expliquons à nos clients les différents types d’union, et chacun fait ensuite son choix en fonction de son désir de protection, de sécurité et de liberté. Je remarque que les gens, dans l’ensemble, vont plutôt vers un cadre légal fort. Sans doute avons-nous au fond de nous-même le besoin d’être cadrés. La liberté fait peur. La liberté, c’est aussi la responsabilité. La protection est au confluent de différents thèmes : La liberté, la responsabilité, l’économie aussi. L’exemple immobilier est parlant. Si je protège beaucoup le locataire, est-ce que je ne vais pas décourager le propriétaire de louer ? Si tel est le cas, je ne suis pas sûr qu’on aura avancé sur la protection du locataire. Si plus personne ne veut louer, cela n’est pas bon pour l’économie non plus. Tout cela est une question d’équilibre.
LPA : Les débats en commission ont-ils été mouvementés ?
G.B. : La première commission portait sur la capacité et sur les incapacités, la deuxième sur le droit de la famille, la troisième sur les ventes immobilières et les contrats de location, la quatrième sur l’acte notarié lui même. Nous étions en général d’accord sur le but et le chemin à parcourir. Sur la réserve héréditaire, qui a beaucoup mobilisé la deuxième commission, on était tous d’accord pour dire qu’il fallait la conserver mais l’aménager. Sur la protection du locataire, on était également tous d’accord pour dire que trop de protection tue la protection, et qu’à force de protéger on peut arriver à un résultat inverse. Chacun donnait son avis sur le thème des autres commissions en plus de la sienne. Il y a eu des discussions sur des points de doctrine, des manières différentes d’aborder les choses en fonction de la personnalité de chacun. Il n’y a pas eu de débat sur les grandes orientations générales.
LPA : À quoi sert la quatrième commission sur l’acte notarié et le rôle du notaire ?
G.B. : Il ne faut surtout pas repenser la mission des notaires, mais se rappeler à quoi ils servent. Ils sont très bien là où ils sont. La pire des choses serait de vouloir singer le droit anglo-saxon et se priver du rôle qu’ils peuvent avoir. Ils représentent l’État dans les contrats. Le notaire va constater l’accord des parties en donnant une force particulière à ces actes. Mais la constatation seule ne fait pas la force du notaire. On lui associe un devoir de conseil. Nommé par l’État, il doit conseiller l’une partie comme l’autre et se garder de donner prise à la contestation. Le notaire doit être impartial. C’est toute une mission. C’est précieux. Cela lui permet d’assurer la sécurité du contrat. Or la sécurité, c’est aussi de la protection. Vous remarquerez qu’assez peu d’actes notariés se retrouvent au tribunal.
LPA : Quelles sont vos attentes pour ce Congrès ?
G.B. : J’aimerais qu’il y ait du monde, en dépit du contexte sanitaire actuel. On espère que ceux qui hésitent à se déplacer seront là en digital. Eu égard au travail fourni, aux thèmes abordés, qui devraient intéresser énormément la pratique notariale et au-delà, j’aimerais qu’on nous entende, qu’on nous écoute. Pas forcément que l’on soit d’accord avec nous mais simplement pour que l’on puisse débattre. On a pris certaines positions, avec lesquelles on peut évidemment ne pas être d’accord. Confronter les points de vue, c’est cela le but d’un congrès. Un congrès de notaires est fait pour discuter, échanger. C’est irremplaçable. On a travaillé pendant plus de deux ans pour cela. Ce serait dommage qu’il n’y ait pas de débats.
LPA : Vous redoutez cela ?
G.B. : Les travaux sont là, ils sont présents, ils existent, on peut en prendre connaissance. C’est un acquis. J’aurais néanmoins des regrets si la profession notariale ne se mobilisait pas. Les notaires qui ont participé aux commissions ont énormément travaillé, en plus de leurs propres entreprises à faire tourner. Ils ont pris du temps sur leurs vacances et leurs week-ends. C’est un gros sacrifice pour les notaires qui sont choisis et ont contribué à ce rapport de 1 100 pages.