L’acte authentique : une garantie suffisante en soi
Cyrille Farenc, notaire à Saint-Martin-en-Haut et président de la 4e commission du 116e Congrès des notaires relative à la protection des droits, analyse les vertus de l’acte authentique en ce domaine.
Développement d’un formalisme d’information. Dans la poursuite de cet objectif, on relève depuis une quarantaine d’années l’émergence d’un formalisme dit « d’information », consistant dans le développement de dispositifs divers et variés et ayant pour vocation d’assurer la recherche de la protection des droits des contractants. Le droit de la consommation en est certainement un domaine topique. Ainsi, pour certains contrats, des délais de réflexion et/ou de rétractation, des mentions obligatoires – parfois manuscrites –, des remises de pièces obligatoires à peine de nullité du contrat sont imposés afin de renforcer la vocation informative des parties contractantes. Le législateur n’a eu de cesse d’abonder dans le sens de ce formalisme d’information, dont on peut redouter souvent les frais, la surabondance et par-là même douter de son efficacité, tant trop d’information peut tuer l’information ; car il n’est pas tout de délivrer une somme d’informations éparses, encore faut-il s’assurer que celles-ci aient été comprises par l’ensemble des contractants pour répondre à l’exigence d’accessibilité au droit que le Conseil constitutionnel a érigé en principe constitutionnel2.
L’acte authentique au cœur des solennités. On ne peut être que surpris du développement croissant de ce formalisme d’information, qui rajoute au formalisme déjà existant relatif à la forme des actes instrumentaires et qui vient nier les vertus de la forme suprême des solennités : l’acte authentique. Cela témoigne certainement d’un certain déficit d’intérêt que suscite l’authenticité, voire d’une méconnaissance de son statut et de ses missions, expliquant sans doute les interrogations des pouvoirs publics sur le domaine réservé des notaires3 et plus largement sur l’utilité du notariat. Aussi, à l’heure où l’authenticité remporte de remarquables succès d’acclimatation auprès des puissances économiques nouvelles ou émergentes et qu’elle accède enfin à une reconnaissance et une circulation égale à celles des jugements dans les instruments européens, on ne peut que regretter que les autorités du continent l’ayant vu naître fassent preuve d’autant de méfiance et d’incompréhension à son égard. Dès lors, il faut faire preuve de pédagogie et, pour paraphraser Boileau, « vingt fois sur le métier remettre son ouvrage » à l’enseigne des pouvoirs publics ; et de rappeler ainsi que l’acte authentique est un acte, dressé par une autorité publique, qui garantit l’expression libre et éclairée des volontés, écarte l’imprévisibilité des situations futures, garantit la preuve indiscutable des engagements pris, et assure la conservation des conventions tout en permettant l’exécution sans jugement préalable du débiteur défaillant qui tente d’échapper à la prévision du contrat. Ainsi, en assurant et en favorisant le développement de relations contractuelles pérennes, matinées de confiance et de certitude, l’acte authentique incarne déjà en soi une garantie. Dès lors, on comprend que l’acte authentique puisse être exigé tant comme mode de protection du consentement (I), que comme mode de protection de la preuve des actes juridiques (II).
I – L’exigence d’un acte authentique comme mode de protection du consentement
A – Un devoir de conseil protecteur du consentement des contractants
Un devoir de conseil source de responsabilité. Aussi curieux que cela puisse paraître, le devoir de conseil pesant sur le notaire dans l’exercice de sa mission n’est pas défini par la loi4. Pour autant, et bien que ce devoir de conseil n’ait jamais été inscrit dans les textes, les rédacteurs de la loi de Ventôse, et notamment le Conseiller Réal, étaient parfaitement conscients de son existence et de son rôle dans la mission d’authentification du notaire : mais ce n’est qu’au dernier quart du XIXe siècle que le devoir de conseil du notaire a été pris en considération par les tribunaux pour fonder sa responsabilité, précédant à cet égard de nombreux autres professionnels. Aujourd’hui le devoir de conseil est une des principales sources de responsabilité du notaire, laquelle est plurielle. Elle est tout d’abord disciplinaire5 lorsque, par un manquement aux règles légales, réglementaires ou professionnelles ou par un fait contraire à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse, il aura causé du tort à l’intérêt collectif de la profession dont il doit se montrer digne. Elle peut, exceptionnellement, être pénale6, lorsque la faute commise par le notaire a, en raison de son intensité particulière, un retentissement tel qu’elle cause un trouble, non plus seulement à des intérêts privés ou à l’intérêt de la profession, mais également à la collectivité tout entière, en somme à l’intérêt général. Enfin, elle sera le plus souvent civile, et alors fondée sur l’article 1240 du Code civil – anciennement 1382 – et non sur la responsabilité contractuelle ; la cause est à rechercher dans le statut d’officier public du notaire et sa mission de service public qui ont plaidé pour la soumission des rapports du notaire avec ses clients à la responsabilité délictuelle7.
Le service public du conseil. Tout comme le secret professionnel, le devoir de conseil du notaire est absolu, en ce sens qu’il ne peut être modulable ou modéré en fonction de ses bénéficiaires. Ainsi, rappelons que le notaire est tenu à un devoir d’impartialité8 l’empêchant de favoriser une des parties à l’acte, et se doit d’établir des conventions équilibrées : en substance, le notaire est donc tenu d’un « devoir d’information et de conseil à l’égard de toutes les parties à l’acte pour lequel il prête son concours »9. C’est à ce titre, qu’il est affirmé que le notaire assure un véritable service public du conseil10, lequel est consubstantiel à l’accomplissement de son ministère. Le notaire doit donc délivrer un conseil avisé et adapté, avec le même intérêt à l’ensemble des parties contractantes. Comme le précisait Michel Grimaldi, « c’est parce que le notaire est un officier public ayant reçu de l’autorité publique la mission, non pas seulement de préconstituer la preuve des actes juridiques, mais aussi d’éclairer les parties sur la portée de leurs engagements, que son conseil est de toute autre nature que celui de l’avocat et que la loi impose de le recevoir au citoyen dont elle veut que le consentement soit éclairé par un professionnel du droit »11. Le devoir de conseil du notaire ne s’exerce donc pas de la même manière que le conseil apporté par les autres professions juridiques : le notaire, homme du « juridique » et non du « judiciaire »12 est donc l’homme impartial du contrat, et non l’homme des parties, et encore moins d’une partie.
Un conseil accessible et « sur-mesure ». Si le notaire doit veiller à éclairer le consentement des parties à l’acte qu’il reçoit, il est par ailleurs de sa mission de veiller également à ce que ces mêmes parties aient une pleine compréhension des implications de l’acte qu’elles souhaitent voir dresser. Aussi, si les informations et conseils délivrés par le notaire doivent être complets, ils doivent par ailleurs être pertinents et accessibles à l’ensemble des parties. En effet, bien délivrer un conseil, c’est également le rendre accessible en s’assurant que l’ensemble des parties à l’acte ait bel et bien compris la portée et les risques de leurs engagements. Autrement dit, conseiller c’est s’adapter, et à cet égard, la jurisprudence de la Cour de cassation veille à ce que le notaire prodigue à ses clients des conseils adaptés à leur situation précise. Aussi, il faut voir dans ces décisions de la haute juridiction le signe que, du point de vue du conseil et de la mise en garde, la prestation attendue du notaire relève – comme le souligne un auteur13 – davantage du « sur-mesure » que du « prêt-à-porter ». En étant débiteur d’un devoir de conseil à délivrer à l’ensemble des parties à l’acte, le notaire favorise « la pénétration du droit dans les relations sociales »14 contribuant de la sorte à l’effectivité du droit. Faire comprendre la règle de droit aux parties contractantes, tout en s’assurant que celle-ci soit bien appliquée et bien respectée, telle est la tâche assignée aux notaires. En « bon instituteur du droit »15, le notaire délivre quotidiennement des conseils concourant ainsi à sa mission de service public, en permettant notamment à chacun de pouvoir accéder au droit16. Le notaire demeure donc tout autre chose qu’un simple prestataire de services au profit de clients. Il contribue surtout à créer et maintenir un lien social et un lien de droit entre l’État et la société, ainsi qu’un accès pour tous au droit de par son rôle singulier et majeur d’« acteur d’un service public du droit »17.
B – Un acte formaliste garant d’un consentement éclairé
L’acte authentique comme condition de validité. Pour assurer cette recherche de protection de l’équilibre contractuel, le législateur a imposé – pour certains contrats – la solennité de l’authenticité comme condition de validité de l’acte. Ainsi, en recourant à l’acte authentique, le législateur entend que les contractants, prennent la pleine mesure de leur engagement, qu’ils en mesurent la portée, la gravité ou encore l’étendue. C’est donc ce souhait de protection de l’intégrité du consentement et de promotion de la volonté éclairée des parties qui conduit à placer l’acte authentique – et à travers lui l’intervention de l’officier public – au cœur des solennités. Dès lors, on comprend aisément que la loi soumette à l’exigence de l’authenticité, à titre de condition de validité de la convention, la plupart des actes les plus importants de la vie civile : on parle ainsi pour ces actes de contrats solennels.
Acte authentique et protection de l’acquéreur d’immeubles à construire et du constituant d’hypothèque conventionnelle. On le sait, tout contrat de vente d’immeubles soumis aux formalités de publicité foncière doit, conformément aux dispositions de l’article 4 du décret du 4 janvier 1955, être préalablement passé en la forme authentique. Toutefois, l’inobservation de cette forme ne se traduit alors que par l’impossibilité de publier et, en conséquence, par l’inopposabilité du contrat aux tiers. Dès lors, le contrat de vente d’immeuble ne prend pas, à proprement parler, le caractère de contrat solennel, à la différence du contrat de vente d’immeubles à construire portant sur un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation lequel, à peine de nullité, doit être établi en la forme authentique. Avec la loi du 3 janvier 1967, instaurant la vente d’immeubles à construire, le notaire apparaît, à raison de son statut d’officier public, comme le garant de ce modèle contractuel et de l’équilibre entre vendeur et acquéreur. Aussi, le notaire instrumentaire aura à vérifier, sous sa responsabilité, que le contrat contient bien l’ensemble des informations et mentions obligatoires prévues par la loi nécessaire à sa validité, afin d’assurer la protection de l’acquéreur qui contracte bien souvent dans un environnement qui lui est peu familier. Il assurera alors un contrôle strict du respect de la bonne application des dispositions d’ordre public aux termes de l’acte de vente en l’état futur d’achèvement, ainsi que la justification et l’efficacité des garanties correspondantes relatées et annexées à celui-ci.
Acte authentique et protection de la famille et du couple. Comme cela a été très justement souligné, « le droit de la famille constitue le berceau du formalisme, sinon le lieu où celui-ci agit avec le plus d’intensité »18. Les exemples confortant cette thèse par le recours à l’acte authentique sont nombreux, tant en droit extrapatrimonial qu’en droit patrimonial : que l’on songe par exemple aux formes solennelles imposées pour le mariage, la reconnaissance d’enfant ou l’adoption ; que l’on pense également à la solennité de la renonciation anticipée à l’action en réduction introduite par la loi du 23 juin 2006 ou de la donation entre vifs pour laquelle l’article 931 du Code civil impose la forme notariée. Là encore, ces formes solennelles poursuivent un but de protection empêchant notamment les engagements irréfléchis et ceux qui seraient le fruit d’une captation mal intentionnée. Toutefois, l’une des particularités du droit de la famille par rapport au droit commun des obligations et des contrats réside notamment dans le fait que les actes précités ne peuvent être appréhendés comme des actes isolés qui épuisent leurs effets dans leur seule exécution. Comme l’a développé Claude Brenner19, « ils s’inscrivent au contraire dans un ensemble de relations très fortement marquées par le caractère institutionnel de la famille ». Dès lors, retenons que si les formes solennelles tendent à assurer, en droit des contrats, la protection des parties à l’acte, en droit de la famille, le formalisme de l’acte authentique n’est pas imposé que dans l’intérêt de ces mêmes parties, mais aussi et surtout de la famille et des tiers intéressés, et par-delà, de la société qui a intérêt à ce que l’opportunité et l’efficacité de tels actes soient garanties dans toute la mesure du possible par l’intervention d’une autorité spécialement qualifiée. Aussi, une telle recherche de protection explique la très forte dimension politique de la matière et justifie l’existence d’un contrôle de l’État sur l’organisation de la famille. À travers le recours à l’authenticité, le formalisme est devenu l’instrument privilégié d’un contrôle atténué mais persistant de la puissance publique sur l’activité juridique des individus dans l’intérêt général. Il n’est donc pas étonnant que l’acte authentique soit exigé pour tous les actes fondateurs de la vie des familles.
II – L’exigence d’un acte authentique comme mode de protection de la preuve des actes juridiques
A – La preuve des actes juridiques : la protection de l’existence des droits
Importance et enjeux du droit de la preuve. Si les règles probatoires ne concourent pas à la validité de l’acte juridique, elles contribuent à part entière à la quête de la protection de l’acte juridique. En effet, l’acte que l’on ne peut pas prouver n’a pas plus de valeur, pratiquement, que s’il n’avait pas été conclu, faisant ainsi écho à la sagesse du vieux brocard : « idem est non esse et non probari ». Dès lors, on comprend que la preuve des obligations soit, en pratique, aussi importante que leur existence. Pour cette raison, le système de préconstitution de la preuve écrite des obligations est une pièce essentielle de notre tradition juridique et plus largement des pays de droit continental. Si le droit de la preuve participe ainsi à conditionner les demandes des individus dans le cadre de leurs contentieux judiciaires, il peut également intervenir en dehors de tous contentieux judiciaires et tend alors à garantir l’effectivité des droits des citoyens dans leurs rapports extrajudiciaires. Dès lors, ce n’est plus de droit de la preuve dont il est question, mais de la preuve d’un droit dont tout individu entend se prévaloir.
Acte authentique et force probante renforcée. S’il n’existe pas à proprement parler de hiérarchie dans le domaine de la preuve, il est indéniable que l’acte authentique bénéficie d’une incontestable supériorité sur les autres actes instrumentaires. Depuis l’ordonnance de Moulins de 1566, l’écrit l’emporte sur le témoignage ; la force probante de l’acte authentique l’emporte à son tour sur tous les autres modes de preuve par écrit au motif que sa sincérité est garantie par l’intervention du notaire ayant reçu de l’autorité publique la mission de préconstituer la preuve des actes juridiques qu’il reçoit. Aussi, lorsqu’on s’interroge sur les raisons permettant d’expliquer « l’éclatante supériorité »20 de la valeur probatoire de l’acte authentique à tout autre écrit, il convient de se reporter à la célèbre réponse de Planiol21 : « La sincérité de l’officier public est garantie : 1° par les conditions préalables de sa nomination, qui assurent aux fonctions dont il est chargé un recrutement aussi bon que possible ; et 2° par les conséquences terribles qu’aurait pour lui un faux commis dans ses fonctions : perte de sa charge et de sa place et condamnation aux travaux forcés à perpétuité. L’officier public est donc un témoin privilégié dont l’attestation a aux yeux de la loi une valeur exceptionnelle ». C’est donc bien le statut d’officier public du notaire qui justifie la primauté reconnue à la force probante de l’acte authentique, laquelle « est en quelque sorte consubstantielle à l’authenticité »22.
Dès lors, lorsque des contractants auront recours à un acte authentique pour formaliser l’accord intervenu entre eux, ces derniers auront la garantie que l’acte reçu fera pleine foi de son contenu et de son origine. Ainsi, il n’aura pas besoin d’être reconnu par celui à qui on l’oppose et la foi qui lui est due s’impose d’elle-même et n’est subordonnée à aucune vérification préalable. De même, et à raison de la seule intervention de l’officier public, la date de l’acte – mention obligatoire dans un acte authentique et donnée capitale en ce qu’elle constitue un des éléments d’opposabilité de l’acte aux tiers – s’imposera aux parties, à leurs ayants droit et même aux tiers dès lors qu’elle aura été constatée personnellement par le notaire. Retenons donc que c’est la confiance que place l’ordre juridique dans l’officier public qui permet de donner une force inébranlable aux actes qui constatent les accords de volontés des parties. De là découlent les principaux attributs de l’authenticité – la force probante et la date certaine – qui permettront la force exécutoire.
B – L’exécution des actes juridiques : la protection du créancier
Obtention d’un titre exécutoire. Une fois l’acte juridique prouvé, restera à veiller à sa bonne exécution. Mais, comme le souligne très justement Claude Brenner23, si la formation du contrat relève en principe de la liberté individuelle, l’exécution forcée relève quant à elle du ressort exclusif de l’État ; de là, le caractère d’ordre public de la matière. Dès lors, et préalablement à toute mesure d’exécution forcée, l’obtention d’un titre exécutoire constituera le précieux sésame permettant à tout créancier d’une obligation de lancer des mesures coercitives contre son débiteur. À cet égard, l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution énumère limitativement la liste des titres exécutoires, duquel il ressort que l’acte sous signature privée ne figure pas dans cette énumération. La loi a ici estimé que l’acte sous signature privé ne présentait pas de garanties suffisantes pour mettre en action, sans vérification judiciaire, la force publique. Cela signifie donc qu’en cas d’inexécution d’une partie contractante à un acte reçu en la forme sous seing privé, l’autre partie ne pourra, de sa propre autorité, employer l’exécution forcée contre son cocontractant ; il lui faudra au préalable passer devant la juridiction compétente24 pour faire constater l’inexécution de l’obligation contenue dans son acte, et demander à celle-ci d’ordonner l’exécution forcée. Concrètement, cela se traduira nécessairement par un allongement de la procédure diligentée contre le débiteur, puisque toute exécution forcée sera préalablement conditionnée à la délivrance d’un titre exécutoire. Lorsque l’on connaît l’importance d’agir avec célérité contre un débiteur en matière de voies d’exécution, on comprend que l’acte sous signature privée souffre ici d’une carence d’efficacité.
Actes notariés et titre exécutoire. Tel n’est pas le cas des jugements et surtout, dans le catalogue des actes juridiques instrumentaires, des actes notariés. La raison en est simple : la force exécutoire est attachée à l’acte authentique comme à la décision judiciaire parce que l’un et l’autre sont le résultat d’une délégation de pouvoir – celle de trancher les litiges au nom de l’État ou de donner la foi publique à des volontés privées – à laquelle la puissance publique doit prêter force contraignante pour remplir ses missions de souveraineté et préserver son autorité. Par suite, dès lors qu’un créancier sera titulaire d’une copie authentique sur laquelle sera reproduite une formule dite exécutoire, il aura en mains un titre pouvant être mis directement en exécution contre son débiteur, au besoin par la force publique. On comprend ainsi aisément la redoutable efficacité que représente l’acte notarié, à comparer à la faiblesse des contrats passés entre particuliers, et quelle protection il apporte au créancier d’une obligation. Sans vouloir dresser un inventaire à la Prévert, on comprendra qu’une telle protection pourra bénéficier à tous créanciers d’une obligation contenue dans un acte notarié : un établissement bancaire à l’encontre d’un emprunteur défaillant, une épouse bénéficiaire de la part de son ex-mari d’une soulte payable à terme aux termes de leur acte liquidatif de partage ou d’une prestation compensatoire stipulée payable à terme ou – par exception – sous forme de versements échelonnés, un propriétaire à l’égard de son locataire à la sûreté du bon paiement de ses loyers, etc. Dès lors, tout acte notarié constatant une obligation devient un instrument de protection veillant à la bonne exécution du contrat et partant de l’efficacité des situations juridiques individuelles.
Propos conclusifs. À la lumière de ces développements, l’acte authentique apparaît comme un viatique protecteur dans le développement des relations contractuelles. Dès lors, et si pour assurer l’équilibre contractuel, le législateur peut avoir recours à des règles de forme diverses pour renforcer l’information de la partie jugée « la plus faible » au contrat ou lutter contre un engagement irréfléchi d’une partie à l’acte, rien ne saurait remplacer l’interposition d’un notaire qui offre un éclairage à nul autre pareil sur la portée et les conséquences des engagements pris par les parties contractantes, tout en permettant à celles-ci, en cas de manquement à son devoir de conseil, de pouvoir engager sa responsabilité. Ainsi, en éprouvant, pour chaque acte qu’il reçoit, le consentement des parties à l’aune de conseils accessibles et sur-mesure, en conférant une force probante éminente aux accords de volontés des parties, tout en garantissant l’exécution de ceux-ci en permettant à tout créancier d’une obligation de mener des mesures coercitives contre un débiteur défaillant, le notaire contribue au quotidien à protéger l’équilibre contractuel au point que l’acte authentique paraisse constituer une garantie suffisante en soi.
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- Leprovaux J., « Quel avenir pour l’assurance-vie ? »
- 116e Congrès des notaires de France : les notaires veulent être au cœur de la vie
Notes de bas de pages
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1.
Jeanclos Y., « Formalisme et consensualisme : la sempiternelle querelle du droit des contrats », in Hommages à Gérard Boulvert, 1987, Nice, Éditions de l’université de Nice, p. 333 et s.
-
2.
Cons. const., 16 déc. 1999 : JO, 22 déc. 1999.
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3.
Recommandation du Conseil, COM (2013), 360 Final (point 13) ; CJUE, 24 mai 2011, sur la liberté d’établissement et la condition de nationalité : JCP G 2011, 661, Picod F.
-
4.
Grignon-Dumoulin S., « Formation du contrat et obligation d’information du notaire : le point de vue de l’avocat général à la Cour de cassation », JCP N 2018, n° 12, p. 33.
-
5.
Crône R., « La responsabilité disciplinaire notariale », Dr. & patr. mensuel 2019, n° 287, p. 23.
-
6.
Ollard R., « La responsabilité pénale du notaire », Dr. & patr. mensuel 2019, n° 287, p. 30.
-
7.
V. de Poulpiquet J., Responsabilité des notaires, civile, disciplinaire, pénale, 2009, Dalloz, n° 11-11.
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8.
V. en ce sens Cass. 3e civ., 29 mars 2018, n° 17-13641 : Defrénois 15 nov. 2018, n° 141x9, p. 34, obs. Latina M.
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9.
Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 06-15318.
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10.
Sagaut J.-F. et Latina M., Déontologie notariale, 2e éd., 2014, Defrénois, p. 119.
-
11.
Grimaldi M., L’acte « d’avocat », Defrénois 28 févr. 2010, n° 39071, p. 389.
-
12.
Le notaire est donc, au sens strict, un officier public et non un officier ministériel. En effet, selon le Vocabulaire juridique de l’association H. Capitant, l’officier public serait « titulaire d’un office non rattaché à l’administration de la justice », au contraire de l’officier ministériel qui disposerait d’un « office rattaché à l’administration de la justice ». Or ce n’est qu’à la marge que le notaire est amené à côtoyer les juridictions.
-
13.
Brun P., « Le devoir de conseil du notaire dans la jurisprudence de la Cour de cassation », Dr. & patr. 2019, n° 287, p. 28.
-
14.
V. L’authenticité, La documentation française, n° 64, p. 96.
-
15.
Grimaldi M., « La sécurité juridique, un défi authentique », rapport de synthèse du 111e Congrès des notaires de France, Defrénois 30 juin 2015, n° 120g8, p. 694, spéc. n° 3.
-
16.
Crocq P., « Des missions de service public – Synthèse de la première table ronde », JCP N 2015, n° 6, 1068.
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17.
Théry P., « Les professions juridiques : service public et déréglementation ? », in Des missions de service public, colloque organisé par l’université Panthéon-Assas (Paris II), JCP N 2015, n° 6, p. 22 et s.
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18.
Laurent-Bonne N., « La dictée du testament authentique, un succédané de formalisme rituel », in Le formalisme, 2017, LGDJ, p. 11.
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19.
Brenner C., « Authenticité, droit de la famille : libres propos sur la déréglementation », JCP N, 2014, n° 41, 1297.
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20.
V. L’authenticité, La documentation française, p. 107.
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21.
Planiol, Traité élémentaire, t. II, n° 90.
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22.
Nicod M., « La force probante de l’acte notarié », JCP N 2013, n° 5, p. 30.
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23.
Brenner C., « La présence de l’État dans les rapports contractuels entre les citoyens : l’exécution forcée des contrats », JCP N 2019, n° 6, p. 29.
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24.
Laquelle pourra dépendre de la nature de la créance en cause et/ou de la qualité des parties contractantes.