Les magistrats déposent une plainte contre l’État français pour manquement à la législation du travail

Publié le 09/02/2022

Lors d’une conférence de presse organisée par l’ensemble des syndicats des professionnels de la justice (magistrats, greffiers, personnels de greffe) ce mercredi 9 février, les  magistrats (1) ont annoncé qu’ils portaient plainte contre l’Etat français devant la Commission européenne pour « manquement à la législation européenne en matière de législation du travail applicable aux magistrats ».

Les magistrats déposent une plainte contre l’État français pour manquement à la législation du travail
Photo : ©P. Cluzeau

Ceux qui pensaient que la mobilisation des professionnels de la justice pour sauver l’institution allait se tasser en seront pour leurs frais. Elle fait peut-être moins de bruit que lors de la parution de l’appel des 3000 ou bien à l’occasion de la manifestation du 15 décembre, mais elle n’en est pas moins active.

Depuis début janvier, les cas de juridictions qui décident de limiter les audiences à 21 heures ou bien encore de renoncer à toutes les taches non-juridictionnelles se multiplient.

https://twitter.com/celine_parisot/status/1489147268003467266?s=20&t=8hiO6wBWcPfw5brGdbEKMA

 

Les syndicats sont également très actifs. Le 25 janvier dernier, ils ont voté à l’unanimité en CHSCT la demande de désignation d’un expert pour constater la dégradation de leurs conditions de travail. A ce jour, le ministère n’a pas encore répondu. Il a deux mois pour réagir ; s’il se tait ou s’il refuse, les auteurs de la demande pourront saisir la juridiction administrative, s’il désigne un expert qui ne leur convient pas, l’affaire tombera alors dans le champ des conflits collectifs du travail relevant du juge judiciaire.

Le temps commençant sans doute à leur sembler long, quatre syndicats de magistrats (1) ont annoncé ce mercredi matin avoir saisi la Commission européenne d’une plainte contre l’Etat français pour « manquement à la législation européenne en matière de législation du travail applicable aux magistrats » (le texte intégral est accessible à la fin de l’article).

Les magistrats déposent une plainte contre l’État français pour manquement à la législation du travail
La justice réparée, par ©Me François Martineau

Le système ne tient que sur la violation du temps de travail

Le raisonnement est simple. Les chiffres indiscutables de la CEPEJ témoignent du fait que le nombre de magistrats professionnels en France (9285 dont 8511 en juridiction) est « très largement inférieur à la moyenne européenne ». Ils sont 10,9 sur 100 000 habitants dans l’hexagone quand la médiane européenne s’établit à 17,7 et la moyenne à 21,4. « Cette situation rend impossible le respect du droit de l’UE concernant les temps de repos et les amplitudes horaires maximales pour les magistrats » constatent les auteurs de la plainte.

Le temps de travail des magistrats est régi par le décret n°2000-815 du 25 août 200 relatif à la fonction publique d’Etat. Il est fixé à 35 heures par semaine sans pouvoir excéder 48h sur une semaine ou 44h en moyenne sur 12 semaines.

Le repos hebdomadaire, comprenant en principe le dimanche, ne peut être inférieur à 35 heures. Actu-Juridique a publié à ce sujet des témoignages qui montrent que ceci n’est pas respecté. (Lire par exemple  « Tribune des 3000 : « J’ai pu enchaîner jusqu’à 24 jours de travail non-stop » témoigne une magistrate du parquet). La durée de travail sur une journée est de 10 heures. Là encore, Actu-Juridique a publié plusieurs articles dénonçant les audiences de nuit qui commencent à 13h30 pour se terminer à minuit, 3 heures, voire 6 heures du matin…(lire notamment « Les « audiences Paris-Tokyo » des comparutions immédiates de Bobigny »  ou encore « L’USM révèle l’inquiétante généralisation des audiences nocturnes »).

Certes, un arrêté du 27 juin 2006 soumet les magistrats au régime forfaitaire avec 25 jours de congés annuels et 20 jours de réduction du temps de travail, mais cela n’exclut pas, estiment les syndicats, le respect des dispositions minimales définies par le décret en application du droit de l’UE. Il existe bien une possibilité pour l’Etat de prendre des dispositions dérogatoires pour assurer la continuité du service public, mais il ne les a pas prises en l’espèce. En réalité le système ne tient que sur une violation continuelle des règles minimales du droit du travail, ce qui est la cause de la souffrance au travail des magistrats mais aussi des greffiers et personnels de greffe.

Il manque au moins 1350 magistrats en France pour respecter au minimum le droit du travail

La commission européenne a 70 jours pour répondre. Si elle estime la demande fondée elle peut réclamer des explications à l’Etat français, éventuellement le mettre en demeure de s’expliquer, voire engager un recours en manquement devant la Cour de Justice de l’Union européenne.  Pour les syndicats de magistrats, la simple application correcte des règles du temps de travail nécessiterait l’embauche de 1350 magistrats supplémentaires. Et encore, on ne parle pas ici des effectifs nécessaires pour rendre une justice de qualité dans des délais raisonnables….

 

(1) Union syndicale des magistrats, Syndicat de la magistrature, Association française des magistrats instructeurs, Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.

Courrier commission plainte temps de travail et repos -USM SM AFMI AFMJF