Le projet d’ACCIS est relancé
La Commission européenne a présenté un nouveau projet d’assiette commune pour les États membres. Ce projet en deux étapes, obligatoire pour les grands groupes internationaux, devrait permettre de limiter la planification fiscale agressive et doper la croissance au sein de l’Union. Des mesures permettant de mieux réguler la double imposition devraient fournir un cadre fiscal sécurisé pour les entreprises.
Le projet de la Commission consistant à introduire une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS) aux États membres a pour objectif de réduire les incohérences entre les systèmes fiscaux, améliorer l’efficacité et la transparence de la fiscalité des entreprises et finaliser l’établissement d’un véritable marché unique1. Cet ensemble de règles permet de déterminer le résultat imposable d’une société au sein de l’Union européenne. Avec l’ACCIS, les sociétés exerçant des activités transfrontalières devront se conformer à un système européen unique pour déterminer leur revenu imposable, plutôt qu’aux différents régimes nationaux dans lesquels l’activité est exercée. Les groupes soumis au régime ACCIS auraient la possibilité de ne remplir qu’une seule déclaration fiscale consolidée pour l’ensemble de leurs activités au sein de l’UE. Les résultats imposables consolidés du groupe seraient répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application d’une formule simple. Cela permettra à chaque État membre de soumettre les bénéfices des sociétés résidentes de cet État à son propre taux.
Une réforme ambitieuse
Il s’agit sans doute de la réforme de l’impôt sur les sociétés la plus ambitieuse jamais proposée dans l’Union. L’ACCIS fournira aux États membres un système entièrement nouveau pour l’imposition des multinationales, qui permettra à l’Union d’offrir un environnement plus favorable aux entreprises tout en supprimant les principaux canaux de transfert de bénéfices. Ce projet communautaire remonte à 2011 mais la proposition initiale de la Commission s’est révélée trop ambitieuse pour parvenir à un accord unanime des États membres. Depuis lors, le projet était au point mort. Le 26 octobre dernier, la Commission européenne a proposé de relancer un nouveau projet d’ACCIS. En 2011, l’ACCIS était conçue en vue de renforcer le marché unique pour les entreprises. La nouvelle version a également pour objectif d’aider les entreprises qui exercent des activités transfrontières à réduire les coûts et les formalités administratives et de soutenir l’innovation. Ce projet instaurera également des conditions de concurrence équitables pour les multinationales en Europe en fermant les voies exploitées à des fins d’évasion fiscale. Deux autres propositions visent à améliorer le système existant de règlement des différends en matière de double imposition dans l’Union et à renforcer les clauses anti-abus en vigueur. Prises ensemble, ces mesures devraient permettre de mettre en place un environnement fiscal simple et favorable aux entreprises.
Un projet en deux étapes
Le nouveau projet d’ACCIS comporte deux étapes. Dans un premier temps, l’assiette commune sera mise en œuvre. Dans un deuxième temps, la consolidation, une étape plus complexe à mener, sera mise en place. Il devrait être ainsi plus aisé de mener à bien le processus de négociation, en facilitant des discussions plus constructives et la conclusion plus rapide d’un accord, sans pour autant réduire le niveau global d’ambition. Les avantages de l’ACCIS ne seront pleinement ressentis que lorsque l’assiette commune et la consolidation seront toutes deux mises en œuvre. Néanmoins, l’assiette commune peut être appliquée alors que la consolidation est en cours de négociation ; elle apportera déjà des améliorations à l’environnement fiscal des entreprises dans l’Union. L’assiette commune fixe des règles communes permettant aux entreprises de calculer leurs bénéfices imposables. Les entreprises n’auront dès lors plus besoin de composer avec de nombreuses règles nationales différentes lorsqu’elles exercent des activités transfrontières dans l’Union. Les coûts de conformité et les charges administratives en seront considérablement réduits. L’assiette commune améliorera aussi la transparence et l’efficacité de l’imposition des sociétés dans l’Union. Il ne sera plus possible pour les États membres de dissimuler des éléments de leur assiette fiscale, comme les décisions préférentielles, susceptibles d’entraîner une concurrence fiscale dommageable et le transfert de bénéfices. L’ACCIS permettra également d’éliminer les asymétries et les failles existant entre les systèmes fiscaux nationaux, lesquelles sont souvent exploitées par ceux qui pratiquent la planification fiscale agressive. La consolidation reste néanmoins un objectif concret, qui devrait être poursuivi par le Conseil dès que l’assiette commune est approuvée. Les entreprises ont besoin de la consolidation pour compenser les pertes transfrontières et pour pouvoir déposer une seule et même déclaration d’impôt dans l’Union par l’intermédiaire du système de guichet unique. La consolidation est utile aux État membres pour supprimer le système complexe et contraignant des prix de transfert, qui constitue le principal canal de transfert de bénéfices. La formule de répartition dans le cadre de la consolidation leur est également nécessaire pour établir un lien équitable entre l’endroit où les entreprises réalisent leurs bénéfices dans l’Union et le lieu où ces bénéfices sont imposés. Pour Pierre Moscovici, commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, « Avec la proposition réajustée concernant une ACCIS, nous apportons une réponse unique aux préoccupations tant des entreprises que des citoyens. Il est ressorti clairement de mes nombreuses conversations en tant que commissaire chargé de la fiscalité que les entreprises avaient besoin de règles fiscales plus simples au sein de l’Union. Parallèlement, nous devons aller de l’avant dans la lutte contre l’évasion fiscale, avec de véritables changements à la clé. Les ministres des Finances devraient envisager sous un nouveau jour ce paquet de mesures ambitieux qui arrive à point nommé car celui-ci va instaurer un système fiscal solide, adapté au XXIe siècle ».
L’ACCIS sera obligatoire pour les grandes sociétés multinationales
Ce nouveau projet tranche avec le précédent. En effet, la proposition ACCIS initiale prévoyait que l’ACCIS soit, dans un premier temps, optionnelle pour les entreprises dans la mesure où toutes les sociétés n’ont pas vocation à effectuer des activités transfrontalières. Les entreprises avaient donc le choix entre rester soumises aux règles existantes et l’ACCIS. Avec le nouveau projet, L’ACCIS sera obligatoire pour tous les groupes dont le chiffre d’affaires consolidé total est supérieur à 750 millions d’euros. Cette disposition devrait contribuer à maximiser le potentiel de l’ACCIS en tant qu’outil de lutte contre l’évasion fiscale, car ce sont ces entités qui ont la plus grande capacité de planification fiscale. Si le système devait rester optionnel pour tous les autres groupes, les grands groupes ne pourraient pas déroger au système étanche de l’ACCIS. Les entreprises qui n’atteignent pas le seuil auront toujours la possibilité d’appliquer l’ACCIS en vue de bénéficier de ses avantages, à savoir une simplicité et une sécurité juridique accrues et des économies plus importantes. L’aspect obligatoire permettra également de faire en sorte que les entreprises concernées sachent à quoi s’en tenir pour ce qui est des clauses anti-abus de l’Union et n’aient pas à prendre inutilement des mesures d’ajustement. Elle contribuera ainsi à ce que les entreprises bénéficient dans l’Union d’un environnement plus prévisible. Ainsi, l’ACCIS permettra de combattre efficacement l’évasion fiscale et permettre d’éliminer les disparités entre les systèmes nationaux, les régimes préférentiels et les rulings fiscaux dissimulés, failles exploitées par les fraudeurs. En outre, elle rendra obsolète l’utilisation de prix de transfert, un élément important dans le transfert artificiel de bénéfices. Enfin, l’ACCIS permettra de défendre les États membres contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices vers les pays tiers.
L’ACCIS en pratique
L’ACCIS fournit un ensemble de règles uniformes pour déterminer la manière dont les bénéfices d’une entreprise seront imposés, une fois les différentes exonérations et déductions comptabilisées. Cette assiette commune garantira par exemple que tous les États membres accordent le même taux d’amortissement pour un actif déterminé ou autorisent les mêmes charges déterminées à être déductibles fiscalement. Les entreprises ne devront se référer qu’à un seul ensemble de règles pour calculer leurs bénéfices imposables et le calcul sera uniforme dans l’ensemble de l’Union. La consolidation permettra à un groupe de cumuler tous les profits et toutes les pertes des entreprises qui le constituent situées dans différents États membres afin de parvenir à un résultat net pour l’ensemble de l’Union. Sur la base de ce chiffre net, les règles prévues dans l’assiette commune seront utilisées pour déterminer le montant final des bénéfices du groupe qu’il convient d’imposer. Une fois que l’assiette imposable de l’entreprise a été déterminée, les bénéfices imposables de celle-ci seront répartis entre les États membres dans lesquels l’entreprise exerce une activité à l’aide d’une formule de répartition. Chaque État membre pourra ensuite appliquer son taux d’imposition national à sa part des bénéfices de l’entreprise. La formule de répartition fonctionnera de la façon suivante.
La part de l’assiette de l’entreprise qu’un État membre peut imposer sera déterminée sur la base de trois facteurs affectés d’une même pondération :
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les actifs que l’entreprise détient dans l’État membre concerné, par exemple des bâtiments, des machines ;
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la main-d’œuvre dont dispose l’entreprise dans l’État membre concerné, par exemple, le nombre de salariés et les coûts salariaux ;
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les ventes effectuées par l’entreprise dans l’État membre concerné. Le facteur concernant les ventes sera calculé sur la base de la destination, à savoir le lieu où les marchandises sont vendues/expédiées ou l’endroit où le service est fourni.
Un mécanisme transitoire
La compensation transfrontière des pertes est un des avantages majeurs de l’ACCIS. Cet aspect est particulièrement important pour soutenir les start-up et l’expansion des entreprises dans le marché unique car il garantit que leurs activités transfrontières bénéficient du même traitement en matière de compensation des pertes que les activités exercées exclusivement au niveau national. Cet avantage est toutefois lié à la consolidation et ne sera accordé que lors de la deuxième étape de l’ACCIS, à savoir lorsque la consolidation aura été mise en œuvre.
Par conséquent, la Commission a proposé un système temporaire de compensation transfrontière, qui s’appliquera jusqu’à l’entrée en vigueur de la consolidation. Grâce à la compensation transfrontière des pertes, une société mère dans un État membre pourra bénéficier d’une exonération fiscale temporaire des pertes subies par l’une de ses filiales dans un autre État membre. Une fois la filiale devenue rentable, l’État membre où est établie la société mère récupérera les impôts exonérés pendant les exercices déficitaires. De la sorte, aucun État membre n’aurait à supporter la charge à long terme d’une entreprise non rentable dans un autre État membre.
Des mesures incitatives pour la R&D
Dans sa nouvelle version, l’ACCIS comporte des mesures incitatives. Il s’agit tout d’abord pour la Commission de soutenir les activités de recherche et développement (R&D), principaux moteurs de la croissance. Le niveau moyen actuel des investissements en R&D dans l’Union est pour l’instant inférieur à celui d’autres économies développées. Toutes les entreprises qui investissent dans la R&D pourront déduire intégralement le coût de cet investissement majoré d’un pourcentage supplémentaire des coûts, en fonction du montant des dépenses effectuées. Le coût total de R&D sera intégralement déductible, tandis qu’une déduction supplémentaire de 50 % sera accordée pour les dépenses en matière de R&D à concurrence de 20 millions d’euros. Les start-up pourront procéder à des déductions encore plus importantes. Outre la possibilité de déduire l’intégralité (100 %) de leurs coûts de R&D, elles seront autorisées à effectuer une déduction supplémentaire équivalente à 100 %. Cette mesure va donner un réel coup de pouce aux jeunes entreprises innovantes qui constituent une source importante de création d’emplois et contribuera à dynamiser les marchés et à les rendre plus compétitifs. Ainsi une entreprise qui dépense 30 millions d’euros en R&D au cours d’un exercice donné sera autorisée à déduire : l’intégralité des coûts de ses revenus imposables (30 millions d’euros), 50 % supplémentaires de la première tranche de 20 millions d’euros (10 millions d’euros) et 25 % supplémentaires du montant restant de 10 millions d’euros (2,5 millions d’euros). Au total, l’entreprise peut déduire 42,5 millions d’euros de son assiette imposable, au titre de ses dépenses en matière de R&D.
Réduire l’endettement
En outre, l’ACCIS remédiera aux distorsions actuelles en matière d’imposition, qui favorisent l’endettement et permettent aux entreprises de déduire les intérêts sur leurs emprunts mais pas les coûts liés aux fonds propres. Pour la Commission, ces distorsions en faveur de l’endettement faussent les décisions de financement, rendent les entreprises plus vulnérables à la faillite et compromettent la stabilité de l’économie dans son ensemble. Par conséquent, l’ACCIS introduit une déduction pour la croissance et l’investissement (DCI), qui offrira aux entreprises des avantages pour les fonds propres équivalents à ceux dont les entreprises bénéficient pour les emprunts. Ce système récompensera ainsi les entreprises qui renforcent leurs structures de financement et recourent aux marchés des capitaux. Une initiative en phase avec le plan de la Commission pour une union des marchés des capitaux qui vise à donner accès aux entreprises à d’autres sources de financement plus diversifiées. Les entreprises qui choisissent d’augmenter leurs fonds propres à des fins de financement, par exemple, par l’émission de nouvelles actions ou la mise en réserve des bénéfices au lieu de s’endetter, en contractant un emprunt, bénéficieront donc d’une déduction fiscale. La déduction sera calculée en multipliant la variation des fonds propres par un taux fixe, qui est composé d’un taux d’intérêt sans risque et d’une prime de risque. Dans les conditions actuelles du marché, ce taux s’établirait à 2,7 %. Les entreprises pourront généralement continuer à bénéficier de ces déductions pendant dix ans. Cette mesure devrait encourager les entreprises à chercher des sources de financement diversifiées et à tirer profit des marchés des capitaux. Cette déduction est particulièrement avantageuse pour les petites entreprises qui ont parfois des difficultés à obtenir des prêts. Prenons l’exemple d’une entreprise qui commence à appliquer l’assiette commune en janvier de l’exercice X et qui au cours du même exercice, émet de nouvelles actions pour un montant de 10 millions d’euros en vue d’investir dans de nouveaux locaux, et dont le taux de DCI pour l’exercice X sera de 3 %. Pour cet exercice, l’entreprise peut déduire de son assiette imposable un montant de 300 000 € à titre de déduction pour la croissance et l’investissement = 10 millions d’euros multipliés par 3 %. L’entreprise bénéficiera également de déductions supplémentaires pendant les neuf années qui suivent l’émission de ces fonds propres. Les montants exacts de cette déduction dépendront de l’évolution de la valeur des fonds propres.
Notes de bas de pages
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1.
https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/common-consolidated-corporate-tax-base-ccctb_fr.