Yvelines (78)

Le « quoi qu’il en coûte » humain pour faire fonctionner le tribunal judiciaire de Versailles

Publié le 27/02/2023

Depuis la publication de la Tribune des 3 000 le 23 novembre 2021 les témoignages ne manquent pas pour rendre compte de l’état de l’institution judiciaire. Ce manque criant de moyens de la justice ne fait pas exception au tribunal judiciaire de Versailles (78).

Maryvonne Caillibotte, procureure de la République de Versailles, lors de l’audience solennelle du tribunal judiciaire de Versailles le 20 janvier 2023.

Nicolas Dendri

« La machine judiciaire tient sur l’engagement de tous, magistrats, fonctionnaires et auxiliaires de justice. Nous avons le sens du service public et quoi qu’il en coûte, nous avons toujours envie que l’institution fonctionne. Peut-être qu’un jour, ça nous perdra, et ce phénomène a peut-être déjà commencé », s’inquiète Maryvonne Caillibotte, procureure de la République de Versailles, en reprenant une expression budgétaire du gouvernement, lors de l’audience solennelle du tribunal judiciaire de Versailles le 20 janvier dernier. Mais dans ses propos, le « quoi qu’il en coûte » est humain.

Ses mots décrivent certains maux illustrés par quelques chiffres sur l’augmentation de l’activité pénale du tribunal judiciaire de Versailles. Entre autres, en 2022, 93 330 procédures pénales ont été dressées, soit 3 000 dossiers supplémentaires par rapport à 2019. Et si l’activité a augmenté entre 2019 et 2022, « les effectifs n’ont pas bougé », constate Maryvonne Caillibotte.

Ce constat n’est pas nouveau et n’est pas la particularité du tribunal judiciaire de Versailles. Souvenez-vous de la tribune des 3 000 magistrats et de la centaine de greffiers publiée en novembre 2021 et intitulée : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout ». Un cri d’alarme dans la presse qui faisait suite au suicide d’une jeune magistrate durant l’été 2021. Face à cette situation, la dyarchie du tribunal judiciaire de Versailles a décidé, il y a un an, de lancer un groupe de travail sur les conditions de travail au sein de leur juridiction. « Pour accompagner chacun dans l’exercice serein de ses missions, notre juridiction poursuivra cette année les réflexions engagées sur la charge et les conditions de travail, qui sont au centre de nos préoccupations dans un plan général consacré à la qualité de la vie au travail », assure Bertrand Menay, président du tribunal judiciaire de Versailles.

L’image d’un service des urgences hospitalières

Dans l’activité conséquente du tribunal judiciaire de Versailles, les violences intrafamiliales prennent une place de plus en plus importante (v. notre article ici). Mais si les violences intrafamiliales apportent un volume d’activité important, les autres contentieux sont toujours présents. Ce sujet déclaré « grande cause du quinquennat » en 2019 pour l’exécutif reste une priorité politique et judiciaire dans le second quinquennat d’Emmanuel Macron. Cette volonté politique a des conséquences dans la gestion du traitement juridictionnel des affaires de violences conjugales. « En tant que chef de parquet, je dois donc les prioriser, y compris au détriment de procédures qui peuvent être plus graves ou au prix d’un quasi-abandon d’autres contentieux. Me vient l’image d’un service des urgences hospitalières. Les gens arrivent les uns après les autres et une priorisation doit être faite par les médecins. C’est exactement la même chose pour nous tous dans le cadre du traitement judiciaire ! », illustre le procureur de la République de Versailles.

De nouveaux moyens très attendus

Maryvonne Caillibotte se veut toutefois optimiste : « J’ai confiance dans l’État qui vient d’annoncer les considérables efforts financiers consentis pour le ministère de la Justice. Je suis littéralement dans l’empressement de ce qui permettra de faire baisser les délais de jugement ». Dans cette même logique, le président du tribunal judiciaire de Versailles, Bertrand Menay, soutient : « Nous espérons voir arriver au plus tôt les moyens promis par le garde des Sceaux dans les annonces faites le 5 janvier 2023 ». Effectivement, le ministre Éric Dupont-Moretti a annoncé une réforme issue des États généraux de la Justice, lors d’une conférence de presse. Plusieurs mesures ont été prises, notamment la création de 10 000 emplois, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d’ici à 2027, un budget de la justice passant de 9,6 milliards d’euros en 2023 à 11 milliards d’euros en 2027, ou encore la simplification du Code de procédure pénale.

Bertrand Menay, président du tribunal judiciaire de Versailles, lors de l’audience solennelle du tribunal judiciaire de Versailles le 20 janvier 2023.

Nicolas Dendri

Le développement de la politique de l’amiable pour résoudre certains litiges

Dans le cadre de cette réforme, le garde des Sceaux a lancé le 13 janvier dernier une politique de l’amiable. L’idée est de s’appuyer de plus en plus sur des méthodes de conciliation, de médiation, de procédure participative ou d’acte entre avocats pour résoudre à l’amiable certains litiges, dans le cadre de la justice civile. L’objectif fixé par le ministre dans son discours est de réduire par deux le délai des procédures civiles d’ici à 2027, en s’appuyant sur les conciliateurs et les médiateurs de justice.

Durant l’audience solennelle, le président du tribunal judiciaire de Versailles a insisté sur ce point, en partant de ce constat : « Pour nos concitoyens, la justice est trop lente. Ils ont le sentiment que le déroulement du procès civil leur échappe. Pour le juge civil, la perte de sens de sa fonction s’installe ». En évoquant la politique de l’amiable voulue par le ministre de la Justice, Bertrand Menay a insisté : « Le temps n’est plus à la parole mais aux actes, pas seulement pour gérer le flux des procédures mais surtout parce que la meilleure solution apaisante et durable peut être trouvée par les parties dans certaines situations ». Et d’ajouter que ce type de résolution des conflits doit « permettre au justiciable de se réapproprier son procès ».

Le tribunal de Versailles est déjà engagé sur ce sujet. Le mouvement va s’accélérer. Le 17 février 2023, des magistrats civilistes de la juridiction ont suivi une formation avec une magistrate diplômée en médiation et un médiateur. Dans les prochaines semaines, Bertrand Menay devrait aussi travailler sur une méthode avec le bâtonnier du barreau de Versailles, Marc Mandicas. « Il est indispensable de faire évoluer les mentalités des praticiens magistrats et avocats (…). Notre obligation n’est pas d’obliger les parties à se concilier ou d’aboutir à une médiation. Elle est celle de les obliger, de nous obliger à essayer », souligne le président du tribunal judiciaire de Versailles. Alors, comme une bonne résolution pour l’année 2023, le chef de la juridiction s’est engagé : « La procédure de l’amiable, nous allons nous y mettre sérieusement ! ».

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