Des pénuries de main-d’œuvre dans la restauration et le numérique en Île-de-France

Publié le 15/10/2021
Des pénuries de main-d’œuvre dans la restauration et le numérique en Île-de-France
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La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Paris Île-de-France a mené deux enquêtes auprès des cafés et restaurants et des entreprises du numérique. C’est la deuxième de ce type après en avoir effectué une en juin 2021. Ces deux domaines ont été choisis à cause des difficultés de recrutement constatés dans ces secteurs d’activité. Des questionnaires ont été envoyés par mail auprès des sociétés du numérique et de la restauration d’Île-de-France, entre le 8 et le 17 septembre 2021. 150 cafés et restaurants et 420 entreprises du numérique ont répondu. Julien Tuillier, responsable d’études à la CCI Paris Île-de-France analyse et interprète les résultats de ces deux études.  

Actu-Juridique : Globalement qu’est-ce que cette étude dit sur la situation économique en Île-de-France ?

Julien Tuillier : Ces deux enquêtes marquent bien les évolutions. Nous constatons un changement du comportement des clients consommateurs. Pour les particuliers, qui sont aussi des salariés, il y a moins de fréquentation dans les cafés et restaurants. C’est en partie en concomitance avec le déploiement du télétravail. Et les entreprises du numérique se portent mieux. Le télétravail est un élément central qui impacte les deux secteurs : l’un plutôt négativement et l’autre plutôt positivement. C’est une situation en Île-de-France que nous pouvons généraliser à l’échelle nationale. Nous retrouvons aussi ce phénomène dans les commerces, dits non-essentiels. Il y a moins de fréquentation et il y a une appétence des commerces pour le numérique. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’il y a un changement conjoncturel de l’économie francilienne, une adaptation. Mais, dans les enquêtes que nous continuons à mener, il nous semble possible que ces changements, en lien avec la crise sanitaire, peuvent être amenés à devenir plus structurels. L’avenir nous le dira. Dans beaucoup d’entreprises d’Île-de-France, le déploiement du télétravail est la norme maintenant.

AJ : Existent-ils des différences entre les territoires d’Île-de-France ?

J. T. : Nous pouvons distinguer les quartiers d’affaires et les zones hors quartier d’affaires.

« Les cafés et les restaurants sont beaucoup plus impactés s’ils sont situés dans des quartiers d’affaires comme la Défense dans les Hauts-de-Seine (92) »

Les cafés et les restaurants sont beaucoup plus impactés s’ils sont situés dans des quartiers d’affaires comme la Défense dans les Hauts-de-Seine (92). Dans les zones, avec des pôles où l’emploi est dense comme Paris et la petite couronne, l’impact de la crise sanitaire est plus important.

AJ : D’après les résultats de votre étude, quelle est la situation actuelle de l’activité des cafés et des restaurants en Île-de-France ?

 J. T. : Elle est toujours un peu compliquée. Nous avons quand même un point positif : les mesures du gouvernement ont permis de passer les difficultés. De nombreux cafés et restaurants ont eu recours au chômage partiel pour maintenir l’activité et ne pas procéder à des licenciements. 76 % des entreprises interrogées ont mis leurs collaborateurs en chômage partiel entre octobre 2020 et mai 2021. Et seulement 14 % ont licencié du personnel durant cette période. Souvent les licenciements se sont faits à travers des arrangements notamment des personnes proches de la retraite. Il y a donc eu une volonté de maintien de l’emploi.

Depuis que nous avons retrouvé une situation à peu près normale, les cafés et restaurants n’ont pas rouvert avec tous leurs salariés. Il y en a encore en chômage partiel car la fréquentation n’est pas encore totalement au rendez-vous. 76 % des établissements ont retrouvé au moins la moitié de la fréquentation d’avant crise. Seulement 15 % pour la totalité de leur clientèle.

AJ : Les cafés et les restaurants en Île-de-France connaissent aussi une problématique au niveau de l’emploi…

J. T. : Concernant l’emploi, il y a deux phénomènes. D’abord, ce secteur a eu beaucoup de départs de salariés volontaires. Nous considérons qu’ils ont pris en compte la pénibilité de leur travail. En se retrouvant à la maison sans pouvoir travailler, il y a eu une prise de conscience sur des souhaits de changement de métier, de vie professionnelle. C’est un phénomène prégnant pour les cafés et restaurants. 50 % des sociétés interrogées ont retrouvé la totalité de leur salarié d’avant crise. 45 % des salariés évoquent la volonté de changer de métiers avec 51 % de ces personnes qui ont fait des ruptures conventionnelles. C’est en lien avec la pénibilité, mais certains peuvent se dire que le salaire n’est pas à la hauteur des heures effectuées.

« 79 % des restaurations en Île-de-France souhaitant recruter ont connu des difficultés »

En outre, les restaurants et les cafés connaissent aussi des difficultés dans leur recrutement. Il y a une vraie pénurie de main-d’œuvre. Ils n’arrivent pas à trouver des personnels de service et de cuisine. C’est une vraie tendance. Aujourd’hui, il y a un établissement sur deux qui veut recruter sur des postes en CDI. Mais, il y a moins de demande émanant du marché du travail par rapport aux offres de métiers dans la restauration. 79 % des entreprises souhaitant recruter ont connu une pénurie de main-d’œuvre. 55 % sont tombées sur du personnel non qualifié et 44 % ont trouvé du personnel non motivé.

AJ : Quelles sont les conséquences de cette pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur ?

J. T. : Dans les échanges que nous avons avec les cafés et les restaurants, ils nous disent que si les clients sont servis au bout de 30 à 40 minutes le midi, ils vont voir ailleurs. Nous retrouvons donc un cercle vicieux. Certains établissements ont retrouvé leur clientèle mais ils ne sont pas à même de la servir donc les clients vont ailleurs. Au final, il y a toujours un impact sur le chiffre d’affaires, qui est loin d’avoir retrouvé le niveau d’avant crise. L’absence des touristes manquent aussi notamment pour les restaurants situés dans Paris. En manquant de main-d’œuvre, ils créent un mécontentement du client. Puis, ils ne peuvent pas ouvrir autant d’heures qu’ils le souhaiteraient. Des établissements ont déjà mis la clé sous la porte et d’autres s’en sortent.

AJ : Quel regard portent-ils sur la reprise ?

J. T. : La reprise est là mais il y a deux situations. Comme je le disais, s’ils sont dans un quartier d’affaires, c’est un peu compliqué. Ils sont donc assez partagés sur l’avenir.

Pour la moitié d’entre eux, il y a vraiment une volonté d’un retour à la vie d’avant. Une situation que l’on retrouve aussi dans le secteur de la culture pour les concerts, le cinéma et pour l’événementiel, si on sort du cadre de l’enquête. Le déploiement de la vaccination fait que la situation a l’air de s’améliorer. Mais un point renforce leur pessimisme : la fréquentation touristique notamment pour les cafés et restaurants de Paris et de la proche couronne. Il y a moins de crainte pour une nouvelle vague par rapport au mois de juin 2021, lors de la dernière enquête. Il y a un autre progrès puisque cette étude de juin révélait 41 % d’optimistes alors qu’on est à 54 % aujourd’hui. L’optimisme gagne donc les cafés et les restaurants d’Île-de-France. En espérant que cette tendance se confirme dans les prochaines semaines.

AJ : D’après les résultats de votre étude, quelle est la situation actuelle de l’activité des entreprises du numérique en Île-de-France ?

J. T. : C’est un secteur d’activité qui a tiré son épingle du jeu. Depuis le début de la crise sanitaire, les entreprises du numérique sont plutôt satisfaites de l’évolution de leur activité. C’est un secteur qui n’a pas été impacté par cette crise. Ces sociétés n’ont pas connu de fermeture puisqu’elles avaient anticipé le télétravail.

Pour 69 % des sociétés participantes à l’étude, la période est satisfaisante en termes d’activité. Elles soulignent aussi qu’elles avaient des projets à long terme, sans impact sur le court terme. Les conséquences pourraient donc intervenir sur le moyen ou long terme. Puis d’un autre côté, 39 % des entreprises interrogées ont constaté une baisse d’activité liée à une diminution de la demande, à un manque d’opportunité ou de débouché. Si nous rentrons dans le détail, les cabinets de conseil en numérique ont connu une hausse de leur activité. C’est le cas aussi des concepteurs de réseau virtuel privé (VPN). Dans les échanges informels que nous avons pu avoir, certains nous ont dit qu’ils avaient multiplié leur chiffre d’affaires par deux. La demande de VPN a été importante durant la crise sanitaire. En revanche, pour les sociétés spécialisées dans la fabrication et le commerce dans le domaine du numérique c’était un peu plus compliqué.

AJ : Face à cette conjoncture, les entreprises du numérique rencontrent des difficultés dans leur recrutement. Pour quelles raisons ?

J. T. : Les entreprises du numérique connaissent des besoins de recrutement à cause du renforcement et du développement de leur activité. Il y a une tension sur ces métiers car il n’y a pas assez de candidats. Beaucoup d’offres mais peu de demandes. 65 % des 400 entreprises interrogées ont indiqué connaître des difficultés de recrutement. Pour 64 % d’entre elles, c’est un problème de pénurie de main-d’œuvre qui est relevé.

« 65 % des 400 entreprises du numérique interrogées ont indiqué connaître des difficultés de recrutement »

Certains candidats demandent des salaires beaucoup trop élevés, qui ne sont pas en lien avec la réalité du marché. Ils ont conscience que le secteur se porte très bien mais qu’il y a une tension sur l’emploi. Les candidats sur les postes très qualitatifs se font rares. C’est donc une double difficulté pour les dirigeants d’entreprises du numérique. Comme les offres sont multiples, les candidats vont voir ailleurs assez facilement. La tendance est à suivre pour savoir si ces besoins sont conjoncturels à cause du regain d’activité en lien avec la crise sanitaire ou si c’est plus structurel.

AJ : Quel regard les entreprises du numérique portent-elles sur la conjoncture économique à venir ?

J. T. : 74 % des sociétés interrogées sont optimistes pour les mois à venir. Elles sont confiantes. Il faudra suivre cette tension sur l’emploi pour savoir si ce phénomène ne va pas freiner le développement de ce secteur. Après, il reste la question de l’endettement, pour le numérique mais plus globalement sur l’ensemble des secteurs d’activité. Beaucoup d’entreprises ont bénéficié de prêts et notamment du prêt garanti par l’État (PGE). Des sociétés se sont vraiment endettées. En ce moment, la situation économique repart. Certaines entreprises vont réussir à prendre ce virage. D’autres se questionnent par rapport à leur niveau d’endettement. Nous nous interrogeons aussi sur l’année 2022. Les aides de l’État vont arriver à échéance. Le chômage partiel va être arrêté.

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