Île-de-France

La télévision et le streaming peuvent-ils sauver les artisans des spectacles d’Île-de-France ?

Publié le 28/12/2020

Faute d’autorisations pour reprendre les spectacles en live, les petites entreprises travaillant pour le spectacle en Île-de-France se sont tournées vers la télévision et le streaming pour garder la tête hors de l’eau. Mais cela fonctionne-t-il vraiment ?

Pour eux, le premier confinement est arrivé deux semaines avant tout le monde. En mars dernier, après une annonce limitant les rassemblements à moins de 1 000 personnes, puis 500, puis 100, les bus des tournées musicales sont restés au parking, les salles de concert ont fermé leurs portes, les festivals de l’été ont annoncé qu’ils ne se tiendraient pas, les loueurs de matériel ont gardé dans leurs flight cases les projecteurs et autres machines à fumées pour une période indéterminée. L’interdiction progressive des rassemblements a laissé les salles obscures et les fosses vides « jusqu’à nouvel ordre ». Artistes, techniciens, directeurs de production, indépendants, auto-entrepreneurs, gérants et salariés en CDD d’usage (CDDU), se sont retrouvés sur le carreau.

Désœuvrés, ces professionnels du spectacle vivant misaient tout sur une reprise en septembre dernier, mais les salles n’ont eu le droit de rouvrir leurs portes qu’avec des demi-jauges. Avec un siège sur deux, et l’épée de Damoclès de l’interdiction totale du public, l’activité n’a donc pas pu être économiquement viable pour reprendre de façon pérenne. Alors, résiliente, l’industrie s’est organisée autrement en attendant le retour à la normale : le live ayant pris un coup dans l’aile, c’est le concert télévisé, les tournages et le streaming qui devaient leur permettre de sortir la tête de l’eau. Les salles de concerts parisiennes sont donc devenues des plateaux de tournages, les plateaux de la Seine-Saint-Denis des salles de concert, et un fournisseur de matériel de tournée a même emménagé dans ses hangars de Roissy un studio de concert en streaming.

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L’occasion de tous se retrouver

Septembre 2020 : après des mois de silence, les coulisses de l’Olympia endormies pendant des mois sont animées d’une agitation frénétique. Dans le ventre de la salle de concert, d’immenses camions régie sont venus se garer. Sur le sol courent des kilomètres de câbles qui les rattachent, comme des cordons ombilicaux, à la salle mythique. Les techniciens, cuisinières de catering, les « roads » et les « ingé son », les artistes et la gérante de la salle se croisent en se claquant le coude. Pas pour un concert, ni un festival de musique, mais pour un show télévisé à but caritatif : « Tous unis pour le Liban », diffusé sur France 2 le 1er octobre dernier.

Le directeur technique Aymeric Sorriaux et la régisseuse générale Priscille Gréaud, dirigent ensemble la société TeckOff. Ils sont habitués aux grandes tournées musicales comme les Zéniths de Christophe Maé ou Bigflo et Oli. Pour eux, tout s’est arrêté quelques semaines avant le confinement, avec les annulations progressives des grandes jauges. Après avoir brièvement cru à une reprise des concerts en septembre dernier, les deux entrepreneurs ont dû se résigner. Depuis cette rentrée, ils ont vendu leur talent presque exclusivement aux événements télévisés, aux émissions musicales, aux cérémonies et aux festivals qui se sont rapatriés sur la diffusion télé (comme Rock en Seine, diffusé en août dernier par France Télévisions). Les deux entrepreneurs n’avaient jamais autant travaillé pour la télévision, tout simplement parce qu’ils n’en avaient pas la possibilité auparavant : en 2020 comme en 2019 leur emploi du temps était censé être plein à craquer. « Dès le mois de juin, on s’est dit qu’il fallait chercher autre chose pour que la boîte reste à flot », explique Aymeric Sorriaux.

Mais cette nouvelle activité télévisuelle est totalement différente de celle à laquelle ils sont habitués, l’ajustement est donc ardu. « Notre travail a changé du tout au tout : pas les mêmes clients pas les mêmes attentes, pas les mêmes tarifs, ni les mêmes exigences », décrit le dirigeant. « Cela nous permet d’apprendre de nouvelles choses, et inversement, on apporte notre expérience live à la télé. Ces nouveaux échanges se sont sentis dans le rendu à la télé, la gestion technique est peut-être plus efficace, avec des gens du spectacle aux manettes. Sur l’émission “Basique”, le fait que le scénographe soit un pro qui se trouvait disponible à cause de la crise, cela change tout », ajoute Priscille Gréaud. Membre du l’Union des artisans des spectacles vivants qu’ils ont contribué à monter, les deux dirigeants ont tenu à faire travailler sur l’émission « Tous unis pour le Liban » ou d’autres émissions, tous leurs camarades du spectacle : « Cela nous fait du bien de voir les copains à l’Olympia : les équipes techniques ne voulaient pas rentrer à la maison, personne ne voulait quitter les quais de chargement, tout le monde était content de retrouver la famille et les artistes, chacun a pu échanger sur sa situation ».

Si cette activité télévisuelle a l’avantage d’exister et de remplir les agendas, elle ne permet pas forcément de remplir le tiroir-caisse et de compenser les pertes liées au Covid-19. « À TeckOff, on a 6 employés normalement et aujourd’hui on en a un à temps plein et un autre à temps partiel. On a du travail, mais on ne peut pas facturer à la hauteur des spectacles live. Nous continuons de perdre de l’argent. Mais la perte de chiffre d’affaires sera étanchée à 50 % grâce à la télé, cela nous permet de garder le moral et le contact avec le métier et les collègues, et c’est le plus important », détaille Aymeric Sorriaux.

Une économie qui reste trop fragile

Pour d’autres entreprises, la chute est encore plus vertigineuse. Sentant le vent tourner, Tamara de Tcherepakhine, gérante de l’entreprise de TamTam catering et son bras droit, Marianne Povie, ont décidé de centraliser l’activité de catering, d’habitude disséminée dans le sud et à Tours, à Saint-Ouen, au plus près des studios de Saint-Denis et Aubervilliers. L’entreprise travaille presque exclusivement pour les émissions de télévision désormais, des « Prodiges » de la musique classique aux émissions de télé-réalité, en attendant la reprise des concerts et des tournées nationales. La société a souscrit à un prêt garanti par l’État, investi dans un laboratoire à Saint Ouen et dans du nouveau matériel.

Fini les buffets plantureux, les self-services et les bars à salades garnis pour les tournées de Zéniths, Bercy ou Stades de France. Cette fois, il faut cuisiner pour des plateaux-repas, et pour la télévision. Des factures revues à la baisse qui permettent à la société de continuer d’occuper le terrain du catering, de donner du travail aux employés, mais qui ne sortent pas vraiment la société de la crise. « En novembre dernier, j’ai eu beaucoup de contrats avec la télévision et je prévois d’atteindre 10 % de mon chiffre d’affaires de l’année dernière », confie Tamara de Tcherepakhine, qui est également coprésidente de l’Union des artisans des spectacles vivants. « Pour l’instant cela me permet de garder la tête hors de l’eau, car je me dis que je commence une nouvelle activité. Mais le fait que l’on bosse un peu, cela veut dire que la société n’a pas droit à certaines aides, comme le fonds de solidarité de 10 000 € ».

Quand le spectacle vivant reprendra, peut-être en septembre prochain, la dirigeante craint de n’avoir atteint que 14 ou 15 % du chiffre d’affaires de l’année 2019. « Au bilan 2020, j’ai perdu 60 % de mon budget annuel et l’année prochaine probablement 85 %. Je ne veux pas arriver au point de tout perdre. Car, malheureusement, autour de nous des gens ont tout perdu. C’est un peu l’ascenseur émotionnel, tu investis et tu ne sais pas ce que cela donnera ». Mais Tamara de Tcherepakhine ne se laisse pas abattre : « En septembre prochain, entre les concerts et le nouveau marché de la télévision, on ne pourra peut-être pas tout faire, il faudra alors restructurer l’entreprise ».

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