Les extractions judiciaires soumises à un visa préfectoral ?
Alors que Mohamed Amra, le détenu dont l’attaque du fourgon le 14 mai dernier a causé la mort de deux surveillants pénitentiaires, n’a toujours pas été retrouvé, une circulaire sur les extractions judiciaires suscite l’inquiétude chez les magistrats. Elle soumet en effet certaines demandes d’extraction à l’autorité du préfet… Valérie-Odile Dervieux nous explique les enjeux pratiques de ce texte.
L’actualité a mis en lumière, et de manière dramatique, les insuffisances des extractions judiciaires [1] en termes de sécurisation.
Parallèlement Les insuffisances quantitatives des équipes pénitentiaires ARPEJ [2]/PREJ [3] en charge des extractions aboutissent chaque jour à des notifications d’ « impossibilité de faire » soit le refus opposé par l’administration pénitentiaire aux juridictions d’accompagner des détenus pour pouvoir procéder à des actes d’enquête (auditions, confrontations) et mener des audiences de jugement, ralentissant ainsi le cours de la justice [4].
Certes l’usage de la visioconférence [5] se développe mais il n’est souvent pas mobilisable pour des raisons juridiques (article 706-71 CPP) [6] et matérielles (qualité et disponibilité des équipements).
Des extractions soumises à un nouveau filtre
C’est dans ce contexte qu’une circulaire conjointe des ministres de l’intérieur et de la justice du 24 juin 2024 relative à « la reprise définitive des missions d’extractions judiciaires par le ministère de la Justice et procédure exceptionnelle de recours aux forces de sécurité intérieure », inquiète et étonne en soumettant les extractions judiciaires à un nouveau filtre non prévu par la loi, le filtre préfectoral.
Le texte, après avoir rappelé l’historique du transfert de charge des missions d’extractions judiciaires du ministère de l’Intérieur vers le ministère de Justice et ses modalités (sans en évoquer le bilan [7]), rappelle, au visa de l’article D. 57 du code de procédure pénale (CPP), que « Le recours aux FSI [8] en métropole » relève de la notion de « concours exceptionnel ».
Ce concours, subordonné à « l’impossibilité totale et absolue » de l’administration pénitentiaire d’exécuter les réquisitions judiciaires d’extraction « malgré la recherche de solutions avec l’autorité judiciaire » est désormais limité, selon la circulaire, au cas où « l’inexécution de la réquisition conduirait à la remise en liberté de la personne détenue » (sur le terrain on parle d’évasion judiciaire).
Dans le cas où l’impossibilité d’extraction ne conduirait pas à la remise en liberté du détenu [9], même si la réquisition, est estimée impérative par le juge mandant, le recours aux FSI serait subordonné à l’accord du préfet du lieu de détention.
Le judiciaire soumis à l’exécutif ?
Or une telle extraction peut être nécessaire notamment pour assurer une audience de jugement qui peut concerner de nombreux mis en cause, victimes et avocats dans un contexte d’audiencement particulièrement tendu, pour organiser une confrontation avec une victime qui réside très loin, ou des co mis en examen dont la remise en liberté est en jeu, éviter un dépassement de délai sanctionné par une nullité, l’ouverture d’une voie de recours ou le terme d’une mesure de sûreté autre qu’une remise en liberté voire le départ d’un détenu réclamé par un autre pays.
Ces conditions ajoutées par la circulaire conjointe, outre qu’elles ne sont pas prévues par les textes applicables (art. 42, 51 al.3, D. 57 du code de procédure pénale, posent notamment une jolie question de principe :
Est-il conforme au droit positif de soumettre une réquisition de l’autorité judiciaire au pouvoir exécutif ?
[1] Les extractions judiciaires, des missions particulièrement sensibles
[2] Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires
[3] Question parlementaire N° 23485 et réponse
[4] les extractions judiciaires : Entre pénitentiarisation et policiarisation de l’Administration Pénitentiaire
[5] Réforme de la justice : Audience pénale à distance, audience distanciée ?
[6] Rapport annuel de performances Annexe au projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2023 PROGRAMME 107 Administration pénitentiaire (p 22 et 23)
[7] Le fiasco de la réforme des extractions judiciaires
[8] Forces de sécurité intérieures (police/gendarmerie)
[9] Ex : la disposnibilité d’un avocat ou d’un expert impose une date, une confrontation avec une victime, une confrontation avec des co mis en examen qui doit avoir lieu avec la remise en liberté de ce dernier, le risque d’ un dépassement de délai sanctionné par une nullité , l’ouverture d’une voie de recours ou le terme d’une mesure de sûreté autre qu’une remise en liberté ), un détenu réclamé par un autre pays etc.
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Référence : AJU454457