Cette semaine chez les Surligneurs : JL. Mélenchon peut-il confisquer un héritage au-delà de 12 millions ?
Jean-Luc Mélenchon pourrait-il vraiment « tout prendre » aux héritiers au-delà de 12 millions d’euros ? Valérie Pécresse a-t-elle raison quand elle assure que les courtes peines ne sont plus exécutées ? Est-il exact, comme le prétend Emmanuel Macron, qu’un irresponsable n’est plus un citoyen ? Les Surligneurs, spécialisés dans le legal checking, passent les déclarations des politiques au crible du droit et le retour aux réalités est parfois brutal.
Jean-Luc Mélenchon promet : “au-delà de 12 millions” de patrimoine hérité, “je prends tout”. Mais il se heurtera au Conseil constitutionnel
Si Jean-Luc Mélenchon veut “tout prendre” au-delà de 12 millions, c’est pour redistribuer sous la forme d’une “allocation d’autonomie” de 1063 euros pour chaque étudiant ou apprenti. Ce projet, au moins dans sa partie fiscale, est voué à l’échec.
Pour comprendre, il faut rappeler la manière dont les tranches d’imposition sont établies en fiscalité des successions. Le barème actuel tient compte à la fois du montant de la succession et du rang de l’héritier par rapport au défunt. Il se calcule par tranches, la première donnant lieu à un taux très bas (pour les héritiers en ligne directe, à moins de 8 072 euros : 5%). À l’autre extrémité, une tranche marginale, en ligne directe et au-delà de 1 808 677 euros, avec un taux marginal de 45 %. Il existe actuellement sept tranches.
Jean-Luc Mélenchon veut créer une huitième tranche. La tranche marginale actuelle deviendrait une tranche intermédiaire entre 1 805 678 et 12 millions d’euros, avec un taux de 45 % ; au-delà de 12 millions, une huitième tranche, marginale, serait créée avec un taux de 100 % (“je prends tout”).
Et c’est tout le problème : le Conseil constitutionnel juge qu’au-delà d’un certain montant, l’impôt peut devenir “confiscatoire”, et donc contraire à la Déclaration des droits de l’homme selon laquelle chacun contribue aux dépenses d’administration selon ses facultés (article 13). Cette jurisprudence du Conseil constitutionnel avait refait surface sous la présidence Hollande, en décembre 2012, lorsqu’il avait été question de créer une tranche marginale de 45 % pour l’impôt sur le revenu, à partir de 150 000 euros de revenu annuel (cette jurisprudence remonte en réalité à 1986, mais en 2012, elle portait sur une réforme phare). En somme, l’impôt revêt, selon les Sages, un caractère confiscatoire lorsqu’il fait « peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives”.
À partir de quel taux un impôt devient confiscatoire ? Ce serait trop simple si on pouvait avancer un montant ou un taux. Le montant d’un impôt est analysé par le Conseil constitutionnel au regard non seulement de son taux, mais aussi des autres impositions pouvant frapper la même matière imposable. En 2012, ce n’est pas la tranche marginale de 45 % que le Conseil constitutionnel trouvait confiscatoire en soi : le problème était que pour certains revenus, cette tranche se cumulait avec d’autres prélèvements complémentaires, en particulier les prélèvements sociaux (comme la CSG). Ce cumul portait le taux global (tous impôts confondus) à plus de 75 %, ce qui conduisit le Conseil constitutionnel à déclarer cette disposition inconstitutionnelle, car créant un système fiscal confiscatoire.
Dans le cas présent, tout calcul fait, une personne héritant par exemple de 100 millions, devrait verser environ 94 millions au fisc. Un tel taux d’imposition serait assurément considéré comme confiscatoire. D’autant que les héritages ne se composent pas que d’argent. Il s’agit le plus souvent de biens immobiliers, voire d’entreprises. Cela signifie que les héritiers devraient vendre leur maison ou entreprise familiales pour payer l’impôt, ce que la Cour de cassation considère également comme confiscatoire.
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Le premier ministre québécois veut taxer les non-vaccinés, un “fardeau” pour le système de santé. Peut-on imaginer une telle taxe en France ?
Les reproches à l’encontre des non-vaccinés, entendus un peu partout dans le monde, ont conduit le premier ministre québécois, François Legault, à envisager une taxe pesant sur ces personnes, en tant qu’elles représentent un “fardeau” pour le système de santé. En France, cela se heurterait d’abord à notre système de couverture sociale en ce qu’il fonctionne par répartition. Celui qui prend des risques pour sa santé (sport dangereux, régime alimentaire délétère, tabagisme, etc.) est pris en charge sur la base d’une solidarité sociale, au même titre que tout autre malade ou accidenté qui ne prendrait aucun risque. Modifier cela reviendrait à refonder notre système de couverture sociale : ce n’est pas impossible, à condition de continuer à respecter le préambule de la Constitution de 1946 : la Nation “garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé”.
Une telle taxe ne semble pas non plus compatible avec certains principes de notre système fiscal comme la progressivité de l’impôt : si plus on a de revenus, plus on est imposable, le refus de vaccination ne procure aucun revenu supplémentaire. De même, le principe d’égalité veut que les différences de taxation reposent sur des critères objectifs (le montant des revenus, le type de revenus, le type d’activité, le type de biens taxés, charges de famille, etc.), mais pas sur l’état de santé, voire l’opinion du contribuable (car le refus de la vaccination repose souvent sur une opinion).
Enfin, si le système fiscal sert souvent à orienter les contribuables vers tel ou tel comportement, cela est valable sur des objectifs d’ordre économique ou social voire de santé publique, comme la taxation des activités polluantes ou du tabac. Mais la taxe en cause tendrait à sanctionner le refus d’un acte médical de prévention, malgré le droit au consentement aux actes médicaux, et porterait aussi atteinte à la liberté d’opinion. Imagine-t-on une taxe sur l’obésité ? En tout état de cause, le fait d’être vacciné ou non relève du secret médical, opposable y compris au fisc. Comment dès lors vérifier si quelqu’un est taxable au titre d’une non-vaccination ?
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Valérie Pécresse souhaite “réhabiliter les courtes peines de prison” et “ouvrir des centres de détention provisoire”, ce qui posera le problème de l’effectivité de la loi.
Il est d’abord faux de dire que “les courtes peines de prison ne sont plus jamais exécutées depuis Christiane Taubira”. Elles sont exécutées, mais sous une forme aménagée : détention à domicile sous surveillance électronique, semi-liberté, placement à l’extérieur, ou libération conditionnelle. Pour toute peine inférieure ou égale à six mois, le Code pénal prévoit obligatoirement un aménagement de peine. Pour les peines entre six mois et un an, l’aménagement est facultatif et laissé à la décision du juge, qui prend en compte la personnalité et la situation du condamné. Si Valérie Pécresse entend revenir sur ces aménagements et rétablir l’emprisonnement, c’est son droit, mais notons que le Sénat même avait souligné en 2018 les effets contreproductifs de l’enfermement court, avec un taux de récidive très élevé.
La candidate entend en outre créer des “centres de détention provisoire” qui accueilleraient les “primo-condamnés” et les condamnés à de “courtes peines”. Actuellement, les maisons d’arrêt sont destinées aux condamnés à des peines inférieures à deux ans d’emprisonnement, et les établissements pour peines, pour les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement supérieure à deux ans. Comment se situeraient de tels établissements provisoires dans cet ordonnancement ? Sans compter que ces établissements ne seraient pas opérationnels immédiatement contrairement à ce qu’affirme Valérie Pécresse : la mise aux normes pénitentiaire et le recrutement de personnels se fait sur le temps long…
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Jean-Luc Mélenchon pratiquera l’opt out si l’union européenne s’oppose à son programme. Mais l’Opt out se négocie avec les autres Etats membres, or c’est ce qu’il voulait éviter.
Jean-Luc Mélenchon doute de la possibilité de renégocier les traités européens avec les autres Etats membres selon son programme électoral. C’est pourquoi il mise sur ce qu’il appelle l’opt out : « nous dirons : “nous n’appliquons plus telle règle de l’Union européenne”, et nous proclamerons le fait suivant : il y a un principe de non-régression sociale et écologique dans l’esprit des français”. Cela ne changera rien à l’obligation de négocier.
Opt out ne signifie pas “service à la carte” parmi les règles de l’Union européenne, mais exemption négociée avec les autres Etats membres. Certains Etats ont effectivement négocié des exemptions concernant certaines règles, comme le Danemark qui ne voulait pas entrer dans l’euro (Protocole n°16) ou la Pologne qui voulait échapper à l’application par les juges de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (Protocole n° 30). Aucun des 38 protocoles annexés au traité de Lisbonne ne prévoit actuellement une telle possibilité pour la France, sauf sur le privilège de battre monnaie, conservé en Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Wallis et Futuna (Protocole n° 18). Si Jean-Luc Mélenchon souhaite faire usage d’un droit d’opt out, cela ne peut se faire que par l’adoption préalable d’un nouveau protocole agréé par l’ensemble des Etats membres. Or, s’il doute de la possibilité de renégocier les traités européens, la possibilité de négocier un protocole semble tout aussi hypothétique. Et si la France faisait de l’opt out sans négocier, elle se retrouverait dans la position classique du manquement, condamnable par la Cour de justice.
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“Un irresponsable n’est plus citoyen” selon Emmanuel Macron, ce qui a peut-être un sens moral, mais qui ne tient pas juridiquement.
À en croire le dictionnaire “Cornu“, le mot citoyen revêt au moins deux sens en droit : le citoyen est d’abord le ressortissant ou national d’un État. Tout Français est citoyen de France (et également de l’Union européenne, ce qui lui confère le droit de vote aux élections européennes par exemple). Le citoyen est également celui qui, “dans un État démocratique, participe à l’exercice de la souveraineté”, soit à travers ses représentants qu’il élit (le Parlement), soit directement (par référendum par exemple). La vaccination n’est donc pas un critère de nationalité.
Si le Président a voulu dire qu’un irresponsable est un mauvais citoyen, cette notion existe indirectement en droit : celui qui viole gravement ses devoirs de citoyen peut être déchu de la nationalité, et le Code civil énumère les cas de citoyens indignes de la nationalité française, dont notamment la condamnation pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une “atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation” ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme, ou le fait de “se livrer au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France”. Un citoyen peut également perdre ses droits civiques s’il est condamné pénalement. C’est alors une peine infligée en marge d’une condamnation pour d’autres faits graves, prévue par le Code pénal. Le non-vacciné, même forcené, n’entre pas dans ces cases.
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Référence : AJU268013