Journal d’un pénaliste au temps de la COVID-19 (7)
A quoi sert la présomption d’innocence ? Faut-il être un sauvage pour croire en l’ensauvagement ? Un artiste peut-il être condamné pour exhibition sexuelle alors qu’il réalise une « performance » ? Eléments de réponse avec l’avocat Loeiz Lemoine qui, chaque semaine, passe l’actualité au crible de son regard acéré – et souvent ironique – de pénaliste.
Vendredi 31 juillet – Qui a dit « l’autre folle » ?
Chaleur.
Erreur de numéro de Jean-Yves Le Drian « Croyant répondre à Macron, Le Drian envoie à Ségolène Royal le SMS suivant : « Pompili très bien, c’est quand même mieux que l’autre folle de Ségo ».
1°) Donc on aurait pu avoir Ségolène Royal au gouvernement : merci mon Dieu.
2°) Le gars est quand même ministre des affaires étrangères… d’ici qu’il nous foute une 3ème guerre mondiale… (« oui Mr Trump vous avez raison Xi Jing Ping est un gros ***, un sacré fils de *** et en plus, je ne sais pas si vous le savez, mais il a ****** ! Ah mince c’était le numéro de Pékin ! Xi : 立马把电话交给负责洲际导弹的将军 !将军:我命令你摁下所有在你面前的红摁钮!听见了吗,一个都不能少!*
3°) Le Drian et Royal partagent la responsabilité historique de l’abandon de l’écotaxe qui nous laisse avec des portiques inutiles au-dessus des routes et un milliard jeté par les fenêtres.
Affalé dans un fauteuil, accablé par la chaleur et la fatigue d’une semaine (et même d’une année) de travail, zappant par désœuvrement, je tombe sur une publicité pour le site Mektoube, « L’application numéro 1 de la rencontre Musulmane et Maghrébine ». Du coup je me lève pesamment et procède à une vérification : il y a des sites de rencontre juifs (ça je le savais) mais également chrétiens. Que penser de tout cela ? Qu’en disent les amoureux de la « diversité » ? Plus généralement, l’idée de « matcher » avec quelqu’un qui aurait les mêmes goûts ou les mêmes tropismes dans l’existence, me dérange, bien que je la comprenne. Je suis très perplexe.
Samedi 1er août – (août déjà…)
Je suis poursuivi par Christian Saint-Palais (président de l’Association des avocats pénalistes, dont je suis membre depuis sa fondation à l’initiative d’Hervé Témime) jusque dans l’intimité de ma salle de bain. Interview sur France Info à propos des cours criminelles. Pas un mot à redire, je suis d’accord avec lui sur tout. A moins que ce ne soit lui qui, m’ayant lu, ne soit d’accord avec moi… . C’est un de mes travers actuels que de croire que toutes les personnes qui professent des opinions proches des miennes, ou de celles que j’exprimai naguère, ont pu me lire.
Et pourquoi pas, je vous prie ?
Notre président parle non seulement de la qualité de l’audience d’assises, mais également de la contradiction qui étreint le Docteur Eric et Mister Dupond-Moretti : lui qui est L’AVOCAT d’assises majuscule, est pris dans les obligations de sa fonction et le mouvement constant de diminution du nombre des juges (ou des personnes qui jugent), devant toutes les juridictions (à part les Prud’hommes, mais ça compte pas et d’ailleurs on espère leur disparition pure et simple).
Dans la série vaut mieux lire ça qu’être aveugle : « Mort du cinéaste Alan Parker, réalisateur de #MidnightExpress un film haineux et raciste à l’égard des Turcs qui n’a pas été sans influence sur leur image internationale. ». Il me semble qu’Erdogan en a fait au moins autant, sur une musique moins agréable que celle de Giorgio Moroder.
Un compte Twitter d’avocats, candidats du SAF au Conseil de l’Ordre de Paris, partage « une tribune aussi juste qu’espérée » (formulation aussi bizarre qu’étrange, mais restons concentrés) et ainsi intitulée : « Affaire Darmanin : l’écran de fumée de la présomption d’innocence ». L’article est publié sur le site du très sélect « Club des juristes, Premier think tank juridique français ». Quelques phrases étonnantes expliquent ce titre qui ne l’est pas moins. Morceaux choisis :
* « Mais la présomption d’innocence a ici trop bon dos »,
* « Le juridisme du Gouvernement ne doit pas faire illusion : en politique, le curseur n’est pas celui de la reconnaissance de culpabilité mais celui de l’exemplarité. La présomption d’innocence est en réalité ici hors sujet. »,
* « Gérald Darmanin ne peut s’abriter derrière une argutie purement juridique pour échapper à la discussion »,
* « Indépendamment du point de savoir si la relation a bien été consentie, la matérialité des faits, non contestée par le ministre lui-même, marque déjà l’exploitation d’une position de pouvoir dans le champ des relations intimes »,
* « Derrière la belle image du « jeune homme », subsiste la réalité d’un vieux monde. »
J’ai toujours trouvé le terme « juridisme » suspect, ne l’ayant jamais lu ou entendu que pour discréditer ou écarter de la manche la simple application du droit, quand le résultat qu’elle produit n’est pas celui qu’on en espérait. Même tarif pour « argutie ». La conclusion sur le « vieux monde », éclaire complètement cet article : il n’est juridique à aucun titre et même nous explique en quoi le droit est non pertinent en l’espèce. Cours, camarade !
Je m’étonne (en vrai je fais semblant) de ce qu’un article aussi ouvertement militant et un peu sociologisant sur les bords (il manque juste le mot « domination », mais il est présent de façon subliminale) soit publié par un professeur de droit, sur un site juridique, et applaudi des deux mains, si j’ose dire, par des avocats, fussent-ils du SAF.
Si les juristes et singulièrement les avocats renoncent à défendre la présomption d’innocence, je pose la question : qui va le faire ?
Et d’ailleurs, la présomption d’innocence, c’est quoi Jamy ?
D’abord ce n’est pas l’innocence : une personne qui aurait vraiment commis les faits, n’en est pas moins présumée innocente. Certains considèrent qu’elle consiste en une simple règle de preuve : la charge de la preuve incombe à l’accusation, et si elle ne la rapporte pas vous n’êtes pas condamné. Ceci, en réalité, est plutôt le bénéfice du doute, qui est le corollaire « concret » de la présomption d’innocence.
Non seulement il s’agit d’une constante des pays vraiment démocratiques, mais en outre, en France, elle est protégée par la loi, en l’espèce l’article 9-1 du code civil, qui édicte que « chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. » et prévoit un certain nombre de mesures pour faire cesser les atteintes et indemniser celui qui en est victime.
Dimanche 2 août – L’ensauvagement, ça n’existe pas
Un conducteur de tramway agressé par des jeunes. Son crime ? Leur avoir demandé de porter un masque. Bis repetita.
On apprend que vendredi, une bande de jeunes de Mennecy s’est affrontée avec une autre d’Etampes, sur la base de loisirs de cette dernière commune, en présence des familles venues chercher un peu de fraicheur.
Mais un tweet nous explique que le monde ne s’ensauvage pas, attendu que le nombre de meurtres, par référence à je ne sais quelle année, a diminué. Qu’est-ce que vous avez à répondre à ça ?
Adrien Taqué, ministre de je ne sais pas quoi : « L’inceste est le dernier des tabous. » Je crois vraiment qu’il y a des gens qui emploient des mots de façon pavlovienne et sans savoir ce qu’ils signifient vraiment. En quoi l’inceste est-il un tabou ??? La formule suggère que ce serait une chose dont on ne parle pas, qui reste sous le boisseau, tue et donc acceptée (implicitement) par la société. Or il y a beau temps que rien de tel n’est accepté.
Alphonse Boudard raconte dans La Cerise comment un personnage assez grossier s’était retrouvé emprisonné parce que, après qu’il avait violé ses deux premières filles, la mère l’avait dénoncé à la gendarmerie au moment où la troisième allait également y passer. Elle était tombée des nues lorsqu’il avait été incarcéré : elle pensait que les gendarmes allaient juste le gronder (nous sommes dans les années 50 du 20ème siècle).
J’écoute, en différé et à tête reposée, l’interview de notre garde des Sceaux par Appoline de Malherbe.
J’ai mieux aimé les réponses que les questions.
Elles illustrent très bien la métamorphose de l’homme Eric Dupond-Moretti en garde des Sceaux, qui a très bien compris ce qui changeait quand on était aux responsabilités. Je ne pourrai pas faire ceci, la solidarité gouvernementale m’oblige à cela, les équilibres diplomatiques empêchent le rapatriement des enfants de djihadistes de Syrie, etc. Hier encore des confrères lui en faisaient le reproche sans ménagement, comme si la force de la volonté suffisait. Mais non, il y a des contraintes et un ministre ne peut pas abolir ou effacer ce que le Quai d’Orsay a patiemment tricoté, en répétant (je vais garder ce leitmotiv) : je veux pas le savoir. Limites, finitude, conviction vs responsabilité, je radote. L’homme révolté ne peut pas gouverner, il ne peut être qu’un citoyen qui critique ou un opposant, mais une fois qu’il est en charge, tout change pour lui.
Information Télé-Loisirs (en vrai je ne lis pas cette chose, j’ai juste vu un tweet) : Nagui au candidat d’un jeu, avocat spécialisé en droit routier : « Vous arrivez à dormir le soir, sans blaguer ? » ajoutant que « la morale ne sort pas grandie ».
1°) A mon confrère : bien fait pour vous, ça vous apprendra à aller chez Nagui.
2°) Ces propos font incroyablement écho à ce que disait Dupond-Moretti sur l’ignorance à peu près totale dans laquelle gisent les français par rapport à leur système judiciaire. Je me fais cette remarque à chaque fois que je lis un polar ou regarde un film ou une série américains, et je suis sûr que j’ai dû l’écrire quelque part : le français ne connaît pas son système judiciaire. Et Nagui le moraliste à deux balles, non plus.
Les blogs du Huffpost (suite de la série « sans commentaire ») :
« Je suis un papa gay, marié, épanoui et j’aime dire que j’ai été « enceinte ». »
« C’est après une balade en forêt avec ma fille que je me suis vraiment senti père. »
Marianne : « les dix chansons qui vous feront aimer le rap français » ! Putain ça risque pas, les gars.
Lundi 3 août – le cabinet est vide comme si la vie s’en était retirée
Depuis quelques semaines, les plus perspicaces d’entre nous le sentaient : c’est les vacances ! Chaque lundi matin il y a un peu moins de monde sur la route, ceci heureusement compensé par les travaux qui nous imposent des détours invraisemblables. J’ai eu la curiosité de suivre mon trajet sur le GPS : on aurait dit que je faisais mes lacets ! Quelle sensation étrange que celle de travailler pendant que le monde se la fait belle au bord de la mer, à la montagne ou sur la route de Compostelle, un peu comme si on était puni, comme le gamin qui reste au coin pendant que ses petits camarades rient, crient et jouent dans la cour de récré.
Quand nous étions enfants, mes parents avaient l’excellente idée de nous faire faire des devoirs de vacances. Depuis notre maison de famille, qui est au bord de la mer au sens le plus littéral (j’allais dire littoral) de ce terme, on entendait le bruit des vagues qui déferlaient et les cris des petits crétins qui n’avaient pas, eux, à plancher sur 6 fois 7, le carré de l’hypoténuse ou les robinets qui gouttent (avant je calculais combien de litres d’eau étaient perdus, maintenant je les répare, y’a quand même du progrès).
Le palais est désert (ce qui n’empêche pas que nous n’ayons toujours pas la possibilité de nous y garer), les boulangeries sont presque toutes fermées et les files s’allongent pour une bête baguette ou un sandwich. Le cabinet est vide comme si la vie s’en était retirée. Je suis rétrogradé standardiste, hôtesse d’accueil, groom, saute-ruisseau, stagiaire, je classe des papiers, je range, j’archive. Je fais une revue de dossiers exhaustive, exercice toujours étonnant (dossier Tartempion c/ MP… mais qui c’est celui-là ? Est-ce qu’il m’a payé au moins ?)
Mardi 4 août – Hadopi : les gendarmes ont toujours un temps de retard sur les voleurs
Le Huffpost : il parait que l’HADOPI a coûté 1.000 fois plus qu’elle n’a rapporté : en voilà encore une surprise ! L’article est basé sur le ratio entre le coût de fonctionnement et les amendes recouvrées. On pourrait atténuer ou affiner ce jugement en précisant que la seule existence de cette autorité, avec la menace de coupure de l’accès internet, a produit des effets dont la brutalité de l’arithmétique ne rend pas forcément compte.
Bien que n’étant pas du tout du genre à télécharger illégalement des fichiers (du tout, du tout), je me suis intéressé à la question, en qualité de présumé geek (au royaume des aveugles…) et de père de famille. A l’origine était le peer to peer : à l’aide de logiciels tels que Emule ou Edonkey, on téléchargeait des films ou de la musique, et à peine le téléchargement démarré, le fichier, même partiel, était en partage. La patrouille pouvait voir qui partageait quoi, qui téléchargeait quoi, et flasher les utilisateurs, chacun partageant et téléchargeant à partir de son propre système, et donc d’une adresse IP par principe unique sur le réseau. Il me souvient, il y a pas mal d’années, d’avoir reçu un avertissement de l’HADOPI à la suite duquel un coup de gueule avait réglé le problème chez les Lemoine.
Ce que l’HADOPI n’a pas vu, ou dont elle a été le témoin impuissant, c’est la vitesse à laquelle les modalités de partage et de téléchargement ont évolué. Du coup le gendarme se trouve tout seul au bord d’une autoroute devenue déserte tandis que, dans son dos, sur des petites départementales qui changent sans cesse de trajectoire, des sites de téléchargement basés dans des pays hors d’atteinte numérique se multiplient. Les gendarmes ont toujours un temps de retard sur les voleurs, c’est connu, mais à l’heure du numérique, le décalage est tel que les seconds ridiculisent les efforts des premiers.
Impressionnante explosion dans le port de Beyrouth. Après une première déflagration, beaucoup d’habitants filment la colonne de fumée, et tout d’un coup, seconde explosion, d’une violence incroyable. Dégâts humains et matériels énormes (le port de Beyrouth HS). Les pauvres libanais n’avaient pas besoin de cette catastrophe en plus de toutes les autres difficultés du pays.
Jeudi 6 août – Honte, honte, honte….
Anniversaire d’Hiroshima.
Henry Laurens ce matin sur la matinale de France culture : « Si vous avez l’impression d’avoir compris le Liban, c’est qu’on vous a mal expliqué ». Il explique pourtant, c’est passionnant et démoralisant à la fois, pauvres libanais.
Je reçois une personne qui me demande de reprendre son dossier de divorce. Et c’était quoi le problème avec votre précédent avocat ? C’est Me X (une avocate qu’on voyait et entendait beaucoup à une époque). Elle a pris plus de 10.000 € d’honoraires à cette personne qui en gagne 1.600 par mois, pour un résultat plus que modeste, en ayant fait uniquement la première partie de la procédure, soit deux audiences devant le JAF avec une enquête sociale entre les deux. A-t-elle été défendue par cette avocate ? Que non point. Elle l’a vue une seule fois, et ensuite toute une myriade de collaborateurs. Ou comment se ruiner sur un nom pour être défendue encore plus mal qu’avec un simple avocat de quartier. Honte, honte, honte.
Ensauvagement, voici le mot à la mode. Il fait écho au « sauvageon » de Chevènement, qui avait un côté presque mignon, on imaginait des enfants turbulents, qu’on observe mi réprobateur, mi amusé. L’ensauvagement renvoie à quelque chose d’autre et qui, n’en déplaise à ceux qui croient que le monde s’améliore, que l’homme naturellement bon revient à sa bonté originelle, et que le niveau de l’école monte, a quelque chose de nouveau. C’est une tendance que le citoyen voit, et le pénaliste encore plus : certaines personnes intolérantes à la frustration réagissent aux plus minces contrariétés par des gestes de violence hors de proportion : coups de batte dans une laverie, piétonne percutée à mort par une voiture, chauffeur de bus tué par ceux à qui il demandait de porter des masques. Dans certains endroits et certaines circonstances, on observe une surréaction, parfois pour presque rien, un mot, un regard, ce que Christophe Guilluy avait appelé « la guerre des yeux », qui oblige certains à les baisser pour s’éviter des ennuis ou des violences.
« Le barbare c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie », écrivait Lévi-Strauss dans Race et Histoire. Peut-être que le sauvage c’est d’abord celui qui croit à l’ensauvagement ?
Naturellement, les mécanismes de défense de la bien-pensance sont très vite à l’œuvre : ça n’existe pas, ou c’est exagéré, ou ce n’est pas nouveau, bref circulez, y’a rien à voir. C’est le cas notamment de Sacha Houlié, ancien du PS rallié à La REM, ci-devant avocat et actuel député qui avait déjà montré la sûreté de son jugement en estimant que la réforme des retraites était « égalitaire et juste », que nos effectifs allaient baisser grâce aux algorithmes qui, pour le contentieux de masse, feront « bien mieux que les avocats ».
On en revient toujours au fait de bien nommer les choses et d’accepter de voir ce que l’on voit, sur quoi deux écoles s’affrontent :
La première : il faut dire ce qui est, faire face à la réalité, sinon, un jour ou l’autre et pour s’être aveuglé, on se cognera dedans.
La seconde : on ne doit pas employer de mots stigmatisants, pas faire le jeu de tel ou tel, etc. etc. : peu importe ce qui est vrai, il faut faire attention à ce qu’on dit.
Vendredi 7 août – Du scrotum de Pavlenski au vagin de Robertis
Onze heures du matin, on étouffe déjà, ça promet.
Le Huffpost : « Deborah de Robertis condamnée à une amende pour s’être dénudée à Lourdes. L’artiste a été condamnée à 2000 euros d’amende, dont 1000 avec sursis, pour s’être montrée nue au sanctuaire de Lourdes en août 2018. »
Laissons d’abord s’exprimer le pénaliste : ce n’est pas, reconnaissons-le, une peine particulièrement sévère. Mille euros à payer (avec 20% de réduction si elle paye dans les 30 jours, cela fait partie des promos du ministère de la justice, que les pauvres juges doivent rappeler aux condamnés comme s’ils vendaient des cravates dans un parapluie à l’envers. Passons). Mille autres avec sursis. Autrement dit : « Deborah, maman n’est pas contente (gros yeux, sourcils froncés) ! La prochaine fois que tu enlèves ta culotte, tu auras à payer ces 1.000 €, PLUS une autre amende (mais moins élevée que, sans doute, ce que la performance rapporte) ».
Envisageons maintenant la chose sous l’angle de l’exhibitionniste, le Pervers Pépère de Gotlib, celui qui ouvre un imperméable mastic devant les petites filles à la sortie de l’école : qu’il n’espère pas une telle clémence. Il faut donc constater que, indépendamment de la dimension artistique (je ne leur ai pas montré ma zigounette, madame la présidente, c’était une performance ! Qui êtes-vous pour décider ce qui est de l’art ?), nous allons une fois de plus constater une différence inacceptable entre les femmes et les hommes, mais cette fois ce sont ces derniers qui vont prendre cher. Je me délecte à l’avance de l’attendu de principe par lequel la chambre criminelle nous expliquera que l’exhibition du sexe de l’homme est plus répréhensible que celui de la femme. Ou que l’intention artistique est, ou n’est pas, une cause d’exonération. Et de la réaction de la CEDH. Nous y reviendrons.
Enfin, je n’ai évidemment aucune légitimité à m’exprimer sur l’art, mais quand il touche au pénal je me crois autorisé à émettre quelques jugements plus ou moins pertinents.
Première démarche, j’ai mis un point d’honneur à vérifier de quoi on parlait, si le terme « dénudée » était vraiment exact, ou un peu exagéré, si la personne avait commis d’autres forfaits, enfin j’ai pris le temps de me documenter longuement, d’être le plus exhaustif possible, question de conscience professionnelle. J’avais fait pareil avec les Femen, m’attachant à lire, dans la meilleure définition possible, tous les slogans, sur quelque support qu’ils fussent écrits. C’est un sacerdoce, surtout par ces chaleurs, mais je me dois à mes lecteurs.
Notons d’abord que si les artistes du vieux monde (des ringards, à la poubelle tout ça !) réalisaient des œuvres, ce qui est ennuyeux comme la pluie, avec l’inconvénient de persister à travers les années, voire les siècles (mais foutez-nous la paix avec tous ces morts ! On veut des vivants nous, Booba et Deborah de Robertis, pas Mozart et Courbet !), les actuels, du moins les plus en vue, font des « performances ». Koons, Kapoor, McCarthy, nous font découvrir des objets étonnants mais hors de prix, posés ici ou là et évoquant l’affaire de Rugy, un sapin stylisé ou le vagin de la reine, dont on se demandait bien, en effet, à quoi il ressemblait.
J’ai déjà eu l’occasion de parler de l’illustre Pavlenski, mettant le feu à la banque de France ou se clouant le scrotum sur la Place Rouge, toutes démarches dont seuls les béotiens refusent de percevoir l’évidente dimension artistique.
Deborah de Robertis s’est fait une spécialité de « performances » (conservons leur ce terme) consistant à exposer sa nudité, par exemple assise devant l’Origine du monde de Courbet, dans une posture reprenant celle du tableau, du moins pour la partie inférieure du corps. Seuls les imbéciles n’ont pas perçu l’implication profonde, si j’ose dire, de cette démarche.
Elle a, en la personne de Milo Moiré, une concurrente assez acharnée et qui passe également beaucoup de temps dévêtue. Bien sûr il se produit une certaine accoutumance et la dimension artistique s’épuise dans la répétition. Fort heureusement elle n’est pas à cours d’idée et elle a imaginé de s’insérer des poches de peinture dans le vagin, qu’elle projette ensuite à force de contractions (excellente façon de renforcer le périnée, si je puis me permettre cet aparté) sur une toile. En résulte un tableau (n’ayons pas peur des mots), et il est inutile, je crois, de faire des sous-titres ou des exégèses, tant est claire l’intention de l’artiste.
Dans la même lignée, elle a imaginé de se fixer sur le corps, d’abord sur le haut, puis (toujours l’accoutumance) sur le bas, une sorte de caisson muni d’une ouverture et, à l’intérieur, d’une caméra. On pouvait voir ensuite la tête des personnages pendant la performance, puis de l’intérieur du caisson, c’est-à-dire (pas de fausse pudeur) des doigts touchant son sexe. Précisons que, très en avance sur son temps (c’est aussi ce qui caractérise les vrais artistes), elle imposait au public (essentiellement masculin, je ne sais pas pourquoi) de se passer les mains au gel hydro-alcoolique, avant de les poser sur sa personne.
Revenons-en au pénal : cette condamnation, dont on prétend se scandaliser, fait évidemment partie de la démarche. Faire réagir, entrainer des protestations de tous ces connards de cathos coincés, et avec un peu de chance des poursuites pénales, c’est évidemment le but recherché et une publicité gratuite pour « l’artiste ». Figurer la Vierge, avec un voile sur la tête mais entièrement nue, n’est pas du tout gratuit et aux abrutis qui n’ont pas suivi, elle explique charitablement de quoi il s’agit : « Avec ce geste de mise à nu, j’incarne l’apparition de la Vierge avec mon corps de chair et de femme vivante. Ce geste est un hymne à la vie (…) En incarnant les modèles féminins, mon propos est de les libérer du cadre dans lequel ils sont figés et inverser ainsi le point de vue à partir du regard des femmes sur le plan historique, politique et artistique ». Ceux qui comme moi n’ont rien compris, vous êtes vraiment des cons.
Face à cette condamnation incompréhensible, l’avocate de l’artiste a réagi ainsi : « Les juridictions pénales ne sont pas là pour décréter qui est artiste ou qui ne l’est pas. La liberté d’expression ne doit pas supporter d’ingérence disproportionnée ».
Il est vrai que s’exposer à Lourdes pour singer la Vierge, face à des hordes de chrétiens enragés, démontre un grand courage qui confine à l’inconscience, mais il n’y a pas d’art sans risque. D’ailleurs ça n’a pas trainé, très rapidement, des personnes sont venues et leur réaction a été particulièrement virulente : ils ont couvert son corps d’un voile avant d’appeler la police. Il parait qu’elle a prévu de réaliser prochainement une manifestation du même genre à La Mecque et on attend avec intérêt les images de cette performance artistique qui ne manquera pas d’éveiller les consciences.
L’autre jour (j’ai honte) j’ai eu un franc éclat de rire en apprenant qu’un dessin de Banksy avait été effacé par des personnels d’entretien. Beaucoup ont été horrifiés et c’est tout juste si la municipalité ne s’est pas excusée. Qu’on m’excuse, moi, de porter une appréciation dont le niveau ne dépasse pas celui des Brèves de comptoir, mais quand un artiste (je ne lui conteste évidemment pas cette qualité) dessine ou peint sur les murs, comme le premier taggeur venu, qu’il ne s’étonne pas que les travailleurs zélés, en charge de la propreté d’une ville, les effacent (what did you expect ?).
Je me souviens d’un semblable réjouissement lorsque l’artiste subversif (pléonasme) avait créé une œuvre capable, comme dans Mission Impossible, de s’auto-détruire au bout de 15 secondes, sous les yeux écarquillés de spectateurs, dont un qui venait de lâcher 1 million d’euros pour son acquisition… Le but, le propos, la symbolique, la signification profonde au niveau du vécu, étaient certainement (complétez en fonction de vos opinions politiques), mais le résultat aura été un coup incroyable, l’acheteur se trouvant à la tête, non pas d’une œuvre déchiquetée, mais d’une œuvre UNIQUE pour l’éternité, et dont la valeur a dû, en l’espace de ces 15 secondes, décupler au bas mot. Tel est pris qui croyait prendre et le résultat semble diamétralement opposé à celui que l’artiste recherchait.
Citation du jour : « Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples » La Rochefoucauld.
Compliment ce matin : « Ah vous avez de très belles veines !» (juste avant de piquer dedans). « Oui je sais on me le dit tout le temps, c’est pour ça qu’on m’aime, pas pour ma vaste intelligence ou mon immense fortune. »
Juan Branco, qu’on n’aime pas non plus pour son intelligence, pour illustrer des images de manifestation : « Made in France. Les lacrymos font leur apparition à Beyrouth le soir de la visite de Macron. »
Samedi 8 août- Si on ne peut plus fumer dans le train !
Encore une incivilité : deux jeunes gens ont simplement demandé à un voyageur de ne pas fumer dans le train. L’autre les a pris en photo, a envoyé des messages à des potes qui sont montés dans le train à la station suivante pour, courageusement à 6 contre 2, les dérouiller. Putain, si on peut plus fumer dans le train, maintenant ! Points communs avec la laverie : violences a posteriori (préméditées donc), en surnombre (on appelle des potes ou on revient avec) et si possible avec arme, ici battes de base-ball, là couteau.
* allo, passez-moi le responsable des missiles balistiques intercontinentaux. C’est vous Général ? Oui, appuyez sur toute la rangée de boutons rouges qui sont devant vous. J’ai bien dit, tous ! »)
Si vous avez manqué les épisodes précédents, ils sont ici : épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4, épisode 5, épisode 6, épisode 7, épisode 8, épisode 9 , épisode 10, épisode 11, épisode 12, épisode 13, épisode 14, épisode 15.
Référence : AJU72420