Dans le prétoire : Les quérulents

Publié le 22/10/2024 à 12h05

La quérulence en psychiatrie est un délire de revendication qui pousse la personne à multiplier les démarches afin d’obtenir justice. La magistrate Valérie-Odile Dervieux nous dresse le portrait de ces quérulents qui épuisent les professionnels judiciaires dans leur course effrénée à la recherche d’une impossible satisfaction de leurs exigences

Dans le prétoire : Les quérulents
« Ce justiciable nous en fait voir de toutes les couleurs depuis des années ». Dessin de Me François Martineau.

Le quérulent[1&2] a soif de justice et le manifeste de manière excessive, déraisonnable, potomaniaque.

Manifestations

Il peut porter plainte tous les jours ou presque du chef d’agressions imaginaires, fantasmées ou ressenties, puis, au terme de parcours judiciaires émaillés de demandes, recours et autres Questions prioritaires de constitutionnalité, solliciter l’effacement des mentions TAJ le concernant, pour poursuivre sur une « page blanche ».

Il peut aussi initier toutes sortes d’instances devant les juridictions civiles, administratives[3] et disciplinaires, n’hésitant pas à reprendre les mêmes demandes dans une sorte de « never ending story ».

Il met aussi en cause les acteurs de justice « ayant eu à en connaître » et les poursuit  aux motifs d’infractions, de dénis de justice, d’incompétences, de négligences et de parti pris.

Car il entend que ses justices soient faites et n’est jamais satisfait.

« Derviche » querelleur

Chaque juridiction, chaque service, chaque chambre, a son ou ses quérulents.

Les professionnels connaissent leurs noms, leurs histoires, ils deviennent parfois substantifs, noms communs, expressions, objets de controverses « post it ».

Amoureux de la chicane, transis de la juridiction, shooté à la procédure, Alceste judiciarisé, il hante procédures écrites et orales et fréquente assidument les services de greffe.

TOUZASIMUT est son Dieu ,

INSTANCE est sa religion,

Codes et Lois sont les ÉCRITURES d’où il tire la substantifique moëlle de conclusions logorrhéiques, parfois manuscrites, aux moultes pièces souvent dénaturées.

Parfois financé par l’aide juridictionnelle, motivé par la possibilité dans certaines procédures d’agir sans avocat ou assisté d’un professionnel [4] contre lequel il finira par se retourner, dépensant sans compter son temps, il est mû par la seule cause qui vaille : la sienne, soit la certitude inébranlable d’être dans le VRAI au sens platonicien du terme.

Le quérulent quérule, tel un Derviche tourneur et querelleur, c’est sa vie, son œuvre,  son destin.

Car chaque défaite est une preuve du bien-fondé de sa vindicte et une raison de plus pour poursuivre.

Car chaque succès (cela arrive parfois, le plus souvent sur une erreur de procédure ou un défaut de réponse à un moyen confus) est la preuve du bien fondé de ses demandes et une raison de plus pour poursuivre.

Sanctions ? 

Des articles de loi tentent de le sanctionner[5] ;

En vain, car ils exigent proportion là où tout n’est que disproportion.

En vain, car ils excluent de leurs pauvres foudres le potomaniaque sous aide juridictionnelle.

Une proposition de loi sénatoriale a tenté de faire comme nos amis québécois, avant de se dissoudre[6] : un registre public des personnes déclarées quérulentes.

Qu’en dirait la CNIL ?

Pathologie et process  ?

Cette réalité pathologique[7] du quotidien juridictionnel mobilise, interroge, fait encourir un risque Esopien[8] et peut fragiliser nos process trop complexes.

Cette réalité pathologique a un coût[9].

Il n’a jamais été évalué.

Mais le quérulent repère nos failles de justice.

Et c’est là le paradoxe.

Les quérulents pourraient-ils, pour peu qu’on s’y intéresse, être les vigies involontairement utiles des nécessaires simplifications procédurales tant annoncées et jamais réalisées ?

 

[1] Qu’est-ce qu’un plaideur quérulent? ; Isabelle Richer | Les plaideurs quérulents : un cauchemar pour les tribunaux – YouTube ; Les quérulents, malades de justice

[2] Du latin[2] quĕrŭlus qui qualifie une personne plaintive, gémissante, criarde, chagrine, maussade, morose, qui dépose des requêtes pleines de doléances.

[3] Il réclamait justice et a pris 2 500 euros d’amende : un justiciable condamné à Bordeaux pour « recours abusif »

[4] Le quérulent processif – Centre d’Affaires des Avocats de Paris (cdaap.fr)

[5] Articles 85,  88 et 88-1212-2, 177-2 et  392-1 CPP ; 32-1 CPC

[6] Texte n° 942 (2022-2023) de Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 29 septembre 2023

registre public des personnes déclarées quérulentes par la Cour du Québec

[7] Droit et Psychologie : le cas des quérulents processifs.

[8] Poésie : L’enfant qui criait au loup)

[9] La « star » des quérulents coûte des dizaines de milliers de dollars à la Ville de Québec

 

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