Bilan et perspectives de la coopération européenne en matière de sécurité

Publié le 29/11/2017

L’idée de mettre en place un parquet européen semble proche d’une réalité alors qu’elle est ancienne. Les réticences des États européens tiennent dans la dimension régalienne de la justice. Pourtant depuis le traité de Maastricht déjà, l’idée d’une coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures est présente. Le traité de Lisbonne, en mettant fin à la structure en piliers, qui plaçait dans un statut à part les questions de justice et de sécurité – intérieure et extérieure – donne des bases juridiques renforcées à la sécurité européenne.

L’idée de coopération internationale dans des domaines aussi sensibles que la sécurité et la justice est aussi ancienne que révélatrice des tensions entre la volonté des États de garder leur souveraineté et la nécessité de s’unir pour agir plus efficacement.

À l’échelle de l’Union européenne, la libre circulation des personnes a engendré de nombreux effets bénéfiques au regard de l’objectif constant d’une Union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. Cependant, le revers de la médaille d’un tel espace de liberté tient dans la nécessité de réorganiser la lutte contre la criminalité transfrontalière. Ces données ont conduit les États à compléter l’intégration économique par des éléments d’intégration en matière de police et de justice. Cette intégration s’est faite en plusieurs étapes et demeure perfectible.

Conformément à la tension entre coopération et intégration, entre souveraineté et construction européenne supranationale, c’est une méthode des petits pas et du « petit à petit » qui a été mise en œuvre. Le traité de Maastricht jette ainsi les premières bases d’une coopération. Les rédacteurs du traité ont imaginé une structure en piliers : le pilier dit communautaire, reprenant la construction économique construite jusqu’alors et renforcée notamment avec la mise en place d’une monnaie unique ; deux piliers, dits intergouvernementaux afin de conserver des méthodes de travail intergouvernementales plus respectueuses de la souveraineté des États, mais nécessairement moins efficaces. Ces deux piliers étaient constitués d’une part de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et d’autre part d’une coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (JAI – prononcer « Jaï », l’expression demeurant utilisée). Les traités successifs ont peu à peu modifié ces piliers jusqu’à les faire disparaître. Le traité de Lisbonne supprime la distinction entre la Communauté et l’Union, ne retenant désormais que l’Union européenne en même temps qu’il met fin aux restes de la structure en piliers. Le traité donne donc de solides bases juridiques à la mise en place d’un espace de sécurité et de justice dans le territoire européen (I). Les réalisations concrètes et les programmes de travail en cours démontrent un certain effet d’engrenage du dispositif de sécurité et de justice européen (II).

I – Les solides bases juridiques à la mise en place d’un espace de sécurité et de justice dans le territoire européen

Les bases juridiques européennes en matière de sécurité se sont renforcées au fil du temps, mettant en place un arsenal juridique chargé de mettre en œuvre les objectifs de sécurité intérieure européenne.

Les bases juridiques européennes ont évolué au fil du temps. Comme dit en introduction, les coopérations ont été introduites progressivement et avec précaution. Les bases juridiques applicables désormais sont celles du traité de Lisbonne.

Si la compétence nationale reste de principe pour assurer la sécurité de chaque territoire, le but est d’intensifier les coopérations au bénéfice d’une sécurité accrue de chacun. La philosophie du principe de subsidiarité se retrouve pleinement ici. En effet, les effets des risques d’insécurité dépassent évidemment les frontières de chaque État. Cette porosité est renforcée par la construction d’un territoire européen, quand bien même des possibilités de rétablissement des contrôles aux frontières existent. Les bases juridiques des traités (A) ont permis la mise en place de plusieurs organes et objectifs (B).

A – Les bases juridiques des traités

Si plusieurs réflexions ont pu être menées avant le traité de Lisbonne, ce dernier synthétise et renforce à la fois les bases juridiques de l’espace européen de sécurité et de justice.

1 – Les réflexions et bases avant le traité de Lisbonne

Le traité de Rome de 1957 mentionne déjà, dans son article 61, la mise en place d’un espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) à l’échelle de la Communauté européenne. Pour autant, la coopération entre les États membres dans ce domaine débute réellement avec le traité de Maastricht en 1992. Son article 29 prévoit en effet que : « Sans préjudice des compétences de la Communauté européenne, l’objectif de l’Union est d’offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice, en élaborant une action en commun entre les États membres dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, en prévenant le racisme et la xénophobie et en luttant contre ces phénomènes ».

Le traité de Maastricht répartit les domaines d’action européenne en trois piliers (voir encadré). Dans un premier temps, l’ensemble des politiques liées à la justice et aux affaires intérieures (JAI) sont contenues dans un troisième pilier régi par la méthode intergouvernementale. Mais les limites de cette méthode conduisent à la « communautarisation » d’un certain nombre de politiques. Celles consacrées aux visas, à l’immigration et liées à la libre circulation des personnes sont transférées dans le premier pilier par le traité d’Amsterdam de 1997 dont l’objectif est justement la création d’un espace de sécurité, de liberté et de justice. L’appellation « JAI » pour le troisième pilier est tout de même conservée jusqu’en 1999, date à partir de laquelle on parle de coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Avant Maastricht, la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures est essentiellement une coopération sectorielle et volontaire qui est renforcée par l’Acte unique européen en 1986. La principale réalisation dans ce domaine est l’établissement d’un espace Schengen en 1985 qui, en abolissant les frontières intérieures, oblige à la définition d’une politique commune en matière de frontières extérieures. Le traité d’Amsterdam intègre ces accords dans les traités.

Si l’idée de créer une agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs remonte au tout début des années 1990, la convention instituant Europol date de 1995 et le début de l’activité opérationnelle de l’office, de 1999. Les 15 et 16 octobre 1999 le Conseil européen de Tampere, en Finlande, consacré à la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union européenne, définit ainsi les orientations politiques à donner à ce futur espace. Les conclusions de ce Conseil retiennent 4 axes qui sont le fondement du programme pour la période 1999–2004 : une politique européenne commune en matière d’asile et d’immigration ; un véritable espace européen de justice ; la lutte contre la criminalité à l’échelle de l’Union ; une action extérieure plus forte.

Les 4 et 5 novembre 2004, les chefs d’État et de gouvernement des États membres réunis en Conseil adoptent un nouveau programme quinquennal, le programme de La Haye. Ce programme porte en grande partie sur les questions d’immigration et d’asile. Il prévoit notamment l’instauration à l’horizon 2010 d’un système européen commun d’asile, la mise en place d’une politique facilitant l’expulsion des immigrants illégaux et leur retour dans leurs pays d’origine, l’établissement de règles communes en matière de visas ou encore, dans le domaine de la sécurité, un renforcement de la coopération policière et de la lutte contre le terrorisme.

Le 10 mai 2005, le commissaire en charge de la Justice et des Affaires intérieures, l’Italien Franco Frattini, présente les priorités de la Commission européenne pour la période 2005-2010. Elles portent entre autres sur la protection des droits fondamentaux, la lutte contre le terrorisme, le développement d’une politique commune en matière d’immigration au niveau européen, la mise en œuvre d’une politique intégrée de gestion des frontières extérieures de l’Union, et le développement d’une politique commune en matière de visas, la lutte contre le crime organisé ou encore l’évaluation de l’efficacité des politiques et de l’adaptation des moyens mis en œuvre pour remplir les objectifs de liberté, de sécurité et de justice.

Les 10 et 11 décembre 2009, le Conseil européen a adopté le programme de Stockholm. Le traité de Lisbonne, lui-même adopté en 2009 entraîne une importante évolution de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ).

2 – Les articles pertinents du traité sur l’Union européenne

Selon les articles 3 et 4 du traité sur l’Union européenne, « Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union contribue à la protection de ses citoyens. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »

L’article 73 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise, pour sa part, « qu’il est loisible aux États membres d’organiser entre eux et sous leur responsabilité les formes de coopération et de coordination qu’ils jugent appropriées entre les services compétents de leurs administrations chargées d’assurer la sécurité nationale ».

Le traité prévoit ensuite un chapitre par domaine lié à l’ELSJ : les politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration ; la coopération judiciaire en matière civile ; la coopération judiciaire en matière pénale ; la coopération policière. D’autres articles du traité sont intimement liés à la mise en œuvre de l’ELSJ : l’article 6 du traité sur l’Union européenne, relatif à la charte des droits fondamentaux et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, l’article 8 du même traité, relatif à la lutte contre les inégalités, l’article 15, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, concernant le droit d’accès aux documents des institutions, l’article 16 du même traité, relatif à la protection des données à caractère personnel, et les articles 18 à 25 de ce même traité concernant la non-discrimination et la citoyenneté de l’Union.

C’est l’article 67 TFUE qui précise les objectifs assignés à l’Union dans le cadre de l’ELSJ à savoir : assurer « l’absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures » et développer « une politique commune en matière d’asile, d’immigration, et de contrôle des frontières extérieures » ; « assurer un niveau élevé de sécurité par des mesures de prévention de la criminalité, du racisme et de la xénophobie, ainsi que la lutte contre ceux-ci » ; faciliter « l’accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ».

Le traité met en place une série de dispositions relatives à la coopération judiciaire en matière pénale avec les articles 82 à 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Sauf exceptions, la procédure législative ordinaire s’applique, renforçant ainsi les pouvoirs du Parlement européen dans ce domaine traditionnel du pouvoir régalien. En ce qui concerne les accords internationaux, une nouvelle procédure a été introduite, la procédure d’approbation.

Le rôle de la Cour de justice a également été renforcé par le traité de Lisbonne : les procédures ordinaires de renvoi préjudiciel et les procédures d’infraction engagées par la Commission s’appliquent. Des dispositions de transition étaient valables jusqu’au 1er décembre 2014 pour les actes qui étaient déjà en vigueur dans les domaines de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

La Cour de justice de l’Union européenne apparaît comme l’institution dont les prérogatives sont le plus accrues par le traité de Lisbonne. Jusqu’en 2010, les compétences de la CJUE étaient limitées, que ce soit pour les domaines du 3e pilier ou pour les questions de visas, d’asile et d’immigration du 1er pilier. Cette restriction est désormais supprimée. Une période transitoire avait été instaurée concernant la coopération policière et judiciaire en matière pénale pendant 5 ans, mais a pris fin au 1er décembre 2014. Désormais, la Cour de justice peut désormais être saisie sans restriction pour statuer à titre préjudiciel sur l’ensemble du domaine de l’ELSJ. À l’issue de cette période transitoire de 5 ans à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les actes adoptés dans le cadre du précédent traité en matière de coopération policière et judiciaire pénale peuvent aussi faire l’objet d’un tel recours. Le même système s’applique concernant les recours en manquement devant la Cour de justice (protocole n° 36).

Enfin, la mise en œuvre de l’ELSJ est renforcée grâce à la création de plusieurs agences dédiées : Europol en matière de coopération policière, Eurojust en matière de coopération judiciaire pénale, l’Agence des droits fondamentaux en ce qui concerne les droits fondamentaux et la lutte contre les discriminations, Frontex dans le domaine du contrôle des frontières extérieures de l’Union et plus récemment, le Bureau européen d’appui en matière d’asile.

Il faut noter que la CJUE dans les affaires Radu et Melloni1, considère que « l’objectif assigné à l’Union est de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres ». Depuis l’expiration du programme de Stockholm (2010-2014), les actions concrètes de l’Union dans ce domaine reposent sur les orientations stratégiques définies par le sommet européen de juin 20142.

B – Les structures en place et leurs évolutions

1 – Avant la mise en place d’Eurojust : la coopération judiciaire en matière pénale

Les demandes d’entraide judiciaire en matière pénale recouvrent un grand nombre d’actes procéduraux spécifiques parmi lesquels on peut citer les plus fréquemment utilisés : commission rogatoire internationale : acte par lequel un juge d’instruction demande à un autre État d’effectuer une enquête sur les faits infractionnels dont il est saisi. Ces demandes d’investigations ont pour but de rechercher des personnes soupçonnées, de procéder à l’audition de témoins, de recueillir des éléments de preuve ou de saisir le produit de l’infraction ; dénonciation officielle : acte par lequel le procureur de la République demande à un autre État d’intenter des poursuites contre l’auteur d’une infraction soit en raison de la commission de cette infraction dans cet État soit en raison de la nationalité de l’auteur de l’infraction lorsque l’État requis n’extrade pas ses nationaux ; notification d’actes judiciaires : demande faite à un autre État pour notifier à une personne résidant sur son territoire un acte judiciaire, soit une citation à comparaître devant une juridiction pénale française soit une décision rendue par cette même juridiction (tribunal correctionnel, chambre correctionnelle de la cour d’appel, cours d’assises, chambre criminelle de la Cour de cassation ) ; demande de transfèrement : demande de personnes condamnées dont l’objet principal est de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées à l’étranger en leur permettant de purger leur peine dans leur pays d’origine. Le traitement de ces demandes d’entraide peut supposer l’intervention d’un grand nombre d’acteurs en matière de coopération internationale.

Créé par une action commune du Conseil de l’Union européenne en date du 29 juin 1998, le réseau judiciaire européen est un réseau de magistrats praticiens de l’entraide en matière pénale qui a pour objectif de faciliter l’exécution et la coordination des demandes d’entraide pénale au sein de l’Union européenne.

Au niveau européen, le réseau judiciaire est composé d’un ensemble de magistrats, points de contact opérationnels répartis dans chacun des pays membres de l’Union européenne.

Un site internet en permanente évolution contient divers outils dédiés à l’entraide pénale internationale et permet à tout magistrat d’un État membre de l’Union européenne d’identifier les coordonnées de l’autorité étrangère compétente pour exécuter sa demande d’entraide ou le mandat d’arrêt européen émis. De même, un ensemble de fiches permet de connaître la procédure suivie dans chacun des pays membres de l’Union européenne pour les principaux actes d’investigations susceptibles de faire l’objet d’une demande d’entraide.

En France, les points de contact du réseau judiciaire européen sont répartis sur trois niveaux : l’administration centrale : le directeur des affaires criminelles et des grâces, le chef du service des affaires européennes et internationales et le chef du Bureau de l’entraide pénale internationale ; les juridictions : il existe un point de contact régional du réseau judiciaire européen au niveau de chaque parquet général au sein des cours d’appels ; l’international : tous les magistrats de liaison français à l’étranger sont des points de contact français du réseau. La force principale du réseau judiciaire européen réside initialement dans son aspect informel et souple, permettant ainsi une très grande réactivité et le développement de relations de confiance entre les magistrats de l’Union européenne.

La coopération judiciaire en matière pénale repose sur le principe de la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires et comprend des mesures visant à rapprocher les législations des États membres dans plusieurs domaines. Le traité de Lisbonne a créé une base plus solide pour le développement d’un espace de justice pénale, tout en conférant de nouveaux pouvoirs au Parlement européen.

Le point de départ est le principe de reconnaissance mutuelle. Des mesures spécifiques ont été adoptées pour lutter contre la criminalité transnationale et veiller à ce que les droits des victimes, des suspects et des détenus soient protégés3.

2 – Eurojust est un organe de l’Union européenne établi en 2002 par une décision du Conseil modifiée en décembre 2008

Il favorise et améliore la coordination des enquêtes et des poursuites judiciaires entre les autorités compétentes des États membres, notamment en facilitant l’entraide judiciaire transfrontalière et la mise en œuvre des demandes d’extradition et des mandats d’arrêt européens. Le traité de Lisbonne prévoit que « [p]our combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust », tout en réservant la possibilité d’étendre ses attributions à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. Le 17 juillet 2013, la Commission a déposé une proposition législative en vue d’instituer le Parquet européen et de réformer Eurojust, qui deviendra l’Agence de coopération judiciaire en matière pénale de l’Union. Les négociations se sont révélées relativement complexes et, en avril 2017, 16 États membres ont notifié leur intention d’établir une coopération renforcée en vue de la création du Parquet européen.

Comme on l’a vu plus haut, en juin 1998, le réseau judiciaire européen (RJE) en matière pénale avait été créé pour améliorer la coopération judiciaire entre les États membres. Le RJE vise à aider les magistrats et procureurs nationaux à mener des enquêtes et des poursuites judiciaires transfrontalières. Le Conseil européen de Tampere a réclamé la mise sur pied d’équipes communes d’enquête (ECE) pour lutter contre le trafic de drogue et la traite des êtres humains ainsi que le terrorisme. La convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale de mai 2000 prévoit aussi la constitution d’ECE. Le Conseil a adopté en juin 2002 une décision-cadre en la matière. Deux États membres au moins peuvent constituer une ECE qui peut également inclure des représentants d’Europol et d’Eurojust. Cet instrument n’a pas encore été intégralement développé.

Le mandat d’arrêt européen est l’une des réalisations essentielles de l’espace de sécurité européen recherché par les États membres et les institutions. La décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen a révolutionné le système d’extradition traditionnel en adoptant des règles innovantes : la limitation des motifs de refus d’exécution, le transfert de la prise de décision des autorités politiques aux autorités judiciaires, la possibilité de livrer des ressortissants de l’État d’exécution et des délais clairs pour l’exécution de chaque MAE. La mise en œuvre du MAE a posé certaines difficultés tant au niveau de l’Union qu’au niveau national, et la décision-cadre a été modifiée une première fois en 2009, en ce qui concerne les règles applicables aux procès par contumace. Europol, Eurojust et le réseau judiciaire européen peuvent apporter une contribution importante dans le domaine de l’entraide judiciaire et des demandes de MAE. Le 27 février 2014, le Parlement a adopté une résolution contenant des recommandations à la Commission relatives à la révision du MAE. En France, le mandat d’arrêt européen a nécessité une révision constitutionnelle4.

La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a transposé la décision-cadre du 13 juin 2002 dans le Code de procédure pénale dont les articles 695-11 à 695-46 sont ainsi exclusivement consacrés tant à la définition qu’aux conditions d’émission et d’exécution du mandat d’arrêt européen.

Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre de l’Union européenne en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine privative de liberté. Quatre éléments novateurs distinguent le mandat d’arrêt européen de la procédure d’extradition. En premier lieu, il s’agit d’une décision purement juridictionnelle, et non plus politique. Seule l’autorité judiciaire d’exécution qui décide de la remise d’une personne objet d’un mandat d’arrêt européen. En deuxième lieu, le contrôle de la double incrimination, autrefois signe patent de la préservation de sa souveraineté par l’État requis, est supprimé quand les faits visés au mandat d’arrêt européen sont, aux termes de la loi de l’État membre d’émission, punis d’une peine d’emprisonnement de 3 ans et plus et inclus dans une des 32 catégories d’infractions. En troisième lieu, la remise d’un ressortissant national est possible. Il s’agit là de l’abandon du lien entre la procédure d’extradition et la souveraineté nationale, permettant la réalisation de l’objectif d’un espace judiciaire européen. Quatrièmement, la mise en place de délais d’exécution destinés à accélérer la procédure : 60 jours à compter de l’arrestation de la personne recherchée, 90 jours en cas de circonstances exceptionnelles.

On peut désormais s’accorder sur le succès que constitue cette procédure au sein de l’Union européenne. Les chiffres sont éloquents : en termes de délai de procédure, s’il fallait compter en moyenne sur une période de 6 mois pour obtenir une décision sur l’extradition d’une personne qui déclarait consentir à sa remise, c’est moins de 20 jours désormais avec le mandat d’arrêt européen. C’est également un succès en termes de remise de nationaux puisque désormais les personnes recherchées par les autorités judiciaires d’un État dont elles ne sont pas ressortissantes ne bénéficient plus de la protection tirée du principe de non-extradition des nationaux, majoritairement appliqué au sein de l’Union européenne5.

Les dispositions sur le mandat d’arrêt européen constituent aussi une avancée pour les droits de la défense. En effet, les avocats ont désormais en effet accès à la totalité du processus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen : de la rétention initiale de la personne recherchée aux débats tenus devant la chambre de l’instruction dont la décision est susceptible d’un pourvoi en cassation.

Le rapport Eurojust 2015 publié en 20166 apporte des illustrations de la pratique conduite par Eurojust. Le nombre de dossiers pour lesquels l’assistance d’Eurojust a été demandée a augmenté de 23 %, passant de 1 804 enquêtes en 2014 à 2 214 en 2015. Les États tiers étaient impliqués dans 298 enquêtes. Le nombre de dossiers liés aux domaines suivants a augmenté : terrorisme, cybercriminalité, immigration illégale, fraude, corruption. Une augmentation de l’utilisation d’outils de coordination : réunions de coordination (274, une augmentation de 39 % par rapport à 2014) et des centres de coordination (13).

Il faut aussi souligner la participation aux réunions de coordination d’Europol, OLAF et des États tiers a augmenté. Eurojust a soutenu 120 ECE, dont 46 étaient nouvelles, et a fourni un soutien financier à 68 ECE. La première ECE avec OLAF a été créée, et une augmentation de l’implication des États tiers a une fois de plus été notée. Eurojust a donné son assistance dans l’exécution de MAE en 292 occasions. Eurojust a détaché un expert judiciaire chargé des affaires de cybercriminalité à EC3 et a reconnu le besoin d’établir un réseau de procureurs et de juges chargés des affaires de cybercriminalité.

Eurojust a soutenu les hotspots7, créé un groupe de travail thématique sur l’immigration illégale, et a signé un protocole d’accord avec EUNAVFOR MED. Eurojust a tenu un séminaire stratégique sur les conflits de compétences et un atelier sur la conservation des données en parallèle avec les réunions du forum consultatif. Une série de réunions Eurojust se sont tenues en 2015 : il en est ainsi de la réunion stratégique annuelle et réunion tactique sur le terrorisme ; réunion tactique et ad hoc sur la cybercriminalité ; réunion stratégique sur la TEH ; réunion sur la piraterie maritime ; réunion sur la coopération judiciaire lors d’évènements sportifs majeurs ; séminaire stratégique, application de l’entraide judiciaire et accords d’extradition entre l’UE et les USA8.

Eurojust a aussi publié en 2015 un recueil des condamnations pour terrorisme (TCM) ; le troisième rapport sur les combattants terroristes étrangers ; un résumé du second rapport sur les combattants terroristes étrangers ; un registre judiciaire relatif à la piraterie maritime, guide de la bonne pratique relative aux évènements sportifs majeurs ; un rapport sur les dossiers Eurojust sur les conflits de compétences 2009-2014 ; un rapport sur l’expérience d’Eurojust du recouvrement des avoirs. Eurojust s’est concentré en 2015 sur les conflits de compétences, la conservation des données et les livraisons surveillées. Le budget d’Eurojust en 2015 était de 33 818 millions d’euros9.

Le travail d’Eurojust est basé sur de solides relations avec plusieurs partenaires. Une coopération particulièrement étroite, fondée sur des accords, existe avec les autorités nationales, les institutions et les partenaires de l’UE : la Commission européenne ; Europol ; l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) ; l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (Frontex) ; l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) ; le Collège européen de police (CEPOL) ; le Réseau européen de formation judiciaire (le REFJ) ; l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) ; et les forces navales de l’Union européenne–Méditerranée (EUNAVFOR MED) et d’autres organismes internationaux : Interpol, le réseau ibéro-américain de coopération judiciaire internationale (IberRed) et l’Office des nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC)10.

Les activités opérationnelles d’Eurojust sont soutenues par une base de données sur mesure – le CMS – qui est conçue pour le stockage et le traitement des données d’enquêtes ainsi que pour veiller au respect de la réglementation sur le traitement des données personnelles. Quelques exemples concrets de l’action d’Eurojust permettent de mieux visualiser ses actions pragmatiques. Ainsi, par exemple, en février 2014, les autorités françaises ont requis l’assistance d’Eurojust dans une enquête concernant une organisation clandestine (OC) impliquée dans le commerce illicite et le trafic de viande de cheval, jugée potentiellement impropre à la consommation humaine. À cause de la falsification, suppression ou modification de la documentation officielle du secteur santé par l’OC, y compris les passeports individuels incluant les dossiers médicaux de chaque animal itinérant, la viande de cheval est entrée frauduleusement dans la chaîne alimentaire européenne. Quatre cents passeports de chevaux, présentant des anomalies, furent détectés en France seule. Les autorités françaises ont estimé qu’environ 4 700 chevaux impropres à la consommation humaine ont été abattus et introduits dans la chaîne alimentaire légale entre 2010 et 2013. Ces activités contrevenaient à la législation européenne, selon laquelle la provenance de toute viande doit être comptabilisée et faire preuve de traçabilité.

Dans un autre domaine, une enquête allemande sur des vols à grande échelle de véhicules motorisés et de pièces automobiles de valeur, comme des systèmes de navigation et airbags, a permis de découvrir une organisation clandestine (OC) composée de citoyens lituaniens, lettons et allemands, ayant des liens avec plusieurs villes en Lituanie. De jeunes lituaniens âgés de 16 à 19 ans étaient envoyés en Allemagne, principalement pour commettre des vols de et dans des véhicules motorisés. Outre des vols de voiture, l’OC était soupçonné de commettre des cambriolages et des vols. Les marchandises volées étaient expédiées par la Pologne pour être vendues en Lituanie.

Les enquêtes ont révélé que ce n’était pas une grande OC, mais plutôt six plus petites agissant indépendamment les unes des autres qui étaient impliquées dans ces actes criminels. Les OC collaboraient seulement à des fins de transport de marchandises vers la Lituanie.

Afin de démanteler l’OC, les autorités allemandes ont identifié le besoin d’une coopération judiciaire transfrontalière et se sont adressées à Eurojust pour obtenir son soutien. Des réunions de coordination ont été tenues en décembre 2014 et juillet 2015, menant à une collaboration étroite entre les parquets impliqués et les forces de l’ordre, et un échange fluide et accéléré d’informations et d’exécution des demandes d’entraide

Dans un autre domaine encore, début 2013, les autorités de santé du Royaume-Uni ont informé leurs homologues espagnols de six envois illégaux contenant 25 600 comprimés de produits médicinaux contrefaits d’origine indienne qui allaient être acheminés vers une personne en Espagne. Une livraison surveillée fut mise en place, et le destinataire arrêté par les autorités espagnoles. L’enquête britannique a indiqué qu’environ 50 sites internet hébergés sur des serveurs situés en République tchèque ou dans les Pays-Bas faisaient la publicité de produits médicinaux en vente sans ordonnance médicale, principalement des produits utilisés pour lutter contre la dysfonction érectile. Les médicaments fabriqués en Inde étaient envoyés vers le Royaume-Uni pour être transférés à d’autres détaillants au sein de l’Union européenne pour continuer la distribution. Les commandes étaient placées soit par le biais d’internet soit par téléphone. Les paiements étaient faits par carte de crédit à des comptes en banque dans plusieurs États membres, qui canalisaient ensuite ces fonds à travers une couche de comptes « ponts » vers des comptes en banque à Chypre.

Des liens avec une autre enquête en Autriche ciblant un groupe criminel d’origine ukrainienne avec des connexions avec Israël et la fédération russe ont été identifiés par Europol.

Deux réunions opérationnelles à Europol, en avril 2013 et février 2014, ont permis à plusieurs services de police d’échanger des informations, qui ont détecté des liens possibles avec une enquête française concernant un groupe de sites internet gérés à partir d’Israël, qui offrait également des produits médicinaux sans ordonnance médicale. Les autorités espagnoles ont soumis des demandes d’entraide judiciaire en Autriche, Belgique, Chypre, Allemagne, Inde et États-Unis pour identifier les bénéficiaires de l’activité illégale et pour essayer de localiser les produits du crime, dont la valeur était estimée à environ 1 800 000 €. Comme le résultat des réunions à Europol concernait les connexions potentielles avec des enquêtes dans d’autres pays, les autorités espagnoles ont approché Eurojust pour coordonner les aspects judiciaires du dossier.

Une enquête française a révélé une fraude à la TVA organisée, ainsi que du blanchiment d’argent, dans de la vente de voitures d’occasion. Les infractions ont été commises par un groupe de personnes de nationalité française opérant en Espagne. Les voitures étaient vendues à des détaillants français à partir de fournisseurs allemands, à travers un nombre de transactions intermédiaires fictives basées sur de fausses factures, au sein de sociétés françaises, espagnoles, roumaines, italiennes et portugaises, pour éviter d’avoir à payer la TVA.

Le dossier a été amené à Eurojust par les autorités françaises, après quoi une réunion de coordination a été tenue pour débattre de l’état d’avancement des enquêtes et pour optimiser la coopération entre les autorités impliquées. Eurojust a servi d’intermédiaire afin de faciliter l’exécution de multiples demandes d’entraide judiciaire entre la France et l’Espagne, un rôle s’étant avéré crucial car les procédures en Espagne étaient pendantes.

L’analyse des informations échangées entre les participants mit en lumière plusieurs obstacles, en particulier un potentiel problème de ne bis in idem, dû à un chevauchement des cibles en France et en Espagne. Pour éviter un conflit de compétences à un stade ultérieur des procédures, une coordination concernant les accusations futures et le champ des procédures nationales était nécessaire. À la lumière de ces obstacles, la France et l’Espagne ont signé un accord d’ECE en juin 2014 pour faciliter la coopération et pour l’échange des éléments de preuves.

À la suite d’enquêtes minutieuses et au vu d’une coopération croissante entre les participants de l’ECE, des actions communes contre le réseau furent réalisées par les autorités policières en Espagne et en France en janvier 2015, soutenues par un centre de coordination à Eurojust. 29 suspects furent arrêtés en Espagne, et deux en France. De nombreux documents furent saisis pendant les perquisitions, révélant des fonds blanchis d’une valeur estimée à 20 millions €11.

Fort du succès de cette première action, le soutien d’Eurojust a été une fois de plus requis au cours de l’extension de l’ECE, ce qui servit à simplifier l’échange des éléments de preuves en vue des procédures judiciaires à venir. Lors d’une réunion de coordination, les membres de l’ECE ont donné leur accord pour un transfert des procédures de l’Espagne vers la France pour les infractions de blanchiment d’argent et de participation à une organisation criminelle. L’Espagne devait se concentrer sur l’infraction de fraude fiscale12.

Afin de soutenir les procédures françaises, les participants ont accepté que les enquêteurs français se déplacent en Espagne pour examiner les preuves recueillies par l’enquête espagnole. Les autorités françaises ont accepté de prêter leur assistance à leurs homologues espagnols en organisant une vidéoconférence afin d’interroger deux personnes inculpées et détenues en France

3 – Europol et les évolutions de ses missions

L’Office européen de police (Europol) peut être considéré comme l’agence répressive de l’Union. Sa mission est de contribuer à rendre l’Europe plus sûre et à aider les services répressifs dans les États membres de l’UE. Europol occupe en effet une place centrale dans l’architecture européenne de sécurité, ce qui lui permet de proposer une série unique de services. Il en est ainsi du soutien aux opérations de maintien de l’ordre sur le terrain ; de la mise en place de plates-formes d’information sur les activités criminelles, ou encore d’un centre d’expertise en matière de maintien de l’ordre.

Europol emploie 100 analystes parmi les mieux formés d’Europe dans le domaine de la criminalité. C’est l’une des plus grandes concentrations de capacités analytiques dans l’UE. Ces analystes utilisent des outils de pointe pour assister au quotidien les agences nationales dans leurs enquêtes. Europol publie régulièrement des analyses à long terme portant sur la criminalité et le terrorisme, afin d’aider ses partenaires nationaux à mieux cerner les problèmes de criminalité auxquels ils sont confrontés.

S’agissant de son organisation, Europol est placé sous l’autorité d’un directeur, nommé par le Conseil de l’UE, qui est son représentant légal. Le conseil d’administration d’Europol donne des orientations stratégiques et supervise la mise en œuvre de ses missions. Il est composé d’un représentant de haut niveau de chaque pays de l’UE, ainsi que d’un représentant de la Commission européenne. Chaque pays dispose d’une unité nationale, qui est l’organe de liaison entre Europol et les autres agences nationales, comme nous le verrons plus bas avec l’exemple des organes français.

Les activités d’Europol reposent sur sa stratégie. Ses objectifs sont définis dans son programme de travail annuel. Depuis 2010, l’UE a mis en place un cycle politique pluriannuel pour garantir une coopération efficace entre les services répressifs nationaux et d’autres organismes (de l’UE et d’ailleurs) dans le domaine de la grande criminalité internationale organisée. Les bénéficiaires de cette coopération sont nombreux : il s’agit des services répressifs, qui peuvent compter sur un soutien opérationnel 24h/24, des administrations publiques et des entreprises privées travaillant en partenariat avec Europol et des pays membres de l’UE, qui sont soutenus dans leurs enquêtes, leurs activités opérationnelles et leurs projets de lutte contre les menaces criminelles13.

Les structures de coopération s’adaptent en permanence à de nouveaux dangers, tels que la cybercriminalité et la traite des êtres humains, qui apparaissent de plus en plus préoccupants. Les réseaux qui se livrent à des infractions dans chacun de ces domaines s’adaptent eux-mêmes très rapidement aux réalités nouvelles et se jouent des moyens classiques de répression. D’où une obligation de réactivité et d’adaptation permanente.

Afin d’aider ses partenaires à mieux cerner la criminalité qu’ils combattent, Europol fournit des évaluations régulières, comportant des analyses complètes et prospectives de la criminalité et du terrorisme au sein de l’Union européenne. Il est possible de citer dans ce cadre, l’évaluation de la menace que représente la grande criminalité organisée (SOCTA), qui : recense et évalue les menaces émergentes ; détaille la structure des groupes criminels organisés (GCO), leur mode de fonctionnement et les principaux types de criminalité touchant l’Union européenne ; le rapport sur la situation et les tendances du terrorisme en Europe (rapport TE-SAT), qui présente une analyse détaillée de la situation en matière de terrorisme dans l’Union européenne.

Il faut mentionner le compte-rendu d’activité d’Europol, publié annuellement, qui présente les résultats et les informations spécifiques relatifs aux fonctions et systèmes dont dispose Europol et rend compte de ses actions sous la forme d’un soutien coordonné à diverses opérations de police à travers toute l’Europe, et parfois au-delà.

Le « programme de Stockholm », pour la période 2010-2014, porte sur une « Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens », appelait Europol à devenir le « centre névralgique de l’échange d’informations entre les services répressifs des États membres et à jouer le rôle de prestataire de services et de plate-forme pour les services répressifs »14. Précisément, pour la période 2010-2014, les priorités de l’Union européenne en matière de liberté, de sécurité, et de justice, ont été définies par le programme de Stockholm, qui poursuit les stratégies de Tampere et de La Haye. Ce programme présente six grandes priorités.

Il est d’abord fondé sur une Europe des droits avec comme objectif de garantir la protection des droits fondamentaux, notamment en renforçant la législation sur la protection des données et en intégrant la protection des données dans toutes les politiques de l’UE et dans le domaine du maintien de l’ordre, de la prévention de la criminalité et des relations internationales.

Il a ensuite pour objectif le renforcement de l’Europe de la justice : mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle, notamment des propositions législatives relatives à l’obtention de preuves, aux déchéances et aux sanctions financières en matière pénale. Proposer également une nouvelle législation en matière civile, notamment dans le domaine des divorces, et de réviser le règlement relatif aux jugements en matière civile et commerciale.

Il vise aussi à construire encore davantage une Europe de la protection en élaborant une stratégie de sécurité intérieure, en améliorant les instruments de sécurité existants et en proposant la mobilisation des outils technologiques nécessaires, notamment un registre européen des ressortissants de pays tiers ayant fait l’objet d’une condamnation. Améliorer les politiques de lutte contre la criminalité transfrontalière, principalement par une meilleure coopération européenne en matière répressive, y compris entre Europol, Eurojust et Frontex, ainsi qu’une protection accrue contre la criminalité.

Il a aussi une dimension relative à l’accès à l’Europe : élaborer une approche intégrée de la gestion des frontières extérieures de l’UE, notamment en modifiant Frontex, le code frontière Schengen et le système européen de surveillance des frontières (Eurosur). Il s’attache ainsi à poursuivre la libéralisation du régime des visas par la négociation avec les pays tiers d’accords visant à l’assouplir et par la mise en service du système d’information sur les visas (VIS).

Le programme vise encore à renforcer et mettre en avant l’Europe de la solidarité : poursuivre une politique d’immigration dynamique et globale en développant une approche plus globale de la migration par l’UE pour consolider la coopération avec les pays tiers ; en soutenant la migration qui répond aux exigences du marché du travail des États membres de l’Union ; en promouvant l’intégration et les droits des migrants ; en luttant contre la migration illégale et en prenant en compte la situation des mineurs non accompagnés. Poursuivre également la politique d’asile commune afin d’établir un espace commun de protection des demandeurs d’asile par le partage des responsabilités entre les États membres.

L’Europe dans le contexte de la mondialisation est enfin le dernier volet du programme, en cherchant à renforcer la dimension extérieure, en particulier en faveur de l’amélioration de la coopération et du partage d’informations entre les pays de l’UE. En 2010, la Commission européenne a publié un plan d’action visant à concrétiser ce programme et contenant une feuille de route et un calendrier de mise en œuvre. Un rapport d’août 2013, à l’initiative du Parlement européen, dresse un bilan plutôt négatif du programme de Stockholm. Il pointe le décalage entre les normes protectrices des individus et la pratique ainsi que du retard accumulé dans l’adoption des normes relatives à la protection des données personnelles.

Selon ce rapport d’alors, la situation des populations roms a empiré, notamment en France et en Italie. Une stratégie de sécurité intérieure a été adoptée, mais il n’existe pas de réel espace judiciaire européen. Les agences et instruments politiques dans le domaine foisonnent mais il existe peu de concrétisations du point de vue normatif. Des déséquilibres importants persistent entre États membres en raison du refus de prendre en compte les particularités des États méditerranéens et des « opt-outs » du Royaume-Uni, de l’Irlande et de la dérogation du Danemark. Enfin, la gestion de l’immigration légale «  stagne malgré ses faibles ambitions ».

Le rapport souligne toutefois quelques réussites concrètes comme l’adoption du paquet asile, le renforcement de Frontex et la création du Bureau européen d’appui en matière d’asile, gérant les systèmes d’information de l’ELSJ. Peu de progrès en revanche du côté d’Europol et d’Eurojust. La reconnaissance mutuelle entre États a progressé, notamment en matière de protection des personnes. La coopération judiciaire civile a rattrapé son retard et devrait continuer à progresser avec un grand nombre d’initiatives en voie d’adoption.

Le contexte dans lequel a évolué le programme de Stockholm a montré ses insuffisances. Les réformes constitutionnelles controversées en Hongrie ont démontré que l’Union européenne ne réussit pas à imposer le respect par les États membres de ses valeurs fondamentales. Le rapport pointe également l’effondrement du système d’asile et de contrôle des frontières extérieures en Grèce et l’absence d’affirmation du Bureau européen d’appui en matière d’asile lors de l’arrivée des réfugiés syriens. Le Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 a défini les orientations stratégiques pour la planification législative et opérationnelle pour la période 2015-2020 au sein de l’ELSJ, sans adopter de nouveau programme en tant que tel.

Ces orientations stratégiques s’inscrivent dans le prolongement des programmes antérieurs. Il établit plusieurs objectifs. Il fixe pour objectif en premier lieu la transposition intégrale et la mise en œuvre effective du régime d’asile européen commun (RAEC) qui constituent une priorité absolue. Il vise ensuite à la transposition cohérente, la mise en œuvre effective et la consolidation des instruments juridiques et des mesures existants. La protection et la promotion des droits fondamentaux, y compris la protection des données, tout en répondant aux préoccupations relatives à la sécurité, également pour ce qui est des relations avec les pays tiers sont aussi un des axes de travail de la période en cours depuis 2015, avec l’adoption d’un cadre général européen solide en matière de protection des données.

L’intensification de la coopération avec les pays d’origine et de transit, y compris en les aidant à renforcer leurs capacités en matière de migration et de gestion des frontières en appliquant le principe consistant à « donner plus pour recevoir plus », ainsi que le renforcement de l’assistance opérationnelle de l’agence Frontex et accroître sa réactivité face aux évolutions rapides que connaissent les flux migratoires constituent des objectifs du programme en place pour la période 2015-2020. De même, est incluse dans le programme l’affirmation du rôle de coordinateur de l’UE dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, grâce à l’amélioration des échanges d’informations transfrontières, la poursuite de l’approche globale de la cybersécurité, la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme, y compris par l’élaboration d’instruments tels que le système européen de dossiers passagers (ce que l’on appelle le PNR)15.

Il en va de même de l’instauration de mesures de prévention et de lutte contre la grande criminalité organisée, y compris la traite des êtres humains et le trafic de migrants, ainsi que contre la corruption, de l’intensification de la coopération policière opérationnelle ou encore du renforcement de la confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs.

Le Conseil européen assure vouloir protéger la libre circulation des citoyens de l’Union et rappelle son rang de liberté fondamentale. Toutefois, il met en garde contre les « éventuelles utilisations abusives ou frauduleuses » de cette liberté. Il appelle également à une mise à jour de la stratégie de sécurité intérieure.

La rénovation de la stratégie de sécurité intérieure fait partie des défis relevés par le Conseil européen. Le Conseil européen a en effet pris position sur la rénovation de la stratégie de sécurité intérieure en décembre 2014. La précédente, intitulée « Vers un modèle européen de sécurité », datait de 2010. Le Conseil identifie les principaux défis auxquels devrait répondre la nouvelle stratégie : la grande criminalité organisée, le terrorisme, la radicalisation, la cybercriminalité, les crises et les catastrophes naturelles et d’origine humaine.

Le Conseil européen encourage alors la mise en place d’opérations communes de renseignement, coordonnées au niveau de l’UE, dans le domaine de la criminalité internationale organisée. Il met en avant l’importance de la coopération, l’échange d’informations et la mise en place de soutien dans le cadre d’opération. Le Conseil insiste également sur la nécessité d’adopter la directive qui prévoit un fichier commun des passagers aériens (PNR), notamment pour lutter contre le terrorisme. Il envisage l’instauration d’un système d’index européen des registres de la police (EPRIS) et une gestion renforcée des frontières.

Pour le Conseil, les politiques en matière de migrations et de réfugiés et la coopération avec les pays tiers visant à combattre les phénomènes criminels, notamment les filières d’immigration clandestine et la traite des êtres humains, devraient être considérées comme faisant partie intégrante des politiques extérieures et de développement de l’Union. Il rappelle l’importance du respect des droits fondamentaux de tout un chacun dans l’élaboration et l’exécution de cette politique16.

Pour donner quelques chiffres concrets, en 2016, l’agence européenne Europol comporte 900 agents dont 185 officiers de liaison délégués par les États membres. Elle est dotée, depuis le traité d’Amsterdam, d’un budget propre. Espace d’échange d’informations, d’analyse du renseignement et d’expertise, elle effectue chaque année plus de 18 000 enquêtes transfrontalières. Elle est surtout un « méga moteur de recherche » en collectant des millions de données. Dans la période récente, certaines de ses compétences se sont étoffées avec notamment la création, en 2013, au sein de l’agence, du Centre européen de lutte contre la cybercriminalité ; en 2015, avec la mise en place d’une unité chargée spécialement du signalement des contenus sur internet afin de lutter contre la propagande terroriste en ligne et d’autres activités extrémistes ; enfin, au mois de janvier 2016, avec le lancement du Centre européen de lutte contre le terrorisme.

S’agissant des réformes, c’est le 17 juillet 2013 que la Commission européenne a présenté une proposition de règlement visant à réformer Europol. Le projet de règlement tendait à se substituer à ce qui constituait jusque-là la base juridique du fonctionnement d’Europol, c’est-à-dire cinq décisions des Conseils JAI de 2009. Trois ans de négociations entre le Conseil et le Parlement européen ont abouti à une résolution législative, en deuxième lecture, du Parlement européen du 11 mai 2016, approuvant la position du Conseil en première lecture du 4 décembre 2015 qui s’était prononcé pour un texte de compromis.

Le texte présente les avancées suivantes sur trois points. En ce qui concerne la gouvernance d’Europol, les discussions ont été longues et approfondies avant d’aboutir à un équilibre interinstitutionnel délicat qui renforce le rôle du Parlement européen mais aussi des parlements nationaux, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Comme le souhaitait la Commission, les décisions du conseil d’administration seront désormais adoptées à la majorité simple, sauf le programme pluriannuel et le budget annuel pour lesquels une majorité renforcée des deux tiers sera requise (article 15). Le contrôle politique des activités de l’agence sera assuré par un « groupe de contrôle parlementaire conjoint » établi par les parlements nationaux et la commission compétente du Parlement européen, c’est-à-dire la commission Libé (article 51 du règlement). Si la proposition de la Commission relative à la création d’un « comité exécutif » où elle aurait été représentée a été abandonnée, la Commission n’en voit pas moins son implication accrue (outre sa présence au conseil d’administration) puisque, aux termes de l’article 54, le directeur exécutif d’Europol sera désormais nommé par le Conseil sur la base d’une liste restreinte dressée par un comité de sélection composé de membres désignés par les États membres et d’un représentant de la Commission.

En outre, le candidat retenu devrait être tenu de se présenter devant la commission Libé du Parlement européen qui rendra un avis non contraignant au Conseil. Par ailleurs, le conseil d’administration pourra inviter à ses réunions, en tant qu’observateur sans droit de vote, toute personne dont l’avis pourrait être pertinent aux fins des débats, y compris, le cas échéant, un représentant du « groupe de contrôle parlementaire conjoint ».

Par ailleurs, sur le fondement d’une décision de la Commission européenne, Europol sera autorisé à transférer des données à caractère personnel vers des pays tiers ou des organisations internationales (article 25).

Un deuxième volet important de la réforme concerne l’unité de signalement des contenus sur internet qui a remplacé, au début de 2015, le point focal « Check the Web ». La base juridique de cette unité était fragile. La possibilité pour Europol d’échanger des données à caractère personnel avec les parties privées que sont les fournisseurs de services en ligne (tel Facebook, par exemple) paraissait interdite17.

Désormais, l’article 4 du règlement dispose explicitement qu’Europol a pour mission « de soutenir les actions des États membres en matière de prévention des formes de criminalité commises à l’aide d’internet, y compris, en coopération avec les États membres, le signalement de contenus sur internet, aux fournisseurs de services en ligne concernés pour qu’ils examinent la compatibilité du contenu sur internet signalé avec leurs propres conditions générales ».

Dans des conditions strictes, l’article 26 autorise Europol à transférer des données à caractère personnel à des parties privées. Ces conditions sont les suivantes : le transfert doit être strictement nécessaire à l’accomplissement de la tâche ; il doit concerner des cas individuels et spécifiques ; il ne doit pas exister de libertés ni de droits fondamentaux de la personne concernée qui l’emportent sur l’intérêt public exigeant le transfert.

En sens inverse, l’article 26 prévoit qu’Europol pourra désormais recevoir des données à caractère personnel de la part de parties privées à la suite des transferts.

Le troisième volet de la réforme concerne le traitement des informations et la protection des données. S’il revêt un caractère un peu technique, il n’en est pas moins capital puisqu’il devrait permettre à Europol de connecter différents fichiers (par exemple le fichier « criminalité organisée » et le fichier « terrorisme ») pour recouper les informations et éviter les éventuels doublons. L’agence pourra désormais établir des liens et des connexions entre différentes enquêtes dans le cadre d’une « gestion intégrée des données ».

Le droit existant, dans un souci de protection, interdisait, jusqu’alors, les connexions de fichiers. En contrepartie, la réforme renforce le contrôle interne (par le délégué d’Europol à la protection des données) et externe (par le contrôleur européen de protection des données). Elle prévoit aussi des limitations strictes en ce qui concerne la finalité de ces opérations.

Toutes ces dispositions ont fait l’objet de longues négociations et tractations avec le Parlement européen. Au final, le Conseil a jugé que la réforme « répondait aux inquiétudes exprimées en matière de protection des données, tout en préservant l’efficacité d’Europol ».

Trois ans de négociations ont donc été nécessaires pour aboutir à un texte de compromis qui paraît concilier la nécessaire protection des données personnelles des citoyens européens et l’amélioration de la souplesse et de l’efficacité opérationnelle d’Europol. Le principal problème réside dans la réticence de beaucoup d’États membres à « alimenter » Europol en informations policières, domaine régalien par excellence. Le nouveau règlement demande pourtant « aux États membres d’assurer la communication à Europol des informations nécessaires à la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme ».

Une des avancées des réformes à souligner est le contrôle politique d’Europol par le Parlement européen et les parlements nationaux. Selon l’article 51 du texte définitif : « Le contrôle des activités d’Europol est effectué par le Parlement européen, avec les parlements nationaux. Ceux-ci constituent un groupe parlementaire conjoint spécialisé, établi ensemble par les parlements nationaux et la commission compétente du Parlement européen. L’organisation et le règlement intérieur du groupe de contrôle parlementaire conjoint sont définis par le Parlement européen et les parlements nationaux ensemble, conformément à l’article 9 du protocole n° 1 du TFUE ».

Selon cet article 9 : « Le Parlement européen et les parlements nationaux définissent ensemble l’organisation et la promotion d’une coopération interparlementaire efficace et régulière au sein de l’Union ».

En revanche, dans sa résolution législative du 25 février 2014, le Parlement européen proposait le texte suivant : « Le contrôle des activités d’Europol par le Parlement européen, associé aux parlements nationaux, s’exerce par l’intermédiaire d’un “groupe de contrôle parlementaire conjoint”, issu de la commission compétente du Parlement européen, constitué par des membres titulaires de ladite commission ainsi que par un représentant de la commission compétente du Parlement national de chaque État membre et un suppléant. Les États membres dont le système parlementaire est bicaméral pourront être représentés par un représentant de chaque chambre ».

L’organisation et le règlement intérieur du « groupe de contrôle parlementaire conjoint » sont en cours d’élaboration. Le Sénat doit demander que les deux chambres des États membres à système bicaméral puissent être sans aucune équivoque représentées dans cet organe. En tout état de cause, les parlements nationaux doivent continuer à être étroitement associés à l’élaboration du règlement intérieur du groupe de contrôle parlementaire conjoint s’agissant notamment de sa composition, de son secrétariat et de ses règles de fonctionnement. Fin 2016, le Sénat a adopté une proposition de résolution18 dans le sens d’un contrôle parlementaire renforcé.

II – Les méthodes de coopération et les réalisations

Le domaine de la sécurité est un domaine qui, par excellence, appelle à la fois la coopération et la confiance entre les échelons de décision et de recueil d’informations. Le niveau européen a ainsi besoin de coopérer avec le niveau international et réciproquement (A), mais aussi avec le niveau national, qui, conformément au principe de subsidiarité, est l’échelon le plus à même d’être opérationnel rapidement (B). Ces coopérations ont permis des réalisations concrètes que les rapports successifs des institutions et organes relatent de manière précise (C).

A – Plusieurs coopérations existent dans ce sens entre Europol et Interpol

Ainsi par exemple, le 27 août 2007, Interpol ouvre un bureau de liaison au siège d’Europol. Le secrétaire général d’Interpol, d’alors, Ronald K. Noble, a officiellement ouvert le bureau de liaison de l’organisation au siège d’Europol afin de renforcer la collaboration entre les deux organismes policiers. Ce bureau apporte un soutien supplémentaire dans les communications concernant les projets en cours, l’analyse criminelle et les informations de police entre le secrétariat général d’Interpol, à Lyon, et le siège d’Europol, à La Haye. La « feuille de route » du renforcement de la coopération entre les deux organisations avait alors été présentée. Définie en 2005, cette feuille de route fixe les domaines dans lesquels Interpol et Europol peuvent travailler ensemble, comme le trafic d’êtres humains, le terrorisme et la pédocriminalité. Au même moment, avait été signée une initiative conjointe modifiée reconnaissant le rôle important joué par Europol dans le domaine de la protection de l’euro et par Interpol relativement aux autres monnaies.

« Il existe un grand nombre de domaines dans lesquels Interpol et Europol peuvent travailler ensemble efficacement dans l’intérêt des services chargés de l’application de la loi de nos pays membres, et Interpol continuera à établir des liens et à communiquer les informations dont il dispose afin de faire en sorte que cette collaboration s’exerce de la façon la plus avantageuse possible », avait alors déclaré M. Noble. « Les réunions bilatérales entre des fonctionnaires [des] deux organisations sont de la plus haute importance et il est également essentiel que ceux qui sont à leur tête se rencontrent pour veiller à ce qu’elles soient complémentaires dans leur action et que nous soyons en phase dans nos stratégies de lutte contre la criminalité organisée transnationale et le terrorisme », voici ce qui avait alors été dit par les responsables des deux pôles. Pour acquérir davantage de connaissances encore et bénéficier réciproquement de l’expertise de l’autre, un programme d’échange est actuellement mis en œuvre dans le cadre duquel, chaque année, cinq fonctionnaires de chaque organisation passent 2 semaines auprès de l’autre.

B – Les organes nationaux de mise en œuvre de la sécurité internationale et européenne

À l’image de la construction européenne et de son système juridique, le système de sécurité international et européen est nécessairement très décentralisé. C’est en effet sur le terrain de chaque État membre, dans une démarche de coopération toujours renforcée, que les principes de sécurité trouvent à s’appliquer. Dans ce cadre, il faut citer la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL)19.

En effet, au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et constituant l’une des composantes de la division des relations internationales (DRI), la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL) constitue l’organe central national chargé de la coopération opérationnelle internationale de police. Sur une plate-forme commune, la SCCOPOL regroupe les trois canaux institutionnels de la coopération opérationnelle policière internationale auxquels la France participe, à savoir Interpol, Schengen et Europol, conformément à l’article D. 8-2 du Code de procédure pénale qui en attribue la gestion à la DCPJ 20.

La SCCOPOL est un service interministériel auquel participent les ministères de l’Intérieur, des Collectivités territoriales, de l’Outre-mer et de l’Immigration (police et gendarmerie nationales), de l’Économie et des Finances par le biais des douanes et de la justice par le biais de la mission justice du bureau de l’entraide pénale internationale (BEPI). Elle est dirigée par un commissaire de police et un officier supérieur de gendarmerie, la structure fonctionne en permanence selon le principe des vacations. En 2016-2017, l’effectif se répartit ainsi : 40 fonctionnaires de police ; 25 militaires de la gendarmerie ; 2 fonctionnaires des douanes ; 4 personnels administratifs.

Afin d’assurer la transversalité nécessaire à ces trois canaux de coopération, par nature séparés techniquement et juridiquement, un point de contact central (PCC) a été installé à la SCCOPOL depuis août 2004. Il a pour fonction essentielle d’accompagner les services répressifs français dans le choix du meilleur outil de coopération policière en fonction de la nature et de la complexité de l’enquête en cours.

Le BCN Interpol France : comme on l’a vu plus haut, Interpol dispose, dans chaque pays membre, d’un correspondant appelé le Bureau central national (BCN). Son siège se trouve à Lyon (France) depuis 1989. Le BCN France est le correspondant Interpol pour l’ensemble des services d’enquêtes judiciaires français. Il gère la coopération dans le cadre du mandat d’Interpol à savoir les crimes et délits de droit commun (à l’exception des affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial). Par arrêté ministériel du 18 décembre 1928, le BCN France est placé à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), dont le directeur est le chef du BCN. La gestion quotidienne du BCN est confiée au sein de la DCPJ à la division des relations internationales, également chargée des canaux européens de coopération policière (Europol, Schengen). Environ 75 personnes au total, policiers, mais aussi gendarmes, travaillent pour le BCN.

Une grande partie d’entre eux est affectée à la DRI, à la section centrale de la coopération opérationnelle de police (SCCOPOL), point de contact unique national pour les trois canaux de coopération (Interpol Europol, Schengen). Sous le contrôle d’officiers de contact, l’unité de transmission du BCN réceptionne, analyse et diffuse les demandes des pays membres d’Interpol, ainsi que celles émanant des services français à destination de l’étranger. Plus de 120 000 messages transitent ainsi chaque année par le BCN France21.

D’autres travaillent dans les « groupes de relations internationales » (GRI) placés au sein des offices centraux spécialisés de la police judiciaire, de la police aux frontières et de la gendarmerie (crime organisé, stupéfiants, traite des êtres humains, grande délinquance financière, cybercriminalité, trafic d’œuvres d’art, filières d’immigration clandestine, délinquance itinérante) où ils traitent les demandes opérationnelles d’Interpol, directement ou en liaison avec les services territoriaux. Chaque office de la DCPJ – partie intégrante du BCN France – est chargé du traitement direct des enquêtes Interpol sur le territoire national et de leur traitement en liaison avec les services locaux.

Les demandes d’arrestation provisoire en vue d’extradition ou de remise, qu’il s’agisse de diffusions ou de notices rouges, sont quant à elles traitées dans leur phase policière par le « bureau des extraditions » de la SCCOPOL. Le bureau des extraditions s’occupe également de la gestion des remises lorsque les personnes recherchées sont interpellées, en relais du service des transfèrements du ministère de la Justice. Son travail est facilité par l’existence au sein de la DRI d’une « mission Justice », permanence assurée par des magistrats du bureau d’entraide pénale internationale du ministère de la Justice.

L’unité nationale Europol (UNE) : comme on l’a vu plus haut, Europol est une agence européenne ayant pour objectif la lutte contre la criminalité organisée dès lors que deux États membres de l’Union européenne ou plus sont affectés. Le domaine de compétence d’Europol couvre toutes les formes graves de criminalité transfrontalière et le terrorisme. Son siège est à La Haye (Pays-Bas). Dans chaque État membre, l’organisation dispose d’un correspondant unique : l’unité nationale Europol laquelle, pour la France, est placée au sein de la SCCOPOL. En collaboration avec le bureau de liaison France (BDL) au siège d’Europol, elle constitue le seul organe de liaison entre Europol et les services français compétents.

Alimentée par les services français, elle transmet les contributions nationales vers Europol et ses fichiers d’analyse, qui sont des instruments mis en place et dédiés à certaines formes de criminalité ou à certains groupes criminels. Pour les données qui n’entrent pas dans ces fichiers spécialisés, l’UNE dispose d’un accès au système d’information dans lequel elles sont introduites22.

L’unité nationale Europol France (UNE) est composée d’une unité présente sur la plate-forme de la SCCOPOL de Nanterre et d’un bureau de liaison (BDL) situé au siège d’Europol à La Haye. Le BDL a pour mission de représenter les intérêts de leur UNE au sein d’Europol conformément au droit national de l’État membre d’origine et dans le respect des dispositions applicables au fonctionnement d’Europol

L’UNE, permet ainsi d’échanger des informations opérationnelles et stratégiques en provenance de la France et des États membres ; d’offrir un soutien opérationnel d’implication des analystes d’Europol et la mise en place éventuelle d’un bureau mobile ; de valoriser l’information par la confrontation des données dans le système d’information d’Europol et la base d’indexation des fichiers d’analyse d’Europol (ou analysis work files – AWF) ; d’offrir un soutien aux enquêtes par la traduction en langue française des rapports analytiques opérationnels et stratégiques produits par Europol à destination des services répressifs ; de former des enquêteurs français aux différentes applications mises à disposition par Europol (système d’information, Check the Web, SIENA) et la gestion des comptes d’accès23.

Le système d’information Schengen (SIS) – bureau SIRENE : La convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS) signée le 19 juin 1990, entrée en vigueur le 26 mars 1995, prévoit, entre autres, la suppression des contrôles aux frontières intérieures et plusieurs outils destinés au renforcement de la coopération policière dans les 25 pays de sa zone d’application (auxquels s’ajouteront la Bulgarie, la Roumanie et le Liechtenstein). Afin de pallier les conséquences de cette suppression, un fichier informatisé commun, composé des fichiers nationaux des pays membres, dénommé système d’information Schengen (SIS) a été créé, concrétisant une nouvelle « frontière électronique dématérialisée », active depuis environ 500 000 terminaux d’interrogation dans les 28 États parties24.

Les catégories de données sont les suivantes : personnes recherchées pour arrestation en vue d’extradition et mandat d’arrêt européen ; étrangers signalés aux fins de non admission ; personnes disparues ou à placer en sécurité ; témoins, personnes citées à comparaître ou devant faire l’objet d’une notification de décisions judiciaires ; personnes dites observées, c’est-à-dire faisant l’objet d’une surveillance discrète ou d’un contrôle spécifique (les véhicules peuvent également faire l’objet de surveillances ou de contrôles spécifiques) ; données relatives aux objets recherchés aux fins de saisie ou de preuve dans une procédure pénale. Il contient actuellement 36 500 000 données dont 1 204 000 personnes recherchées.

Le bureau SIRENE (supplément d’informations requis à l’entrée nationale des étrangers) est chargé de la gestion opérationnelle de la partie nationale du système d’information Schengen (SIS). La mission du SIRENE est d’assurer la transmission des informations relatives aux signalements intégrés dans le système d’information Schengen et d’assurer la liaison avec les services nationaux et les autorités étrangères compétentes. Le bureau SIRENE précède à l’intégration et à la diffusion dans le SIS des mandats d’arrêt européens, délivrés par les autorités judiciaires françaises, après validation de la mission Justice. Le même dispositif s’applique à l’égard des signalements étrangers.

Ainsi, en 2010, le SIS a permis la découverte de : 450 individus, objets de mandats d’arrêt européens français à l’étranger ; 768 personnes, objets de mandats d’arrêt européens étrangers, en France. L’unité de coopération policière internationale Schengen (UCCPI) : la coopération policière Schengen est mise en œuvre par l’unité centrale de coopération policière internationale (UCCPI – article D8-2 du Code de procédure pénale). L’UCCPI, placée au sein de l’UCE, a pour mission de transmettre les demandes de renseignements ou d’informations à un ou plusieurs État(s) membre(s) dans tous les domaines de la délinquance (article 39 de la convention d’application des accords de Schengen – CAAS). Elle gère les demandes d’observation transfrontalière ordinaires ou en urgence (articles 40.1 et 40.2 de la CAAS) sollicitées par des services français ou étrangers. Elle est destinataire des informations relatives à la mise en œuvre d’un droit de poursuite (article 41 de la CAAS)25.

Elle transmet des informations spontanées en matière de prévention d’actes de délinquance, de troubles à l’ordre public ou d’informations liées à la sécurité civile. La mission Justice autorise les observations transfrontalières émanant des autorités étrangères. En 2010, la SCCOPOL a reçu 144 demandes étrangères portant sur des observations transfrontalières et a transmis 183 demandes françaises à l’étranger. Les offices centraux et directions interrégionales et régionales de police judiciaire (DIPJ et DRPJ) sont chargés de l’assistance des services étrangers dans l’exécution de l’observation transfrontalière sur le territoire national26.

C – Quelques exemples concrets d’opérations menées

Les actions conjointes entre Interpol et Europol permettent des réalisations concrètes que l’on peut observer dans les rapports successifs d’Europol. Ainsi par exemple, près de 26 millions de litres d’alcool frelaté ont été saisis lors d’une opération conjointe Interpol-Europol qui a permis de découvrir 230 millions d’euros de nourriture et boissons contrefaites, ont annoncé mardi les deux agences dans des communiqués séparés27.

Plus de 9 800 tonnes d’aliments et 26,4 millions de litres de produits frelatés « potentiellement dangereux », au premier rang desquels l’alcool, suivi par la viande et les fruits de mer, ont été saisis au cours de cette sixième opération Opson menée dans 61 pays dont 21 européens, de décembre 2016 à mars 2017, précise l’agence de coopération policière internationale (Interpol) dont le siège est à Lyon, en France.

Treize personnes ont été arrêtées en Europe au terme de plus de 50 000 contrôles opérés entre décembre et mars sur les marchés et dans des magasins, aéroports, ports et usines, selon Europol. L’opération, impliquant la police, les douanes, les services d’inspection sanitaire et le secteur privé, a été conduite sur les marchés et dans des magasins, aéroports, ports et zones industrielles, précise Interpol. « Opson VI a confirmé la menace que la fraude alimentaire représente, étant donné qu’elle affecte tous les types de produits et toutes les régions du monde », relève le directeur de la Coalition chargée de la criminalité liée à la propriété intellectuelle (IPC3) d’Europol, cité dans le communiqué de presse28

Dans un autre domaine encore, 80 000 cubes de bouillon frelaté. « Les criminels sont prêts à contrefaire toutes sortes de nourriture et de boissons sans aucune idée du coût humain pour faire un profit », déplore ainsi la coordinatrice du programme de santé globale et de produits illicites d’Interpol, appelant le public à « rester vigilant » dans leurs achats. En France, les douanes, alertées par le secteur industriel, ont saisi quelques 180 000 cubes de bouillon frelaté, qui ont été mis au jour par les douanes chez un grossiste près de Paris et en Indonésie, comme en Thaïlande, des condiments et sauces produits dans des conditions insalubres. Ces rehausseurs de goût portaient illégalement le logo d’une célèbre marque et ont été détruits, ajoute l’agence. « Le propriétaire de la marque a confirmé qu’il s’agissait de contrefaçon », indique l’office européen des polices Europol. « L’enquête est en cours pour déterminer l’origine, l’itinéraire et la destination finale de ces aliments ».

Dans un autre domaine encore, en Russie, la police a ainsi démantelé plusieurs réseaux de production et de distribution d’alcool trafiqué et muni de faux timbres fiscaux. De même, en Italie, les carabiniers ont mis la main sur un vaste réseau de trafic de vin frelaté et d’emballages de contrefaçon à partir d’une ferme toscane. Au Portugal, ce sont 311 000 boîtes de conserve de poisson qui ont été saisies dans une usine de transformation, qui s’était vue retirer sa licence et reconditionnait frauduleusement des aliments pour la plupart périmés. En Allemagne, des centaines de kilos de pâte à tartiner à la noisette, contenant également des noix de cajou et des amandes, ont été retirées du marché car l’étiquette ne présentait pas la teneur en substances allergènes.

Une « nouvelle tendance » a par ailleurs été décelée en Italie : la contrefaçon d’eau minérale. Près de 32 000 bouteilles imitant une célèbre marque, soit 266 000 litres, ont été saisies. Leur embouteillage ne respectait en outre pas les règles sanitaires. L’opération a également mené à la découverte de fausse huile d’olive vierge au Danemark, de palourdes mal nettoyées en Espagne et de 1 300 litres de vodka et de whisky de contrebande en Grèce venant de la Bulgarie principalement. Dans le même ordre d’idées, plus de 1 200 boîtes de compléments alimentaires interdits aux États-Unis en raison de leur risque pour la santé ont aussi été saisies à l’aéroport de Buenos Aires.

Le sujet des migrations est aussi un élément central de préoccupation des organes de sécurité européenne. À mesure qu’elle dure, la crise migratoire sert de terrain de chasse au crime organisé. Voilà la conclusion principale du rapport alarmant consacré aux filières clandestines d’immigration vers l’Europe publié conjointement par Interpol et Europol, mercredi 17 mai 2017. On retiendra notamment que neuf migrants sur dix passent par des groupes criminels pour rejoindre l’Europe

Selon Europol, le passage de 90 % des migrants vers l’Union européenne a été facilité par des groupes criminels. Face à des flux migratoires sans précédent, Europol et Interpol constatent que des groupes criminels impliqués initialement dans d’autres trafics, les stupéfiants par exemple, ont diversifié leurs activités en entrant dans le business des passeurs.

D’après les deux organisations, des oligopoles criminels sont en train de se mettre en place pour se partager cette activité lucrative. Ce phénomène est déjà visible en Turquie, en Égypte ou en Libye, affirme le texte. Le business des passeurs apparaît ainsi plus lucratif que jamais. Europol et Interpol soulignent que les filières clandestines sont devenues une source considérable de profits pour le crime organisé. Environ un million de personnes sont en effet entrées en Europe en 2015 et, selon les estimations, elles ont payé entre 3 200 et 6 500 $ (soit entre 2 820 et 5 700 €) pour faciliter leur voyage, expliquent les deux organisations. De quoi générer environ 6 M$ (5,3 M€) de bénéfices en 2015. Pour blanchir un tel montant, des transporteurs déplacent d’importantes sommes d’argent à travers les frontières et les contrebandiers écoulent ces recettes via des achats de voitures, des épiceries, des restaurants ou des entreprises de transport, explique Interpol29. Le rapport souligne les inquiétudes de voir des terroristes emprunter la route des migrants est une « préoccupation croissante ». Sur ce sujet sensible, la préoccupation est croissante d’Europol et Interpol. Sur ce point, les deux organisations policières reconnaissent qu’il n’existe pas de dépendance « systématique » entre terrorisme et filières d’immigration clandestine. Mais elles soulignent néanmoins qu’on ne peut pas négliger le fait que des terroristes puissent utiliser les ressources des passeurs pour atteindre leur but. Le rapport rappelle la présence, parmi les assaillants des attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, de deux hommes entrés dans l’Union européenne via la Grèce parmi le flux de réfugiés fuyant la Syrie30.

Dans ses conclusions de juin 2014, le Conseil européen a défini des orientations stratégiques pour la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice pour les années à venir, conformément à l’article 68 du TFUE. L’un des principaux objectifs est de développer la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l’Union. Une évaluation à mi-parcours des orientations a eu lieu en 2017. De nombreux progrès restent à faire.

Deux thèmes de conclusions s’imposent à ce stade des évolutions des organes et mesures en matière de sécurité européenne : l’idée d’un parquet européen et les conclusions du Conseil européen du mois de juin 2017.

À propos du thème de la perspective d’un parquet européen, il faut rappeler que la méthode des petits pas ou du spill over voulue par les pères fondateurs de la construction européenne s’illustre régulièrement dans des domaines variés. La construction économique, par effet d’engrenage, a engendré de nombreuses autres politiques, telle la politique sociale. La mise en place d’un territoire commun a en effet exigé la mise en place de mesures de protection des citoyens européens. Cet effacement des frontières a aussi conduit à un effacement des frontières de la criminalité. C’est ainsi que l’idée de mettre en place des coopérations en matière de police et de justice est ancienne.

Cependant, ces matières relèvent du pouvoir régalien par excellence, et s’inscrivent dans la tension permanente entre construction supranationale et maintien d’une dimension intergouvernementale dans les domaines sensibles. Ainsi, les premières bases sont posées dans le cadre du traité de Maastricht, qui se fonde sur trois piliers, le pilier que l’on appelait alors « pilier communautaire », reprenant l’acquis communautaire, et deux piliers dits intergouvernementaux, mettant en place de nouvelles coopérations. Il s’agissait alors du pilier « PESC » pour politique étrangère et de sécurité commune et du pilier « JAI » pour justice et affaires intérieures. Depuis, les révisions successives des traités, jusqu’au traité de Lisbonne ont supprimé la structure en piliers et renforcé les bases juridiques permettant la mise en place d’un parquet européen.

Après des hésitations et des négociations, une vingtaine d’États membres de l’Union européenne se sont mis d’accord, à Bruxelles, pour créer ensemble un parquet européen chargé de la lutte contre la fraude financière. Cette étape politique importante ne marque toutefois pas la fin du processus décisionnel : il faudra encore que le Parlement européen se prononce.

Compte tenu de l’absence de consensus entre tous les États membres, l’instrument juridique retenu est celui de la « coopération renforcée », qui permet à un groupe de pays d’avancer ensemble lorsque leur projet n’emporte pas l’adhésion de tous. Ce projet représente, pour un diplomate européen « une percée vraiment inespérée ». Le sujet est en effet sensible. L’objet du projet est de créer une structure juridique supranationale capable de se saisir directement d’affaires financières.

Celui-ci devait être bâti avec une structure européenne, basée à Luxembourg. Elle devrait être composée d’un procureur général, entouré de 20 magistrats – un par État membre. Dans chacun des États participant au dispositif existerait une cellule relais. On évoque, en France, environ huit juges dans celle-ci. Le parquet européen sera fondé à se saisir de toute affaire relative à l’utilisation du budget européen, pour autant que le montant de la fraude dépasse les 10 000 €. Dans un autre registre, il pourra également mener l’enquête sur les affaires de fraude transfrontalière à la TVA, mais cette fois à condition qu’au moins 10 millions d’euros soient en jeu.

Contrairement aux prérogatives de l’actuel office européen de lutte contre la fraude (OLAF), le parquet européen disposera de réels pouvoirs d’investigation. Il pourra également demander, dans les plus brefs délais, le gel de comptes bancaires ou d’actifs dans l’un des 20 pays concernés (Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Chypre, République tchèque, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Italie, Lituanie, Lettonie, Luxembourg, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Espagne et Slovénie)31. Si ce projet aboutit, il pourrait être le fer de lance d’une véritable européanisation de la justice dans ce domaine32.

Les conclusions du Conseil européen de l’été 2017 comportent des éléments importants sur la sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme33. Ces conclusions mentionnent en premier lieu que le Conseil européen condamne fermement les attentats terroristes qui ont été perpétrés récemment et est uni et résolu dans la lutte contre le terrorisme, la haine et l’extrémisme violent. Les conclusions affirment que : « Ces actes ont renforcé notre détermination à coopérer au niveau de l’UE de façon à accroître notre sécurité intérieure : nous lutterons contre la propagation de la radicalisation en ligne, coordonnerons nos efforts visant à prévenir et combattre l’extrémisme violent et à lutter contre l’idéologie qui le sous-tend, ferons échec au financement du terrorisme, faciliterons les échanges rapides et ciblés d’informations entre les services répressifs, y compris avec des partenaires de confiance, et améliorerons l’interopérabilité des bases de données »34.

Les conclusions insistent aussi sur la circonstance que les entreprises du secteur doivent assumer leurs propres responsabilités pour ce qui est de contribuer à la lutte contre le terrorisme et la criminalité en ligne. Dans le prolongement des travaux menés par le forum de l’UE sur l’internet, le Conseil européen attend des entreprises du secteur qu’elles créent leur propre forum et mettent au point de nouvelles technologies et de nouveaux outils en vue d’améliorer la détection automatique et la suppression des contenus qui incitent à la commission d’actes terroristes. Cela devrait être complété par les mesures législatives appropriées au niveau de l’UE, si nécessaire. Le Conseil européen appelle à relever les défis que posent les systèmes qui permettent aux terroristes de communiquer par des moyens auxquels les autorités compétentes ne peuvent avoir accès, y compris le chiffrement de bout en bout, tout en préservant les avantages que ces systèmes offrent en matière de protection de la vie privée, des données et des communications. Le Conseil européen estime que l’accès effectif aux preuves électroniques est essentiel pour lutter contre les formes graves de criminalité et le terrorisme et que, sous réserve de garanties appropriées, la disponibilité des données devrait être assurée.

Les conclusions soulignent encore que l’accord sur le système d’entrée/sortie, qui devrait intervenir sous peu, et la finalisation, avant la fin de l’année, d’un système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS) ouvriront la voie à la mise en œuvre rapide de ces systèmes, ce qui renforcera le contrôle des frontières extérieures et la sécurité intérieure, tout en tenant compte des situations spécifiques des États membres qui n’appliquent pas encore pleinement l’acquis de Schengen. Dans ce contexte, le Conseil européen invite la Commission à élaborer, dès que possible, un projet de texte législatif mettant en œuvre les propositions formulées par le groupe d’experts de haut niveau sur l’interopérabilité.

Les États indiquent qu’il nous faut accélérer les efforts que nous menons ensemble pour partager nos connaissances sur les combattants terroristes étrangers et les individus radicalisés qui ont grandi à l’intérieur de nos frontières, et faire progresser les mesures stratégiques et juridiques pour gérer la menace. Le Conseil européen souligne qu’il est important d’apporter un soutien aux victimes d’actes de terreur.

En matière de sécurité extérieure et défense, le Conseil européen réaffirme qu’il est déterminé à renforcer la coopération au sein de l’UE en matière de sécurité extérieure et de défense, de manière à protéger l’Union et ses citoyens et à contribuer à la paix et à la stabilité dans son voisinage et au-delà. Avec toutes les capacités civiles et diplomatiques dont elle dispose, l’UE offre un éventail unique de possibilités à cette fin. Ainsi qu’il ressort des conclusions du Conseil du 18 mai et du 19 juin 2017, des progrès importants ont été accomplis dans la mise en œuvre de la stratégie globale de l’UE dans le domaine de la sécurité et de la défense et de la déclaration commune signée à Varsovie par les dirigeants de l’UE et de l’OTAN. La relation transatlantique et la coopération entre l’UE et l’OTAN demeurent fondamentales pour notre sécurité globale, en ce qu’elles nous permettent de réagir face à l’évolution des menaces pesant sur la sécurité, y compris les cybermenaces, les menaces hybrides et le terrorisme. Le Conseil européen salue la mise en place, à Helsinki, d’un centre d’excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides. La conférence à haut niveau sur la sécurité et la défense, qui s’est tenue le 9 juin à Prague, a souligné tant la complémentarité de l’UE et de l’OTAN que la nécessité d’accélérer les efforts déployés en Europe en vue de renforcer les activités de recherche, nos capacités et nos opérations en matière de défense35.

En somme, l’architecture de la sécurité européenne est aussi sophistiquée qu’évolutive. Le degré de coopération et de confiance doit plus que jamais être proportionnel aux défis qui s’imposent aux États et à l’Union européenne.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Arrêt n° C-399/11 de la Cour (grande chambre), 26 févr. 2013, Stefano Melloni c/ Ministerio Fiscal, demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal constitucional (Espagne), Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Procédures de remise entre États membres – Décisions rendues à l’issue d’un procès auquel l’intéressé n’a pas comparu en personne – Exécution d’une peine prononcée par défaut – Possibilité de révision du jugement.
  • 2.
    V. infra.
  • 3.
    http://www.europarl.europa.eu/atyourservice/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_5.12.6.html.
  • 4.
    L. const. n° 2003-267, 25 mars 2003, relative au mandat d’arrêt européen : L’article 88-2 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé : « La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du Traité sur l’Union européenne ». La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
  • 5.
    Cartier M.-E. (dir), Le mandat d’arrêt européen, 2005, Bruylant, Bruxelles.
  • 6.
    http://eurojust.europa.eu/doclibrary/corporate/eurojust%20Annual%20Reports/Annual%20Report%202015/AR2015_FR_WEB_version%202.pdf.
  • 7.
    Rapp. annuel Eurojust 2015, ce sont des centres d’hébergements.
  • 8.
    http://eurojust.europa.eu/doclibrary/corporate/eurojust%20Annual%20Reports/Annual%20Report%202015/AR2015_FR_WEB_version%202.pdf.
  • 9.
    Le rapport final AE de L’évaluation de la décision Eurojust et les activités d’Eurojust est sorti le 30 juin 2016.
  • 10.
    Ibid.
  • 11.
    Rapp. préc.
  • 12.
    http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=3&ved=0ahUKEwiwm-SB6vTUAhUDfRoKHfN7AXQQFggtMAI&url=http%3A%2F%2Feurojust.europa.eu%2Fdoclibrary%2Fcorporate%2Feurojust%2520Annual%2520Reports%2FAnnual%2520Report%25202015%2FAR2015_FR_WEB_version%25202.pdf&usg=AFQjCNHG0op7n6EOl-YJM2ylGJEB2cQf8A.
  • 13.
    https://www.europol.europa.eu/.
  • 14.
    https://www.senat.fr/leg/ppr16-178.html.
  • 15.
    http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=0ahUKEwiKr9zXpfnUAhVHCBoKHdFyCZQQFggpMAE&url=http%3A%2F%2Fwww.consilium.europa.eu%2Ffr%2Fdocuments-publications%2Fpublications%2F2016%2Fpdf%2Fqcao15001frn_pdf%2F&usg=AFQjCNGYlNJadnXU3Pn_zlynJpEBq08VKg.
  • 16.
    http://www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes/justice-et-affaires-interieures/synthese/l-espace-de-liberte-de-securite-et-de-justice.html.
  • 17.
    Sénat, Compte rendu de la Commission des affaires européennes, décembre 2016, http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20161128/europ.html.
  • 18.
    https://www.senat.fr/leg/ppr16-178.html.
  • 19.
    https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Organisation/Direction-Centrale-de-la-Police-Judiciaire/Division-des-relations-internationales.
  • 20.
    V. rapp. du Sénat, http://www.senat.fr/rap/r13-477/r13-4771.html.
  • 21.
    Ibid.
  • 22.
    https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Organisation/Direction-Centrale-de-la-Police-Judiciaire/Division-des-relations-internationales.
  • 23.
    Ibid.
  • 24.
    Ibid.
  • 25.
    Ibid.
  • 26.
    Ibid.
  • 27.
    Ces éléments ont été relayés par la presse nationale et internationale en avril 2017, voir par exemple le site internet : http://www.francetvinfo.fr/.
  • 28.
    https://www.interpol.int/fr/Centre-des-m%C3%A9dias/Nouvelles/2017/N2017-052/.
  • 29.
    Ibid.
  • 30.
    Ibid.
  • 31.
    https://www.lesechos.fr/monde/europe/030374525092-le-projet-de-parquet-europeen-franchit-une-etape-decisive-2092869.php#ZlY5QOe4wymPC1ZI.99.
  • 32.
    Ce texte sur le Parquet européen est issu de Chaltiel F., « Vers un parquet européen », Rev. UE 2017, p. 385.
  • 33.
    http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/06/23-euco-conclusions/.
  • 34.
    http://www.consilium.europa.eu/fr/home/.
  • 35.
    Concl. préc. du Cons., juin 2017, http://www.consilium.europa.eu/fr/home/.
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