Justice : les juridictions de la France entière rendent hommage à Marie Truchet

Publié le 25/10/2022

Ce mardi 25 octobre, une minute de silence a été organisée dans les juridictions de France en mémoire de la magistrate décédée il y a une semaine exactement en pleine audience au Tribunal judiciaire de Nanterre

Justice : les juridictions de la France entière rendent hommage à Marie Truchet
Palais de Justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

 

Elle s’appelait Marie Truchet, elle est décédée brutalement à l’âge de 44 ans, en robe, dans la salle d’audience alors qu’elle présidait les comparutions immédiates de Nanterre, le 18 octobre dernier. « Les avocats la connaissaient bien et l’appréciaient énormément pour son humanité et sa pédagogie » confie un représentant du barreau des Hauts-de-Seine.

Une autopsie a été réalisée pour déterminer les causes du décès. On n’en connait pas encore les conclusions. Une enquête CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) a également été ordonnée. Elle sera longue, estiment les syndicats qui tablent sur plusieurs mois car les investigations ne vont pas seulement porter sur les circonstances de la mort de cette magistrate mais aussi sur les conditions de travail dans la juridiction.

« Il y a 7 jours, Marie est tombée, elle ne s’est jamais relevée »

Il se trouve en effet que le tribunal judiciaire de Nanterre est l’un des plus sinistrés de France.  S’il est encore trop tôt pour établir un lien entre cette situation et le tragique événement survenu le 18 octobre,  l’hypothèse est cependant présente dans tous les esprits. Elle a d’ailleurs été clairement évoquée dans la lettre ouverte que ses collègues ont lu lors de l’hommage en audience qu’ils lui ont rendu ce jour.

Extrait :

« Mais nous avons fait face, comme toujours. Alors nous avons vu certains de nos collègues craquer, et s’arrêter car leur charge, sans cesse croissante, était trop lourde à porter. Nous avons vu d’autres collègues tenir, coute que coute. Parce qu’il le fallait, parce qu’on le devait.

Dans cette tempête, Marie était là. Solide, motivée et toujours souriante.

Elle a hurlé avec nous.

Nous avons à nouveau écrit au Garde des Sceaux.

Mais il ne s’est rien passé. Elle n’a toujours pas été écoutée.

Puis nous, avocats et magistrats avons fait notre métier: nous avons attaqué l’Etat en justice !

Et Marie était encore là.

Mais il ne s’est toujours rien passé. Personne ne l’a écoutée.

Nous avons été abandonnés.

Il y a 7 jours, Marie est tombée, elle ne s’est jamais relevée. »

« Ils bossent comme des fous et sont épuisés »

Lors de la rentrée solennelle qui s’est tenue le 28 janvier dernier, la présidente du tribunal, Catherine Pautrat, avait déjà  mis en garde : « nous ne pourrons pas faire plus sans moyens supplémentaires ».

Quelques jours plus tard, les personnels du tribunal réunis en assemblée générale décidaient d’opposer des Impossibilités de faire aux quelque 121 formalités administratives à accomplir en plus de leur mission. En clair, ils refusaient de traiter les tâches annexes imposées par le ministère tant qu’on ne leur enverrait pas des renforts.

Au mois d’avril, c’était au tour du barreau des Hauts-de-Seine d’alerter sur la situation catastrophique des affaires familiales à Nanterre.  « Il y a encore quelques années, l’institution judiciaire parvenait à donner le change, aujourd’hui on déprogramme des dossiers en nous expliquant tout simplement que la juridiction est en surcharge, qu’un magistrat est malade. Et nous voyons bien au quotidien en effet qu’ils bossent comme des fous et sont épuisés » nous confiait alors la bâtonnière désignée Isabelle Clanet dit Lamanit (notre article du 12 avril).

En quête d’un moyen de se faire entendre, les magistrats du tribunal ont finalement décidé de se regrouper en association pour déposer un recours contre la circulaire de localisation des emplois (CLE) devant le juge administratif afin de faire constater son caractère sous-dimensionné par rapport aux besoins.

Près de 40% des magistrats s’estiment en état de souffrance au travail

Les difficultés de la juridiction s’inscrivent dans un contexte national très dégradé. En janvier de cette année, les organisations syndicales du CHSCT du ministère de la justice ont voté à l’unanimité une demande d’expertise sur le « risque grave » auquel sont exposés ses agents. Ils estiment en effet que le ministère ne prend pas la mesure du phénomène de souffrance au travail qui affecte les juridictions depuis des années. Ils espèrent donc que l’intervention d’un expert spécialisé permettra d’objectiver la situation. Cette demande s’est heurtée au refus de la Chancellerie (notre article du 28 mars), jusqu’ici entériné par la justice administrative (notre article du 30 juin). La procédure est toujours pendante au fond.

Le décès brutal de Marie Truchet a été vécu comme un traumatisme, tant à Nanterre que dans l’ensemble des juridictions de France comme en témoigne la très large mobilisation ce mardi pour la minute de silence organisée en sa mémoire.

 

Il faut dire qu’il intervient un an après le suicide d’une jeune magistrate de 29 ans, Charlotte, fin août 2021. Cette tragédie est à l’origine de l’appel des 3000 publié au mois de novembre suivant dans Le Monde dans lequel plusieurs milliers de magistrats ont exprimé leur profond sentiment de malaise professionnel. Rappelons que selon une enquête du Syndicat de la magistrature près de 40% des magistrats s’estiment en état de souffrance au travail.

Marie Truchet sera inhumée vendredi après-midi à Fontenay-aux-Roses.

 

Pour aller plus loin : Actu-Juridique rend compte régulièrement des tensions au sein des juridictions liées au manque de moyens et publie également les témoignages de magistrats sur leurs difficultés au quotidien. Notre dossier est à lire ici

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