Journal d’un pénaliste au temps de la Covid-19 (5)

Publié le 27/07/2020

Non, le chef de l’Etat n’est pas l’employé des français, pas plus que le terme de féminicide n’a de sens juridiquement. Comme chaque semaine, Loeiz Lemoine décrypte l’actualité de son oeil acéré de pénaliste et déboulonne au passage  quelques idoles médiatiques. 

13 juillet – Qui veut soutenir Carlos Ghosn ?

Journal d'un pénaliste au temps de la Covid-19 (5)
Photo : ©Stanislaw Mikulski/adobeStock

La Voix du Nord : « ce 9 juillet, la cour d’appel de Douai a refusé d’annuler une délibération du conseil de l’ordre du barreau des avocats de Lille adoptée le 24 juin 2019, qui proscrit le port de tout signe religieux ou de décoration avec la robe d’avocat. Ceci est contesté par l’étudiante et Mehdi Ziatt, avocat et membre du conseil de l’ordre. Rien n’indique que ce jugement mettra fin à une poussée de fièvre entamée en décembre 2018, avec l’entrée à l’école d’avocats d’une jeune femme désireuse de conserver son foulard islamique dans les prétoires. »

Voilà un vrai sujet. Je me pose la question depuis que j’ai commencé à voir (le phénomène est, sinon nouveau, du moins récent) des jeunes filles voilées à l’école d’avocats. Elle s’est également posée au barreau de Bobigny qu’elle avait « déchiré », selon les mots du bâtonnier Campana, en exercice à l’époque.

Comme pour le burkini et plus généralement toutes les poussées communautaires, il s’agit de mettre les institutions (en l’espèce les juridictions et le conseil de l’ordre) dans les cordes : allez-y, osez un peu vous opposer au voile et on vous traitera d’islamophobes, c’est-à-dire de racistes.

Rapprochement intéressant, totalement inattendu et cependant, tellement raccord avec tout ce que je dis de Jacques Toubon depuis des mois : d’après une enquête de Marianne, il était sous la triple influence de Bourdieu, du CRAN et du CCIF. Pourquoi ne suis-je pas étonné ?

« Les élus de la majorité municipale à Lyon ont pris la décision d’adopter l’écriture inclusive pour leur future communication »

C’était important pour une première décision écologique dans une grande métropole comme Lyon, et en plus ça coûte rien. Ce m’est l’occasion d’un petit commentaire sur l’inanité de l’écriture dite inclusive qui massacre la langue, mais surtout sur la contradiction fondamentale qui définit nos écolos français : l’écologie est, par définition, un conservatisme, elle vise à sauver et préserver ce qui peut l’être, en s’opposant à la frénésie moderniste et progressiste de ceux qui persistent à croire que l’histoire a un sens. Mais pour nos écolos français, l’idée de conservation n’est valable que pour Notre Dame des Landes ou le Larzac, pas notre pauvre langue française, qu’on peut donc saccager sans vergogne.

Ouest-France : « Côtes-d’Armor. Fête nationale : à partir de 20 h ce lundi soir, la vente d’alcool est interdite » WHAT ? Ces atteintes aux libertés individuelles bretonnes sont absolument inqualifiables ! Que fait Jacques Toubon ?

Le fugitif Carlos Ghosn se plaint du manque de soutien des autorités françaises : « Ils m’ont apporté le genre de soutien qu’ils apporteraient au citoyen français moyen, et encore moins ».  Je reconnais la dureté exceptionnelle et choquante du traitement infligé par le système pénal japonais, mais pour le reste on ne voit pas pourquoi la France aurait dû lui accorder un soutien particulier…

Sur le compte Twitter Thèse et synthèse : « En raison des vacances judiciaires, nous clôturons temporairement le dossier #Derambarsh. Nous avons informé les instances en mesure de faire cesser ce scandale. Qu’elles prennent leurs responsabilités. A défaut, nous envisagerons sérieusement une action judiciaire à la rentrée. » I can’t wait.

Rokhaya Diallo et Geoffroy Lejeune dans TPMP la saison prochaine. Donc, cette émission continue. Rokhaya Diallo y cotoiera Naulleau et Garrido, Geoffroy Lejeune de Valeurs actuelles (difficile de trouver plus éloigné idéologiquement) et des penseurs contemporains comme Gilles Verdez.

Que certaines personnes, dont je partage les idées ou pas, acceptent d’aller dans cette caricature d’émission de débats me désole. On n’y peut aller que pour prendre de la caillasse et/ou acquérir de la notoriété, mais en aucune façon pour faire avancer des idées. Je vois d’ici les discussions sur la couleur des sparadraps… ça va être d’un niveau…

Eddy Minang, Procureur Général près la Cour d’Appel de Franceville (Gabon), me suit. Qu’est-ce qui a pu amener Monsieur le Procureur Général à me suivre, comment il a pu tomber sur mon compte, je ne saurais le dire, mais le potentiel de Twitter montre là quelque chose de presque vertigineux. En signe de réciprocité, je le suis également.

 

14 juillet – Faut-il regretter Toubon ?

« Brevet des collèges 2020 : 90,5% de réussite, en hausse de 4 points ». Ce millésime, il faut le préciser, est basé uniquement sur le contrôle continu. Ces examens, vraiment, ne veulent plus rien dire. J’ai dû passer ce qu’on appelait alors le BEPC en 1976, dans un bahut du côté de la Porte de Clignancourt (comme c’est loin, tout ça), et déjà à l’époque cet examen était considéré comme quasiment inratable. Son intérêt ? C’était un vrai examen, on passait des épreuves, dans les conditions d’un examen, avec le petit stress, le temps limité pour rendre sa copie, comme un galop d’essai pour le bac, trois ans plus tard.

Encore des attaques contre Jacques Toubon, ça commence à bien faire ! Jusqu’ici j’étais le seul à le critiquer, si tout le monde s’y met qu’est-ce qu’il va me rester ? Le Canard se déchaine : Le Défenseur des droits, qui n’oublie pas de défendre les siens (charité bien ordonnée) a perçu une rémunération brute mensuel de 15.725 en plus de ses pensions de retraite de fonctionnaire, d’ancien parlementaire et d’ancien conseiller de Paris, soit environ 30.000 € par mois.

Darmanin, suite. L’Obs de ce jour : « En 2009, Gérald Darmanin a demandé à une femme des rapports sexuels en échange de la promesse d’intervenir auprès du ministère de la Justice pour faire effacer le casier judiciaire de celle-ci. Son avocat ne nie pas ces faits mais la qualification de « viol ». »

J’ai déjà eu l’occasion de dire que je n’étais pas un moraliste, ce qui ne m’empêche pas d’avoir de la morale. L’idée d’échanger une relation sexuelle contre… en fait contre n’importe quoi, me dégoûte. L’idée de coucher avec une personne en échange et en raison d’une contrepartie, ne rentre pas dans mes schémas de pensée et, si ça se trouve, dans mes capacités physiologiques (sans fausse modestie). Si cette réalité matérielle est reconnue, je dirais que nous avons un ministre de l’Intérieur que la morale n’étouffe pas, comme on disait dans le temps. Malgré tout, cela n’a rien à voir avec un viol, au sens où la loi le définit. Et quelque part (je sens que je vais prendre des coups), je n’ai pas plus de respect, sur le plan moral, pour une personne qui est prête à coucher avec un responsable pour faire « effacer » son casier judiciaire.

Dalloz ce matin : « La péremption du commandement de payer valant saisie immobilière opère de plein droit et s’impose au juge qui la constate de sorte qu’il n’a pas à statuer sur l’incident de caducité soulevé après l’acquisition de la péremption. » J’ai rien compris mais je vais peut-être me mettre aux voies d’exécution, ça a l’air sympa.

Journal d'un pénaliste au temps de la Covid-19 (5)
Photo : ©Daliu/AdobeStock

Jeudi 16 juillet – entre ajoncs et bruyère

Il y a 32 ans, à la sortie d’une petite chapelle bretonne environnée d’ajoncs et de bruyère, de blocs de granit affleurant à la surface de la terre, et devant une foule hâtive à lancer des grains de riz sur nos tenues immaculées, j’étreignais celle qui occupe aujourd’hui une place si grande dans ma vie et m’a donné quatre beaux enfants qui ne m’ont demandé qu’un effort à peine négligeable (je ne parle que du moment de la conception. Parce que pour le reste, je n’ai qu’un conseil à donner aux jeunes gens : ne vous reproduisez pas !).

Vendredi 17 juillet – « Fémini » quoi ?

France culture : « Présent dans le Petit Robert mais non reconnu par l’Académie française, le terme n’existe pas dans le Code pénal, mais il existe bien en droit français… Un mot bien « délicat » à manier semble-t-il. » Mais mais mais, quel peut être ce mot ?

« Féminicide ».

Il n’est en effet ni dans le code pénal ni dans le dictionnaire, n’existant ni en droit ni en français. « Oui mais et le Robert, alors ? » Le Robert, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le clamer ici et là, n’est PAS un dictionnaire. D’après Littré, un dictionnaire est un « Recueil des mots d’une langue, des termes d’une science, d’un art, rangés par ordre alphabétique ou autre, avec leur signification. » Le Robert est au contraire le réceptacle démagogique, non pas des mots d’une langue tels qu’ils existent, mais de ceux que la rue ou les réseaux utilisent, et qu’il intègre, tel un boa extensible à l’infini, comme s’ils étaient corrects.

La langue n’a aucun intérêt pour lui, ce qui compte c’est l’usage, même impropre, et les mots utilisés, même lorsqu’ils n’existent pas. Je ne serais pas surpris (et même je serais déçu du contraire) que le Robert contienne présentiel et candidater. C’est laid, incorrect et barbare ? Mais quelle importance puisque des gens le disent.

Samedi 18 juillet 2020 – Non, le chef de l’Etat n’est pas notre employé

Camus : « Le démocrate est modeste. Il avoue une certaine part d’ignorance. Il reconnaît le caractère en partie aventureux de son effort et que tout ne lui est pas donné. Et, à partir de cet aveu, il reconnaît qu’il a besoin de consulter les autres, de compléter ce qu’il sait par ce qu’ils savent ».

Comme c’est vrai (le début) et faux ou inexact (la suite) en même temps. Qui, de nos jours, reconnaît son ignorance ? Les politiques moins que les autres, non par prétention, mais parce que ceux qu’ils gouvernent ne leur pardonneraient pas un aveu d’ignorance qui serait pris, non comme de l’humilité, mais comme de la faiblesse. Le démocrate de Camus est un démocrate idéal. Hier j’ai eu une idée, ou plutôt une idée qui me traine en tête depuis longtemps s’est précipitée (au sens chimique de ce terme), cristallisée en moi. Plutôt que d’avoir des candidats à des mandats, postes ou fonctions, ce qui en écarte par définition les gens modestes et ceux qui ont authentiquement le sens du collectif et de l’intérêt général, que les responsables (maires, députés, président, etc.) soient désignés par les votants, sans qu’ils aient postulé auxdites responsabilités : tiens, on t’a désigné, à ton tour de t’y coller. Si ça se trouve ça a déjà existé et, non content d’inventer l’eau chaude, j’étale mon ignorance.

Julia Cagé (une proche de Hamon avant son naufrage, si je me souviens bien) : « Ce qui met les universités sous pression, ce n’est pas l’afflux de bacheliers, c’est le manque de moyens.

Depuis des années, les moyens alloués par étudiant ne cessent de baisser & la recherche est précarisée. »

On donne le bac à tout le monde, y compris de nombreux jeunes gens qui n’ont pas du tout le niveau pour étudier à l’université, et ensuite on dit qu’il faudrait plus de moyens… où allons-nous avec ça ? Même avec plus de moyens, il y en aurait x% qui abandonneraient avant d’obtenir le moindre diplôme. Rien qu’à ma lointaine époque, il y avait entre 30 et 50% qui n’allaient pas au bout de la 1ère année.

Le groupe EELV à Paris demande des créneaux réservés aux femmes dans les piscines et les gymnases . Je m’impose de lire la motion, intitulée « Vœu pour une véritable égalité d’accès au sport ». Suit le texte, véritable chef d’œuvre d’hypocrisie et (je prends des risques) de soumission. Longue explication sur le fait que les femmes ne font, ne peuvent pas faire, d’activités sportives parce que (notamment), les tâches domestiques sont majoritairement assumées par elles. Sans doute ce fait, que je ne conteste pas, est-il encore vivace en France, mais il y a à l’évidence un microclimat à Paris intra-muros, la preuve ils ont fait gagner Anne Hidalgo et les Verts.

Puis diverses recommandations dont j’extrais les suivantes :

« [mettre] fin à toute collaboration avec les organismes sportifs (média, association sportive, événement international, etc.) refusant de mettre en place des actions permettant de respecter la stricte égalité femme-homme »

(…)

[Expérimenter] des solutions innovantes pour favoriser la pratique du sport féminin à Paris, comme (…) la création de créneaux non-mixtes pour permettre aux femmes qui en auraient besoin de reprendre confiance (…). »

On sait très bien d’où vient, ou à qui va complaire, cette demande de non-mixité, à laquelle des municipalités, pour des raisons purement électoralistes, ont déjà cédé, plus ou moins discrètement, et en le contestant plus ou moins :  de courants de pensée ou religieux qui ne tiennent pas pour acquis et inaliénable, le principe d’égalité entre les femmes et les hommes.

Le Huffpost, des gilets jaunes interpellent le président qui se promène avec Madame : « “Vous n’êtes pas des modèles de respect non plus (…) Je me balade avec mon épouse et vous m’interpellez”, note Macron avant que l’auteur de la vidéo lui lance: “C’est normal. Vous êtes mon employé, monsieur le président, vous êtes mon employé”. “On est un jour férié et je me balade”, répond le chef de l’État. »

Erreur plus que fréquente : le chef de l’Etat, et plus généralement tous les politiques et les fonctionnaires, ne sont pas nos employés, même symboliquement. Et ce n’est pas non plus nous qui les payons. Nous payons des impôts, sans affectation précise (c’est un principe de Finances Publiques, que j’étudiai naguère, il y a une petite quarantaine d’années), l’Etat les emploie et les rémunère. Le fait de payer des impôts ne nous crée aucun droit direct sur eux. D’ailleurs que dirait-on de ceux qui n’en payent pas, ils auraient moins de droit ? Par exemple celui de parler au président comme un patron (dans leur imaginaire) s’adresse à un employé. Nous avons des droits en tant que citoyens et non en tant que joyeux contribuables, pour reprendre l’expression de Droopy.

Affaire Traore : « plainte » (le terme demanderait à être précisé) contre l’experte qui avait procédé au premier examen du corps d’Adama Traore. Plainte (cette fois-ci, dans sa véritable acception pénale) contre le témoin chez qui il s’était réfugié. Peut-être la première s’était-elle trompée, peut-être le second a-t-il varié dans ses déclarations, en toute hypothèse, on a une impression de terrorisme judiciaire dans cette démarche. J’attends la plainte contre le juge d’instruction quand il fera un non-lieu.

Appel à manifester d’EELV « pour réclamer l’égalité de traitement peu importe la couleur de peau ou l’origine ainsi que pour revendiquer le droit fondamental de toutes et tous de vivre dans un environnement sain. » Ça plus leur demande de plages non mixtes dans les salles de sport.

D’aussi loin que je me souvienne, ou presque, j’ai été écolo. Je me souviens notamment d’avoir été saisi, au printemps 1978, en voyant ma Bretagne recouverte d’une couche marron, les oiseaux avec du goudron dans les plumes, comme l’avait alors chanté le regretté Jean-Michel Caradec, des fosses creusées à la hâte et recouvertes de bâches en plastiques dans lesquelles des bidasses déversaient du sable mitigé de pétrole brut. Et pourtant, de ma vie je n’ai voté pour les écolos. Pourquoi ? Outre que ce sont les plus cons de toute l’Europe, ils ne sont écolos que pour les centrales nucléaires, mais ils sont avant tout de gauche (moi aussi, du moins je le pense… mais c’est une autre question). Du coup, au lieu de protéger les paysages, de lutter contre les émissions de CO², par exemple en laissant ouverte Fessenheim (aïe, je vais mal finir…), ils vont militer aux côtés d’Assa Traore sans le moindre recul, et demander des horaires non mixtes pour… pour qui à votre avis ?

Aïe, je me trouve d’accord avec Médiapart, ça va mal les enfants ! Ils qualifient le comportement de Darmanin de trafic d’influence et en effet, s’il a usé de son pouvoir (réel ou supposé) c’est bien de cela qu’il pourrait s’agir. Et en ce qui concerne la personne qui lui a proposé d’avoir une relation sexuelle avec lui, eh bien elle se trouve sur l’autre versant de la même infraction, quelque chose comme une forme de corruption : l’une qui achète, l’autre qui se fait acheter. Cet espèce d’équilibre n’a rien à voir avec la situation d’un viol.

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Dimanche 19 juillet – L’avocat est passé à la télé

BFMTV « Nantes: l’avocat de l’homme placé en garde à vue assure qu' »aucun élément ne rattache » son client à l’incendie de la cathédrale ».

Déclaration devant le commissariat, en pleine garde à vue, et allez donc. « En l’état actuel de ce que je connais de la procédure ». On croit rêver. D’abord il n’en connaît rien (c’est l’un des problèmes de l’avocat en garde à vue), ensuite il est tenu au secret.

« Deuxièmement s’il s’avérait que la cause de cet incendie ne soit pas accidentelle, la meilleure des communautés pour pouvoir faire preuve de miséricorde vis-à-vis de l’auteur ou des auteurs de l’incendie, c’est bien la communauté catholique ». Amen. Renvoyons ce confrère, sinon à ses études de droit, du moins à son catéchisme, ce qui lui évitera une légère confusion sur la Miséricorde et le Pardon. Par ailleurs le pardon ne peut aller qu’à celui qui reconnaît ses fautes. Et il ne peut venir que de celui, ou ceux, qui sont offensés ou blessés par ces fautes, ce n’est pas un droit que peut faire valoir le fautif. Bref, encore un tissu de connerie. Quelques heures plus tard, l’homme est relâché. Mais bon, l’avocat est passé à la télé, c’est toujours ça de pris.

Lundi 20 juillet – Weber, Aron, Lacan et les autres

Premières désillusions des avocats face aux actions ou plutôt aux propos de leur nouveau Garde des Sceaux et ci-devant confrère.

Trois références :

* Max Weber, qui théorisa l’éthique de responsabilité vs l’éthique de conviction. La seconde postule que, indépendamment de ce qui est bien ou mal, juste ou pas, on doit avoir le souci des conséquences. Les oppositions ne pensent qu’en termes de conviction, ce qui est logique : 1°) les paroles n’ont pas de conséquences, contrairement aux actions, et 2°) si on veut passer de l’opposition au pouvoir, il faut bien dire à beaucoup de gens ce qu’ils ont envie d’entendre, que ce soit faisable ou pas. L’éthique de conviction, ignorant délibérément la réalité, répond invariablement : « je veux pas le savoir ».

* Raymond Aron raconte dans « Le spectateur engagé » que,  jeune et brillant normalien, il avait fait un exposé sur une question de politique internationale dont le détail importe peu. Le ministre l’écoute attentivement et lui dit : « tout cela est très bien, mais que feriez-vous à ma place ? ». Cette remarque renferme, pour les gouvernants, toute la mesure de leurs devoirs. Aron a su s’emparer d’une telle leçon qui a été fondatrice pour toute sa pensée. Ce n’est pas une question d’intelligence, mais d’humilité et d’honnêteté intellectuelle. Et toc.

* Lacan : « Le réel, c’est quand on se cogne ». L’opposant, ou le simple spectateur, n’a que faire de la réalité (sauf la sienne). Le nouveau ministre la prend en pleine figure et passe ensuite son temps à soigner ses bosses.

Creusons un sillon déjà entamé plus haut : ma vision de la politique, à tous les niveaux, depuis le responsable de copropriété au président de la République en passant par le bâtonnier, le député ou le maire d’une petite ville, est qu’il ne faudrait pas la laisser aux ambitieux qui veulent exercer les responsabilités. L’ambition en effet, ou la capacité à se faire élire, ne sont pas des gages de compétence. On a connu (suivez mon regard) des personnes particulièrement douées pour faire campagne, mais très mauvaises pour diriger un pays. Et d’autres, dont Pierre Mendès-France (ma référence absolue) est le meilleur et le plus désespérant exemple, qui ont refusé de jouer le jeu de la politique, voulu dire la vérité aux français en les considérant comme des adultes, et auront, au cours d’une très longue carrière politique, gouverné 7 mois et 17 jours, pas un de plus. Il faudrait confier les responsabilités à des gens qui ne les désirent pas, ne les recherchent pas, mais qui les accepteraient, non pour eux donc, mais pour la collectivité. Supprimons les candidats, c’est ça que je dis.

J’en reviens à notre GDS : il était au sommet de ce que peut espérer un avocat : connu, reconnu, à très juste titre (contrairement à certains imposteurs dont la notoriété dépasse de loin les capacités), demandé partout, interviewé sur tout et le reste, ex futur chroniqueur quotidien dans une radio généraliste, ayant écrit (ou en tous cas publié) des livres, et même joué dans une pièce de théâtre, adulé de ses confères, de façon presque unanime. Et donc, qu’allait-il faire dans cette galère ? Il n’avait que des coups à prendre, et bien plus à perdre qu’à gagner. Je suis sûr qu’on a fait appel à lui et qu’il n’a pas fait le siège du premier ministre pour devenir Garde des Sceaux. Il ne peut que décevoir, il ne peut qu’être déçu, car la tâche d’amener la justice où il le voudrait est hors de portée : faute de pouvoirs, faute de temps, faute de budget. Et pourtant il s’y colle courageusement. Je lui maintiens un soutien, personnel sinon politique, et n’aboierai pas avec ceux qui expriment leur désillusion.

D’ailleurs ils auraient pu s’épargner cette déception en me lisant car, il faut bien le reconnaître, je fais de la voyance ! Dès le début j’avais vu clair et je l’avais écrit : « autant les magistrats ont tort d’avoir des craintes, autant les avocats (je suis désolé de doucher leur enthousiasme bien compréhensible) ont celui d’avoir de vains espoirs. ».

Courant de pensée ou d’influence sur l’affaire Darmanin : il a reconnu la matérialité des faits. Ici une petite subtilité, pour ne pas dire une zone un peu brouillée, même pour nous autres juristes. Le viol est précisément défini par l’article 222-23 du code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Il s’agit naturellement d’une infraction intentionnelle, mais le texte ne contient aucun des adverbes habituels dans ce genre de sport : sciemment, volontairement, frauduleusement, etc. L’élément moral, en l’espèce, se confond un peu avec un des éléments matériels : violence, menace, contrainte, surprise. L’auteur commet des violences, exerce une contrainte, profère une menace, ou surprend la victime. Et en même temps, il a conscience que c’est l’un (ou plusieurs) de ces actes qui permet la consommation d’un acte de pénétration sexuelle. Cette formulation du texte, et elle est combattue par certains mouvements, revient à inverser la charge de la preuve : puisqu’il parait impossible de prouver un consentement ou son absence, on doit prouver qu’un au moins de ces quatre moyens a été utilisé par l’auteur pour parvenir à ses fins.

Journal d'un pénaliste au temps de la Covid-19 (5)
Catherine Champrenault – Rentrée solennelle de la Cour d’appel de Paris 13 janvier 2020. (Photo : P. Cluzeau)

Dans notre cas, et d’après ce qu’on sait : une personne, ayant été condamnée pour chantage, appels malveillants et menaces, fait appel au jeune Darmanin et lui propose une relation sexuelle en échange d’une intervention pour l’effacement ( ?) de son casier judiciaire. Ceci ne constitue à aucun titre un viol, point final.

Vincent Nioré : pas de sanction disciplinaire, contrairement à ce qui avait été « requis » par les 2 avocats généraux qui représentaient Madame Champrenault devant la commission de discipline. Suspens incroyable : que va-t-elle faire ? Appel devant sa propre cour, alors que le Garde des Sceaux a pour avocat notre ami Vincent Nioré ? Situation intenable. La poursuite a eu lieu, elle n’aboutit pas à une condamnation, admettons qu’elle aura eu le mérite de permettre une audience, un échange contradictoire, l’expression de deux points de vue. Mais maintenant il est temps d’arrêter les dégâts.

 Mercredi 22 juillet – Ce besoin de faire des phrases

Le terrible accident sur l’A7, une voiture qui quitte l’autoroute et prend feu, sur les 9 occupants, 5 enfants sont morts, les 4 autres personnes sont grièvement blessés. Ce qu’on sait : le feu a pris avant la sortie de route, c’est la cause et non la conséquence. Communiqué du parquet : ce serait le turbo qui se serait rompu, entrainant un emballement du moteur et une fuite d’huile, qui s’est enflammée. Commentaire de l’avocat de la famille (allez, encore un) : « Le problème est technique, qu’il n’y a pas de faute humaine, (…) des premières analyses du rapport, j’en conclus que Renault va devoir répondre de ses actes et de ses responsabilités dans cet accident » . Mais oui c’est ça, Renault va être tenu responsable de la défaillance du turbo, sur une voiture de 2005, qui doit avoir je ne sais combien de kilomètres au compteur.

A force d’entendre des avocats faire des commentaires, aussi ineptes qu’inutiles 9 fois sur 10, je me fais cette réflexion aussi lancinante que métaphysique : c’est curieux, chez les avocats, ce besoin de faire des phrases…

 

Si vous avez manqué les épisodes précédents, ils sont ici : épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4, épisode 5, épisode 6, épisode 7, épisode 8, épisode 9 , épisode 10, épisode 11, épisode 12, épisode 13

 

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