« En matière de PMA, le droit à connaître ses origines entre en concurrence avec le droit à la vie privée »

Publié le 01/03/2024

100 000 personnes sont nées d’une PMA avec tiers donneurs à ce jour en France. La plupart d’entre elles ignorent l’identité du donneur qui a permis leur naissance. La nouvelle loi de bioéthique, entrée en vigueur en septembre 2022, a créé une Commission d’accès aux origines, pour rapprocher les donneurs consentants des personnes issues de leur don. Mais au bout d’un an d’existence, cette commission n’a permis de connecter que 3 personnes à leur donneur. Un manque d’efficacité qu’ont dénoncé des personnes issues de dons, qui revendiquent avec force d’accéder à leurs origines. En réponse à ces prises de position, Frédéric Letellier, ancien donneur et membre de la Commission d’accès aux origines pour les personnes conçues par don (CAPADD), a souhaité exprimer son point de vue de donneur. Rencontre.

Actu-Juridique : Pourquoi avez-vous voulu rejoindre la CAPADD ?

Frédéric Letellier : La dernière révision de la loi bioéthique (L. n° 2021-1017, 2 août 2021) a instauré un droit d’accès aux origines afin de permettre aux personnes issues d’un don de connaître l’identité du donneur. Depuis le 1er septembre 2022, tous les nouveaux donneurs de gamètes et d’embryons doivent consentir à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes, aux personnes nées de leurs dons qui en font la demande. Ces données sont renseignées par le donneur et conservées dans le Registre des dons de gamètes et d’embryons tenu par l’Agence de la biomédecine (ABM). La Commission d’accès aux origines pour les personnes conçues par don (CAPADD) a pour mission de rendre effectif le droit d’accès aux origines. La Commission est composée de 16 membres, dont 6 représentants d’associations dont l’objet relève du champ d’intervention de la Commission. Étant le responsable de l’association Dons de gamètes solidaires, c’est à ce titre que j’ai pu candidater pour rejoindre la CAPADD. J’estimais que les donneurs avaient toute leur place dans cette commission.

AJ : Qu’est-ce qu’un « don de couple » ?

Frédéric Letellier : La première loi de bioéthique a permis d’encadrer la pratique de l’assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur en reprenant les règles éthiques instaurées en 1973 par les fondateurs du premier CECOS (Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme). Afin d’éviter que cette pratique ne soit assimilée à un adultère, les fondateurs des CECOS voulaient que cette pratique soit perçue comme un don pratiqué entre un couple fertile (c’est-à-dire ayant au moins un enfant) et un couple infertile. Pour cette raison, les deux membres du couple donneur ainsi que les deux membres du couple bénéficiant du don devaient consentir au don. C’est dans ce cadre que mon couple a fait un don de spermatozoïdes et que nous avons conjointement consenti à ce que notre don bénéficie à un couple infertile. Cependant, cette notion de don de couple n’était pas toujours bien comprise et a progressivement disparu. Depuis le 1er septembre 2022, seule la personne qui biologiquement donne ses gamètes doit consentir au don.

AJ : Pourquoi avez-vous rejoint l’association PMAnonyme, qui représente les personnes issues d’un don ?

Frédéric Letellier : Lorsque j’ai donné mes gamètes, je pensais que les données médicales étaient transmises aux personnes issues du don. J’ai découvert que non. Je me suis alors engagé aux côtés de PMAnonyme car je pensais qu’il fallait que les personnes nées par PMA avec donneur aient un accès plus facile à leurs antécédents médicaux. Il y a 5 ans environ, j’ai quitté l’association PMAnonyme pour rejoindre l’association Dons de gamètes solidaires. Je souhaitais rejoindre une association de donneurs afin de faire notamment de la sensibilisation au don de gamètes. Je continue à penser qu’il faut améliorer l’accès aux antécédents médicaux mais pas dans le cadre de l’accès aux origines, qui intervient seulement à la majorité de la personne concernée. Je serais favorable à ce que la loi autorise les donneurs à rédiger une lettre contenant toutes les informations médicales qu’ils jugeront utiles pour les parents et les enfants. Par exemple, j’aurais aimé pouvoir prévenir que dans ma famille, nous n’avons pas les dents de sagesse du haut. Ou que j’ai commencé à être un peu myope à l’adolescence. Je ne fais donc pas seulement référence à des problèmes de santé grave, mais aussi à des petites choses susceptibles d’intéresser les parents et les enfants.

AJ : Comment la CAPADD recherche-t-elle les donneurs ?

Frédéric Letellier : Pour exercer son droit d’accès aux origines, une personne majeure issue d’une AMP avec tiers donneur doit adresser une demande à la CAPADD. La CAPADD va vérifier si les données du donneur sont présentes dans le registre des dons de l’ABM. Si c’est le cas, la CAPADD peut les communiquer au demandeur. Si les données du donneur ne sont pas présentes dans le registre de l’ABM, la procédure est plus longue et complexe car il va d’abord falloir retrouver le dossier AMP des parents du demandeur afin d’obtenir l’identifiant du donneur et de retrouver son dossier du donneur dans lequel peut figurer son identité. La CAPADD interroge l’INSEE pour obtenir le numéro de sécurité sociale du donneur si celui-ci est toujours vivant. Grâce aux organismes d’assurance maladie, il est ensuite possible de trouver l’adresse postale du donneur et de solliciter son consentement à la communication de ses données. Une fois que le donneur a consenti, il faut qu’il renseigne le registre de l’ABM avec les données (identité et données non identifiantes) qui seront transmises au demandeur. Malgré tous les efforts de la CAPADD, il peut arriver qu’il soit malheureusement impossible de localiser certains donneurs. le premier CECOS a été créé il y a plus de 50 ans. Plus le don est ancien, plus le risque est fort que la CAPADD ne parvienne pas à solliciter le donneur.

AJ : Pourquoi est-il problématique de transmettre des données non identifiantes, puisque par définition elles ne permettent pas d’identifier les donneurs ?

Frédéric Letellier : La loi indique que les données non identifiantes du tiers donneur ne permettent pas une identification directe, ce qui signifie que ces données sont susceptibles de permettre une identification indirecte grâce à des informations complémentaires dont pourraient disposer des demandeurs, par exemple, en faisant un test ADN. Seules les données anonymes ne permettent pas d’identifier directement ou indirectement un individu, ce qui permet donc de préserver son anonymat et garantir le respect de sa vie privée.

AJ : Pourquoi vous opposez-vous à la transmission des données non identifiantes des personnes décédées ?

Frédéric Letellier : Que le donneur soit vivant ou décédé, je ne vois aucun problème à communiquer au demandeur toutes les données que le donneur a lui-même inscrites dans le registre de l’ABM et pour lesquelles il a explicitement consenti à leur communication. En revanche, quand le donneur n’a pas renseigné le registre de l’ABM, il me paraît délicat de transmettre des données qui n’existent pas. Si le donneur est décédé sans avoir renseigné le registre de l’ABM, cela signifie qu’il n’y aura malheureusement jamais de données non identifiantes à transmettre aux personnes issues de son don. Certaines personnes issues d’un don estiment qu’en cas de décès d’un donneur, son dossier médical de donneur contenant ses données personnelles et médicales devrait pouvoir leur être directement communiqué. Actuellement, la loi permet uniquement de transmettre les données du donneur au médecin de la personne issue d’un don. Le dossier médical relève de l’intimité de la vie privée et pour cette raison, la loi prévoit que le dossier médical conserve sa confidentialité même après le décès du patient. Cependant, cette protection est limitée dans le temps car quelques années après le décès du patient, son dossier médical devient une archive publique librement consultable. En France, le principe général est que les dossiers médicaux deviennent des archives publiques au bout de 50 ans après constitution du dossier et 25 ans après le décès de la personne. Passé ce délai, ceux qui savent que le donneur est décédé pourront avoir accès à son dossier médical dans lequel figure son identité.

AJ : Pourquoi voulez-vous défendre les intérêts des donneurs ?

Frédéric Letellier : Les donneurs sont des personnes généreuses qui ont consacré du temps et de l’énergie pour aider des personnes à fonder des familles. Je regrette que le don de gamètes et d’embryons ne soit pas davantage valorisé en France. Si ce ne sont pas les donneurs qui défendent leurs propres intérêts, personne ne le fera à leur place !

Prenons l’exemple de la dernière révision de la loi bioéthique. Les états généraux de la bioéthique ont démarré en 2018 et les associations de bénéficiaires de l’AMP ont été très actives, ce qui leur a permis d’obtenir d’importants progrès, tels que la « PMA pour toutes ». Les personnes issues d’un don ont également réussi à défendre efficacement leurs intérêts, ce qui leur a permis d’obtenir des avancées concernant le droit d’accès aux origines. En revanche, il n’existait pas d’association de donneurs en 2018 pour défendre leurs intérêts, ce qui fait qu’ils n’ont obtenu aucun nouveau droit et qu’ils en ont même perdu certains, tels que la possibilité d’autoconserver gratuitement une partie de leur don.

L’ABM permet à notre association de donneurs à participer aux groupes de travail sur l’AMP avec tiers donneur. Nous avons participé à un groupe de travail dont l’objectif était de proposer une date pour cesser l’utilisation des gamètes de donneurs ancien régime. Depuis quelques mois, je participe à un groupe de travail destiné à améliorer les parcours de don.

Je prévois avant la fin du mois de janvier d’écrire à la commission d’éthique de la Fédération française des CECOS afin de solliciter que les donneurs puissent obtenir la communication de toutes leurs données personnelles et médicales présentes dans leur dossier médical de donneur.

AJ : Quelles informations dont vous n’auriez pas connaissance pourrait contenir votre dossier médical de donneur ?

Frédéric Letellier : La loi prévoit que toute personne a le droit d’obtenir ses données personnelles et médicales. Dans le cas du dossier médical du donneur, son droit d’obtenir ses propres données est limité à cause du principe d’anonymat qui interdit de communiquer des données susceptibles d’identifier les bénéficiaires du don ou les personnes issues du don. Pour prendre un exemple, durant le parcours du don, il y a un examen médical durant lequel le médecin va mesurer et peser le candidat au don et il va noter ses caractéristiques physiques. La conséquence du principe d’anonymat est que le donneur n’a pas le droit de connaître ses caractéristiques physiques car celles-ci pourraient lui permettre d’identifier de manière indirecte les bénéficiaires du don et les personnes issues de son don. Pour prendre un autre exemple, le dossier médical du donneur indique le nombre de naissances issues de son don. Malheureusement, les donneurs ne sont actuellement pas autorisés à obtenir cette information au motif que cela serait contraire au principe d’anonymat. Or les donneurs se posent les mêmes questions que les personnes issues de leur don. Nous sommes nombreux à nous demander combien de personnes nous avons engendré. Lorsque l’on a des enfants, on peut en tant que donneur également craindre qu’ils rencontrent un jour une personne issue de notre matériel génétique. Ce n’est pas pareil de savoir qu’on a permis 5, 10 ou 50 naissances.

AJ : Vous avez saisi le Conseil constitutionnel en 2023. Pour quelle raison ?

Frédéric Letellier : J’ai déposé une QPC car je souhaitais que le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité d’un article qui autorise la CAPADD à solliciter les anciens donneurs. Je demandais que les donneurs puissent demander de manière anticipée à ne pas être contactés en l’écrivant à la CAPADD avant même d’être sollicité. L’article a été jugé conforme à la Constitution avec cependant une réserve pour limiter les sollicitations reçues par le donneur. Depuis cette QPC, le donneur ne peut être sollicité qu’une seule fois.

AJ : Quelles sont vos autres revendications pour les donneurs ?

Frédéric Letellier : La majorité de mes demandes concernent l’amélioration du parcours de don et la sensibilisation au don de gamètes. Je pense par exemple que l’on pourrait instaurer une Journée nationale de réflexion sur le don de gamètes et d’embryons, et de reconnaissance aux donneurs. Je vais cependant uniquement évoquer ici mes demandes se rapportant au droit d’accès aux origines :

• Les anciens donneurs sont parfois très âgés et cela peut être assez bouleversant pour eux d’être sollicités par la CAPADD. Sous le coup de l’émotion, le donneur peut signer le consentement mais le regretter quelques jours plus tard après avoir pris le temps de réfléchir et d’en discuter avec ses proches. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais qu’il y ait un délai de réflexion ou de rétractation.

• Je souhaiterais d’autre part que sur le formulaire de consentement des donneurs, il soit explicitement écrit que celui-ci est irrévocable dès l’utilisation du don. Cette mention me semble importante pour s’assurer que le consentement du donneur est éclairé. Cette information figure à la page 2 de la notice du formulaire mais je ne suis pas certain que tous les donneurs la lisent.

• Je souhaiterais également que le formulaire de consentement des donneurs précise que le consentement est irrévocable même en cas de modification des modalités d’application du droit d’accès aux origines. En effet, il me semble probable que le droit d’accès aux origines évolue : il pourrait, par exemple, être décidé de transmettre les données non identifiantes du donneur aux parents d’un enfant issu d’un don, ou de permettre qu’une personne issue d’un don puisse exercer son droit d’accès aux origines dès 16 ans. Afin que le consentement du donneur soit éclairé, il me semble important que le donneur dispose de cette information. Ma crainte serait qu’un donneur veuille révoquer son consentement au motif que celui-ci n’était pas suffisamment éclairé.

• Tout comme certaines personnes issues d’un don, j’ai été un peu déçu par l’arrêté du 29 août 2022 fixant le contenu du formulaire de collecte de l’identité et des données non identifiantes du tiers donneur – par exemple, je ne trouve pas pertinent de mettre que les donneurs auto-évaluent leur état de santé psychologique par un nombre compris entre 0 et 10. Je préférerais que les donneurs aient la possibilité de transmettre une lettre manuscrite au contenu libre, avec la mise en forme de leur choix.

• Les procès-verbaux du comité médical et scientifique de l’ABM indiquent qu’un arrêté va prochainement modifier le formulaire de collecte et apportera de nombreuses améliorations. Il est positif que le ministère de la Santé ait la volonté avec ce nouvel arrêté d’apporter les corrections nécessaires.

• Certains anciens donneurs sollicités par la CAPADD ne peuvent pas lever leur anonymat et dans ce cas, les demandeurs ne reçoivent aucune information sur le donneur, ce qui fait culpabiliser le donneur. Je souhaiterais que les donneurs « ancien régime », ayant fait leur don avant le 1er septembre 2022 et qui ne peuvent pas lever leur anonymat, aient la liberté de tout de même pouvoir transmettre certaines informations. Par exemple, le donneur pourrait rédiger une lettre pour expliquer pourquoi il ne peut pas lever son anonymat. Une personne issue d’un don qui reçoit uniquement le courrier de refus de la CAPADD peut être déçue et ne pas comprendre la décision du donneur. C’est la raison pour laquelle, je souhaiterais que les anciens donneurs aient la liberté de transmettre au moins une lettre aux personnes issues de leur don.

• Des personnes issues d’un don qui demandent à la CAPADD l’identité de leur donneur, peuvent aussi entrer en contact avec lui. Actuellement, quand un demandeur reçoit l’identité du donneur, il doit le retrouver par ses propres moyens. Dans la mesure où la CAPADD dispose d’un psychologue référent compétent, je souhaiterais que la CAPADD puisse mettre en relation les demandeurs et les donneurs de manière respectueuse pour toutes les parties concernées.

• Je souhaiterais enfin que les donneurs qui ont consenti à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes, aient la possibilité de savoir si leurs données présentes dans le registre de l’ABM ont été transmises à une personne issue de leur don.

AJ : Vous avez formulé un recours devant le Conseil d’État au sujet du don d’embryon. Pourquoi ?

Frédéric Letellier : Jusqu’à présent, quand un couple bénéficiait d’une FIV avec don de gamètes et qu’il décidait ensuite de faire don de ses embryons surnuméraires, seul le couple était considéré comme le donneur des embryons. Depuis le 1er septembre 2022, le ou les donneurs de gamètes ayant permis la conception des embryons surnuméraires sont également considérés comme les donneurs d’embryons. Depuis l’instauration du droit d’accès aux origines, il est nécessaire pour réaliser un don d’embryons que tous les donneurs aient consenti à la communication de leur identité et de leurs données non identifiantes. Le problème est que certains centres de don réalisent des FIV avec des gamètes dont ils savent que le donneur est décédé ou dont ils ignorent l’identité, ce qui signifie que ces donneurs de gamètes ne peuvent pas consentir à la levée de leur anonymat, ce qui va donc rendre impossible le don des embryons surnuméraires et ceux-ci devront donc être détruits. La question du devenir des embryons surnuméraires est très sensible et je ne trouve pas que ce changement de réglementation soit respectueux des personnes bénéficiant d’une FIV avec tiers donneur. Je trouve cela d’autant plus incompréhensible que cette question avait été débattue lors du projet de loi bioéthique : le gouvernement s’était opposé à cet amendement et celui-ci avait été rejeté. Jusqu’au 31 mars 2025, les centres de don doivent en priorité utiliser les gamètes de donneurs anonymes et donc, tous les bénéficiaires d’une FIV avec tiers donneur peuvent se trouver en difficulté pour faire don de leurs embryons surnuméraires, sachant que la loi n’autorise pas la CAPADD à solliciter les anciens donneurs pour qu’ils consentent à remplir le registre de l’ABM afin de permettre le don d’embryons. J’aurais préféré que cette mesure entre en vigueur seulement en 2026 afin d’éviter que des embryons ne soient détruits alors que leurs propriétaires auraient voulu en faire don.

J’ai également demandé que les personnes issues d’un don d’embryons ayant eux-mêmes été conçus grâce à un don de gamètes, puissent savoir si les donneurs ont un lien biologique avec elles. Si une personne issue d’un don d’embryons exerce son droit d’accès à ses origines biologique et reçoit les identités de 3 donneurs, je souhaiterais qu’il soit indiqué qui sont ses deux géniteurs.

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